vendredi 24 septembre 2010

Patrick Huard et l'OFF-FIL

Travaillant toujours avec autant d'acharnement à démotiver le monde de toute cette misère intellectuelle et sensible qu'on appelle dans les médias "la culture", j'ai écrit récemment un beau poème sur Patrick Huard que je lirai dimanche au Café Chaos dans le cadre du OFF-FIL. En voici un extrait:
...la bande annonce infinie de à vos marques prêts entre ciel et nitro dans le vide d’aurore les 3 p’tits bon cop filière 13 et full fuck you patrick huard quitte ta maison quitte ta blonde quitte cette vie qui te pousse à faire film après film à t'humilier et à nous humilier tous je t'aimais mieux avant patrick huard quand je te connaissais pas j’aimais mieux avant quand je connaissais personne de connu j’aimais mieux avant quand personne connaissait personne quand je passais mes journées dans ma chambre au sous-sol et que je pouvais sortir en ligne quinze noms de réalisateurs de films asiatiques pour impressionner des gars avec des t-shirt de black metal qu'on peut pas lire les noms...
L'image en tête de note, c'est un demotivational du talentueux Patrick par Ginette-Villeneuve-en-comic-sans. Et, tchecke ça comment c'est pas possible de la mort de la vie mon ami, quand tu vas sur le site d'où elle provient, tu te rends compte que l'image est pas du tout ironique! Le demotivational, il est involontaire! Involontaire! Involontaire, incidemment, comme le personnage de Patrick dans Bon cop, bad cop qui est psychotique, violent et détestable alors qu'il devrait être ce flic désinvolte et streetwise auquel on est supposé s'identifier.

Ah oui, c'est vrai, la lecture. C'est ça:
SHOW LITTÉRAIRE
Café Chaos
2031 St-Denis
20h30


avec:
Virginie Beauregard
Patrick  Boulanger
Brigitte Caron
Catherine Cormier-Larose
Simon Dumas
Rose Éliceiry
Pascal Angelo Fioramore
Vickie Gendreau
Christine Germain
Marie-Paule Grimaldi
Christian Guay Poliquin
Émilie Hamel
Valérie Jacques-Bélair
Jonathan Lafleur
Daniel Leblanc-Poirier
Geneviève Morin
Queen Ka
François Rioux
Jocelyn Thouin
Aimée Verret

mercredi 15 septembre 2010

Lecture à l'art passe à l'est ce vendredi


Je ferai une lecture à la galerie l'art passe à l'est ce vendredi. En hommage à Ian Curtis. Pourquoi Ian Curtis? Parce que je sais juste plus quoi faire pour me sortir Joy Division de la tête. Depuis trois mois... Ça veut jamais s'arrêter! Day in, day out!
Vendredi, 17 septembre, 21h
Galerie L'Art passe à l'est
3842 Ste-Catherine Est

Avec un nombre ridicule de lecteurs: Mikalle Josha · Bertrand Laverdure · Jean-Marc Desgents · Julien Dupuis · Elkhana Talbi (Queen Ka) · Mayra Bruneau-Da Costa · Annick Chauvette · Catherine Cormier-Larose · Jonas Lafleur · Marie-Ève Comtois · Marie-Charlotte Aubin · Philippe-Jonathan Côté · Maxime Catelier · Laurie Bush · Pierre-Alain Faucon · Shawn Cotton · Sebastien B-Gagnon · Catherine Lalonde · Virginie Beauregard-D · Rose Éli · Simon Boulerice · M-C Lemieux-Couture · Danny Plourde · François Guerrette · Carl Bessette · Erika Soucy · Daniel Leblanc-Poirier · Veronique Cyr · Claudine Vachon · Laurent-Hugo Lanctôt-Fournier · José Aquelin

mardi 7 septembre 2010

Je suis allé chez Réjean Ducharme

Je suis allé chez Réjean Ducharme. J’étais avec Émilie H. un dimanche de juin, nous n’avions rien à faire sinon nous promener, nous sommes partis vers l’ouest. On parlait de tout et de rien. À un moment, je lui dis: « tiens, on n’est pas loin de chez Réjean Ducharme. » Elle n’y croyait pas. Elle a répondu : « on y va, on y va! »

