passez faire un tour à la boutique: doctorak.co

samedi 30 janvier 2010

Haikai de code 3 - L'album Super Collider

L'histoire avec les démos de 64K c'est fascinant, et j'aurais aimé mettre la main sur un code de Demo 64K, mais 1) j'en ai pas trouvé et 2) de toute manière, c'est comme un roman, c'est pas en le feuilletant qu'on pourrait en déceler la beauté immémoriale. Et comme nous, les esthètes pas technique pour deux cennes, on comprend déjà rien au langage machine, on est plutôt loin de pouvoir apprécier la beauté de la partition qui met ces chef-d'oeuvres en mouvement. Mais ma revue de musique préférée, The Wire, a mis en ligne il y a quelques temps un album intitulé sc140, à partir duquel on peut avoir plus directement l'expérience esthétique d'un code pur. Parce que le code entier dans lequel se trouve contenues toutes les indications d'exécution de la pièce est tellement court qu'ils en font fait le titre de la pièce lui-même. C'est dire si c'est construit avec presque rien. Ainsi, la première pièce s'intitule:
localout.ar(a=combn.ar(bpf.ar(localin.ar(2)*7.5+saw.ar([32,33],0.2),2**lfnoise0.kr(4 play//#supercollider
Sans connaître le langage dans lequel cette pièce est écrite, on peut tout de même en capter certains éléments qui nous permettent de comprendre sa construction: "saw" renvoie à la forme d'onde utilisée, tandis que "lfnoise0" m'apparaît faire référence au filtre à basse fréquence qui permet d'instaurer la modulation. On entend d'ailleurs claquer la résonance du filtre tout au long de la pièce.

Mais ce qui est fort, c'est que le nom de la chanson, c'est la chanson elle-même. En matière de paradoxe, on est carrément dans Alice et son dialogue avec le cavalier, quand le cavalier essaie d'expliquer à Alice que la chanson qu'il veut chanter s'appelle "Comment s'y prendre" mais que la chanson elle-même, c'est "Assis sur la barrière". Ça me tue à chaque fois.

Mais mis à part cet exploit, la contrainte de sc140 est d'actualité: le code devait faire moins de 140 caractères, soit le nombre de caractères d'une entrée sur Twitter. Comme l'application qui reçoit ce code est destinée à l'électroacoustique, la musique est elle d'une beauté qui mêle répétition et variation, une beauté analogue (devrait-on dire digitale?) à celle des Demo 64K.
"My granny might raise her eyebrows if I gave her sc140 for Christmas, but if yours is the Aphex Twin type, then she'd definitely love it."
-Dan Stowell, curateur du projet
Lien vers l'écoute en ligne de l'album sc140.

mardi 26 janvier 2010

Haikai de code 2 - La scène démo 64K

La culture de la "démo" s'enracine très loin dans l'histoire de l'informatique personnelle. C'était les années 80 - donc à rebours c'était cool - et si tu voulais avoir un jeu piraté, tu devais connaître quelqu'un à l'école qui connaissait quelqu'un qui avait un cousin à Québec qui avait un grand frère à Montréal en informatique qui connaissait un gars dans ses cours qui se connectait par téléphone sur les BBS américains où il y avait du monde qui se branchaient en Hollande, en Finalnde ou au Danemark où, va savoir pourquoi, tous les jeux crackés avaient l'air de venir. Et puis là t'allais voir le gars à son casier un mardi matin et il sortait de son sac ta copie de la floppy 8 pouces de Barbarian sur Commodore 64. À la fin de la journée tu rentrais chez vous, t'enlevais même pas ton manteau, tu bootais le jeu et LÀ, juste avant que le jeu commence, l'équipe de hackers faisait sa fraîche avec des animations super cools ou super gossantes, c'était selon. Et voilà, cette petite animation, c'était ton premier contact avec la culture du démo. Celle-ci est apparue comme ça, comme signature pour des pirates qui, loin de se satisfaire de ce travail de contournement des mesures de sécurité des jeux les plus hots du moment, essayaient aussi de se dépasser en exploitant au maximum les ressources graphiques de la machine.

Mais la scène démo est rapidement devenue complètement indépendante de la scène du piratage de jeux pour s'engager dans une course à l'exploit technique, une compétition constante entre les groupes d'animateurs et de programmeurs. Une des disciplines de la scène démo consiste à en faire le plus possible avec le moins possible. Et le moins possible, sur cette scène, c'est une fichier de 64K.



Le petit film qu'on peut voir ici n'a pas été construit avec des logiciels de 3D. Il est le résultat d'un script uniquement fait de lignes de codes dans lesquelles sont définis un à un chacun des paramètres vidéo et audio, chacune des textures, chacun des mouvements, chacune des séquences, chacune des notes, timbres et structures de la pièce musicale. Et ce script, c'est ici qu'il convient de tomber en bas de sa chaise, ne fait que 64K. À des fins de comparaison, la capture vidéo en basse résolution de l'exécution de ce script en basse qualité qu'on peut voir sur Youtube fait, elle, 9331K. Ça veut dire qu'un fichier de code de taille équivalente pourrait contenir le script de 146 vidéos de longueur équivalente, soit la durée d'un rave d'à peu près 10 heures (oui, car l'esthétique est pas mal souvent techno 90s).

Pour comprendre le degré de pureté et d'inventivité dans l'écriture du code que demande un demo de 64K, il faut prendre un autre petit détour de conversion. 64 kilobytes, c'est l'équivalent de 65 536 caractères en ASCII, espaces compris, soit à peu près 17 pages de texte à simple interligne en Times 12.