Chez Réjean (vision romantique et erronée)
Il n’existe pas d’auteur québécois vivant plus culte que Réjean Ducharme.
La définition de ce qu’est une « œuvre culte » est toujours difficile. En dehors du domaine du cinéma, il manque d’essais sérieux de définition.Mais selon l’usage qu’on en fait présentement ici, au Québec, elle recoupe sensiblement les catégories d’« undeground » et de « cult ». L’underground est d’ordinaire produit dans un contexte indépendant des tendances dominantes de son époque, et le culte concerne quant à lui la réception intense et marginale d’une œuvre dans un petit groupe loyal de fans. On pourrait aussi ajouter ceci : la définition de « culte québécois » semble concerner présentement tout ce qui concerne l’esthétique crue et trash des années 70 principalement. Parlez-nous d’amour de Jean-Claude Lord, Le bonhomme de Pierre Maheux au cinéma, Laissez-nous vous embrasser où vous avez mal de Péloquin-Sauveageau et Attaboy on meurt des Biberon bâtis en musique, la poésie de Josée Yvon et celle de Louis Geoffroy, toutes ces œuvres ont présentement un statut indéniablement culte. En littérature, je sais bien que Ducharme ça reste un peu mainstream comparé à Yvon, Geoffroy et, disons, Patrick Straram, mais qu’est-ce que vous voulez, tout le monde est mort.

Et, même si ça ne peut pas nuire, on ne devient pas nécessairement culte parce qu’on est un grand auteur. Les premières pièces de Michel Tremblay sont d’une violence et d’un mépris mêlé de fascination qui aurait tout pour plaire aux amateurs de trash que je fréquente, ces improbables collectionneurs de vinyles d’orgue, ces inconditionnels de Martin Parr avec qui je me retrouve régulièrement au bowling au Monster Truck Spectacular et à l’exposition agricole de Saint-Hyacinthe. Mais jamais quand on est ensemble nous viendrait l’idée de mentionner le nom de Michel Tremblay car depuis les années 80, sa potentielle aura culte s’est dissipée dans son virage romanesque populaire. En lieu et place de Tremblay, nous nous gorgeons plutôt d’On n’est pas des trous de cul de Marie Letellier, une ethnographie faite de retranscriptions d’entrevues avec une famille dysfonctionnelle du Centre-Sud vers la fin des années 60. C'est un des livres préférés d’Émilie.

Mais mis à part Ducharme, quel autre auteur vivant pourrait prétendre au statut de culte? Christian Mistral n’est pas loin, mais son style est tellement classique, on aurait eu besoin d’une écriture plus garage. Victor-Lévy Beaulieu? S’il n’avait publié que cinq livres au lieu de 60, s’il ne s’était pas autant éparpillé et qu’il s’en était tenu à la violence lyrique qu’on retrouve aussi bien au début qu’à la fin de son œuvre, dans La nuitte de Malcomm Hudd comme dans Je m’ennuie de Michèle Viroly, là on pourrait commencer à parler. Yves Boisvert (le poète, là)? Sait-on jamais. Et Patrice Desbiens? Patience, il y est presque...

Si on revient à Ducharme, il est limite tout de même. Il fait partie de ces auteurs des années 50 et 60 dont l’institution s’est tant et si bien occupée qu’elle a peu à peu accaparé tout le désir qu’on aurait pu avoir de les lire hors des lectures obligatoires ou des cours d’histoire littéraire desquels ils sont désormais prisonniers.

Pour Fernand Ouellet, c'est deux étages en dessous.
Ce qui permet à Ducharme d’échapper à ce funeste destin d’être enterré vivant dans une anthologie, c'est qu’il y a dans son œuvre et dans son retrait de la vie médiatique tous les éléments qui lui permettent de se maintenir en vie dans le désir des lecteurs en marge de l’institution. Par son éthique du refus et son esthétique du détournement railleur, L’Hiver de force rejoint encore n’importe quel intellectuel post-punk et tous ceux qui consacrent leur vie à dénicher le culte dans tous les recoins de la culture.

De toute manière, ces distinctions ne valent rien. Car il existe un test. Pour savoir si un auteur est culte ou non, on n’a qu’à mesurer la réaction après avoir énoncé ceci : « je suis allé chez x ».

« Je suis allé chez Hélène Dorion. » — « Hein? Pour quoi faire? »
« Je suis allé chez Louis Hamelin. » — « Ah bon. Il était en forme? »
« Je suis allé chez Jean Larose. » — « Il paraît que c'est beau chez lui. Sa femme est bin fine »
« Je suis allé chez Mathieu A. » — « Ah oui, c’est sur Coloniale. Je connais sa coloc. »
« Je suis allé chez Leonard Cohen » — « Tu. Me. Niaises. C’est complètement MALADE! »
Etc.

Attention, là c'est le grand test.

 « Je suis allé chez Réjean Ducharme
— Non! C’est complètement fou!
— Oui, mais je suis même pas rentré chez eux.
— Arrête-moi ça!
— Il était même pas là.
— Ben là!
— Mais j'ai vu sa cour arrière.
— AH! C'est comment? C’est comment?
— Ma note est trop longue, je vais poster la suite la prochaine fois.
— Va chier! Il va-tu y avoir des photos?
— On n’avait pas d’appareil, mais si j’y retourne en prendre cette semaine, ça va-tu faire pareil?
— Pas de photo? Fuck men, si c’est ça le grand retour de Doctorak go, j’aurais été aussi bien de passer... »

***

Durant des années j'ai couru après des anecdotes concernant Ducharme. Voici le top 5:

5- Maggie Roussel (anciennement Blot) aurait aperçu une silhouette lui ressemblant dans une galerie d’art où Roch Plante exposait ses trophoux, un après-midi où il n’y avait personne. 

4- Robert Charlebois l’aurait croisé pour la dernière fois il y a quelques années. Ducharme lui aurait dit : « je ne communique plus ».

3- Elle vient de Jack de Train de nuit. Il connaît quelqu'un qui est allé à un BBQ chez la soeur de Ducharme. Il était là. Malheureusement, aucun détail singulier n'a pu émerger:
Y est musicien, dans les limbes, il ne lit à peu près jamais, ne s'intéresse guère à la littérature, encore moins à ses auras. Tout le monde lui dit : "hein? T'as soupé avec Ducharme?" - "Ben oui! Si tu veux mon opinion, yé platte comme la pluie."
Ducharme, Salinger, Pynchon et Blanchot posant pour une pub de BBQ. Date et origine inconnues.
2- L’ami d’un ami qui habitait était devenu régulier dans un petit bar de quartier. Comme il était plutôt sociable, il s’était lié avec les autres piliers de taverne de la place, tous dans la soixantaine. Un soir qu’ils fumaient dehors un homme est passé, il a parlé un peu avec eux, puis a poursuivi son chemin. « Sais-tu qui à qui tu viens de parler? » a demandé un des vieux? « Non », il a répondu. « C’était Réjean Ducharme. » « Je sais pas c’est qui ». L’ami de cet ami était, genre, électricien, c’était pas trop un littéraire. (Mais l’histoire est vraie je vous jure, l’électricien s’est quand même dit que ça pourrait intéresser ses amis.)


1- Une étudiante du département d’études françaises de l’Université de Montréal aurait réussi à obtenir son numéro de téléphone dans les années 90. Elle voulait plus que tout écrire et n’arrivait pas à faire autre chose que du sous-Ducharme. En crise, elle l’aurait appelé pour lui dire qu’elle trouvait qu’il avait trop tout écrit et qu’il n’y avait plus de place pour rien après, etc., etc. La voix l’aurait écouté en silence avant de raccorcher en disant « va faire du ski de fond ».
 
Quant à moi, je n'ai pas d’anecdote personnelle dans mes cartons, sinon la manière dont j'ai obtenu l’adresse de Ducharme. J'étais au Cheval blanc avec des amis et je me suis mis à parler avec un enthousiasme délirant d’Arthur Lipsett (Lipsett c’est culte? non, cultissime). Un monsieur juste à la table à côté se tourne alors vers moi pour me dire : « vous êtes en train de parler de l’Office nationale du film, là? » Je me retourne. C’est André Forcier. Le monsieur, c’est fucking André Forcier! Juste là! Mon enthousiasme s’est soudainement déplacé, et on se met à parler avec lui.

Bon, André Forcier, il est semi-culte. Ce qui nous met en feu, c’est Bar Salon, Night Cap et L’eau chaude, l’eau frette. L’esthétique trash est poussée à fond, mais elle n’est jamais esthétisée comme elle le sera chez Pierre Harel. Après, on n’est plus trop sûrs de la qualité « culte » des films suivants. Le réalisme magique québécois, bon, il y en a peut-être que ça branche, mais dès qu’il n’y a plus cet amalgame punky trash, on décroche. C'est comme quand tu découvres que Lou Reed a fait une chanson qui s’appelle « Satellite of Love », tu te mets à t’ennuyer de ta mère, « Sister Ray ». Mais ok, je suis prêt à concéder qu’André Forcier c’est genre trois-quarts culte à la rigueur, à cause de son obstination à résister à l’industrie du cinéma et de sa manière de trasher les producteurs.

Alors, on parlait avec Forcier au Cheval blanc et comme on voulait ni trop le faire chier avec ses vieux films ni trop nous mettre les pieds dans les plats en lui parlant de ses plus récents, on se cherche un sujet. Ça tombe sur Réjean Ducharme. Je dis que j’aimerais bien ça savoir où il habite. Il répond comme ça : « il est pas dur à trouver. Tout est au nom de sa femme. Si tu trouves l’adresse de sa femme, c’est là qu’il habite. 

-  Mais je sais pas c'est qui sa femme, moi.
-  Elle est scénariste. Je me souviens plus de son nom mais elle a écrit un film... »

Il me dit le nom du film. Yes! La soirée terminée, je rentre chez moi. IMDB! Je trouve son nom! J’ai même quelque part chez moi un bottin de l’Union des artistes. Je le retrouve! Fouille dedans! Bingo! Google Maps! Tape l’adresse! Ohohoh! C’est là, juste sous le marqueur.

Quelques jeunes découvrant la carte qui mène chez Réjean D.
Et puis je n’y ai plus repensé jusqu’à cette promenade avec Émilie où on a décidé d’aller chez Réjean Ducharme. Que pouvais-je faire? Aller sonner chez lui? Le déranger? Pour lui dire quoi? Se cacher en attendant qu’il sorte? Franchement, il n'y a rien à faire. Je ne saurais pas quoi dire à Réjean Ducharme et pour ce qui est de le voir, lui, en personne, il a probablement les traits d’un vieux monsieur gardant une vague ressemblance avec les deux images iconiques de sa jeunesse. Mystère de cœur qui ne peut s’éclairer ! Comment pourrais-je sourire à ces lèvres fanées? Et quand André et Nicole corrigent pour Roger Degrandpré, comment puis-je pleurer?

- Wo minute, bonhomme, t’as pas avancé d’un pouce dans ton histoire, on a encore rien appris sur la maison de Ducharme.
- Inquiétez-vous pas, dans la prochaine note vous saurez tous les détails.
- Avec les photos?
- ...

Ne manquez pas samedi prochain la suite et la fin de cette palpitante aventure : je suis allé chez Réjean Ducharme.

***

Émilie et moi, nous n’avions pas l’adresse exacte, je savais seulement, pour avoir déjà vérifié sur une carte, que la maison était près du coin, sur le versant nord de la rue. Nous approchions dudit coin sans trop savoir ce que nous y ferions. Nous ne voulions pas troubler l’intimité de Ducharme, si vaillamment arrachée à 45 ans de célébrité. D’autant plus que nous enviions cette attitude aristocrate : qui ne voudrait pas publier un œuvre si marquante qu’elle permette à son auteur de disparaître sans céder aux pressions médiatiques? Le doute quant à nos capacités artistiques fait de nous des putes promotionnelles, et même sans œuvre, l’angoisse de n’être pas aimés nous fait tweeter d’insipides conneries. Nous voudrions tous secrètement disparaître.

Nous sommes veules, nous étions veules et puis cette maison s’est présentée à nous. Sur la rue R., à Montréal, accotée contre un bloc de condos complètement génériques se détachait une petite maison blanche. À la peinture écaillée, sans rampe au balcon supérieur, une petite maison juste un peu plus sale que les autres. 


« C’est là, Mathieu, c’est tellement là! », me dit Émilie. Moi qui ne m’emballe pas d’ordinaire, je me retrouve à murmurer: « C’est tellement chez André et Nicole Ferron, oui, ça peut juste être là. » On reste un peu devant, mais très vite on veut bouger. On ne veut pas avoir l’air d’épier. On continue de marcher le long du trottoir, puis Émilie, téméraire, a l’idée de prendre par la ruelle. La cour arrière... On est soudainement pris par l’envie de voir la cour arrière. Comme il n’y a personne, on s’avance dans la ruelle qui donne sur un cul-de-sac. Je me dis que si jamais on nous demande ce qu’on fait là, on ne saura pas quoi dire. On va avoir l’air de voleurs. Mais il n'y a pas l’air d’y avoir personne. En faisant correspondre les façades arrières avec les façades avant, on trouve la cour qui correspond à la maison de Ducharme. Elle est en désordre. « Émilie, Émilie, c’est là, c’est tellement là... Celui qui fait les trophoux ne peut pas avoir une cour rangée. Ça doit être chaotique, ça peut juste être chaotique. » Silence solennel. On peut presque voir à l’intérieur par la porte patio, mais il fait trop sombre. Puis Émilie dit : « j’ai peur qu’il sorte. D’un coup qu’il sort secouer sa laise dans la cour? J’ai peur de le voir, on dirait... » Nous nous rendions compte que nous n’avions plus rien à faire ici. Nous avons rebroussé chemin, laissant la légendaire discrétion de Ducharme intacte.

Quelques jours plus tard, je repensais à notre aventure. Pour le plaisir, j’ai retrouvé l’adresse exacte de la maison dans le bottin de l’Union des artistes. Puis je suis retourné sur ce lieu de culte, à la maison de Ducharme, mais virtuellement, par Google Street View.

Ben calice, on s’était trompés de maison.