Premier niveau de difficulté. En 17 pages, on peut dire beaucoup de choses, mais il faut imaginer aussi que ces pages doivent contenir toute l'information technique sur la manière dont on doit lire le texte, à quoi il renvoie, où il commence, où il finit, à quelle vitesse on doit le lire, sur quel ton. En fait comme si ce texte était lu par quelqu'un qui sait lire sans posséder aucune intuition, aucun jugement, aucun souvenir de n'avoir jamais lu de texte. Ce lecteur autiste, c'est l'environnement DirectX qu'exploite la scène Demo 64K, une collection d'applications qui assurent le lien entre des directives multimedia de toutes sortes et son affichage en temps réel sur une interface vidéo.

Deuxième niveau de difficulté. DirectX est bon mais il est prompt. Il n'improvise pas, alors il faut pratiquement tout lui expliquer de A à Z. Pour comprendre toute la complexité de ces directives, il faudrait imaginer quelqu'un qui décrirait un film exactement dans ses moindres détails, les mouvements de caméra, les personnages, comment ils sont habillés, quels sont leurs mouvements exacts, quelles notes exactes sont jouées durant chacune des scène par chacun des instruments, etc. Et tout ça, toujours, en 17 pages.

Comment s'y prennent les programmeurs de Demo? Ils ont développé tout un ensemble de raccourcis à peine croyables dans leur élégance et leur efficacité. Pour la musique comme pour les images, la répétition de motifs est utilisée au maximum mais masquée par l'introduction d'indications qui les font tellement varier qu'elles n'apparaissent plus comme telle. De la même manière, le matériau brut d'une séquence musicale peut être récupéré pour faire varier une texture en arrière-plan, etc. (S'il y a des informaticiens qui lisent, est-ce qu'ils pourraient me dire si je me fourre complètement là-dessus?)

Restez syntonisés pour la suite et la fin de la série "Haikai de code".

vendredi 22 janvier 2010

Haikai de code 1

Au secondaire, j'étais pas ce qu'il conviendrait d'appeler, un "jeune dynamique". J'étais à plusieurs, mais vraiment à plusieurs degrés d'être élu la reine du bal de finissants. Et comme toute cette plèbe que les quarts arrières de l'équipe de football du lycée s'amusent à planter, je me cachais le midi dans des clubs étudiants full of nerds qui attendaient juste qu'on invente Internet pour devenir un petit peu cools. Mais en attendant, je me tenais, en secondaire 5, dans le local d'informatique et je me faisais expliquer, par un plus nerd que moi, les rudiments de la programmation.

Un jour, cet élève brillant se met à me raconter comment le code de Pac Man défie l'entendement par son économie. Il me dit: "les plus grosse machines dans ce temps-là avaient l'intelligence et la capacité d'un four à micro-ondes d'aujourd'hui. Imagine programmer Pac Man sur ton toaster... Get Ready! Wakawakwaka!" Et puis cet ami était très mélancolique de cette époque. Il me disait que les jeunes programmeurs d'aujourd'hui (il avait 15 ans!) avaient trop d'espace de programmation pour faire de belles lignes pures de programme. Et aujourd'hui je le crois: le premier Mac bootait toute son interface graphique en 25 secondes, et Vista ça prend genre cinq minutes. Et comment ça se fait que Word reste tout le temps pareil depuis 1995 et qu'il prend toujours autant de temps à partir? C'est pas Grand Theft Auto IV, c'est des calices de lettres noires sur un fond blanc!

Mais reprenons nos esprits. Cet ami n'était pas le seul mélancolique. Il s'est développé des courants de programmeurs puristes qui se passionnent pour la simplicité de la ligne de code, des génies de la métaphore-machine qui évoque sans expliquer, et qui te font la description d'un caractère en quelques traits seulement, à cette différence que le caractère n'est pas celui du Baron de Charlus, mais euh... un caractère ASCII, genre. Des hosties de poètes, quoi. Mais nous, qui ne sommes pas informaticiens et qui sommes devenus, avec l'apparition d'Internet, des geeks un peu cools et qui avons connu les filles et le sexe, nous restons désormais interdits à cette suprême beauté classique du code épuré. Heureusement pour nous, il s'est développé toute une esthétique qui nous permet de comprendre, de loin, cette expérience de la composition et de la retenue.

Dans quatre jours je donne un premier exemple.

lundi 18 janvier 2010

Mon apothéose hipster

Fabien Loszach vient de faire paraître sur son blog, Almost as Cool as Fighting, une "petite anthropologie du hipster" bien renseignée et très intéressante du point de vue généalogique. Loin de verser dans cette critique facile du hipster ou même dans l'excès contraire, sa défense irréfléchie, Loszach essaie plutôt de comprendre sa genèse.

Le terme remonterait à un essai de 1959 de Norman Mailer qui relève la fascination des jeunes white liberals, aisés, cultivés et désoeuvrés, pour l'aura d'authenticité de l'afro-américain, fascination qui leur a permis de solidifier cette contre-culture nord-américaine dont descendent aujourd'hui les hipsters actuels férus de musique indie, d'art et d'expériences intenses. Loszach ne manque pas de noter que cette sous-culture résiste à sa manière par son excentrement ambigu par rapport à l'industrie culturelle dominante, mais qu'elle demeure malheureusement apolitique et détachée de tout projet révolutionnaire.

Je parle de cet essai parce que je suis quand même ému de trouver de la philosophie dans la blogosphère québécoise, et en plus c'est sur un sujet qui m'intéresse. Parce je vis quand même une existence d’un raffinement hipster anormalement relevé. Je me fais moi-même peur.

Tenez, parce qu’on m’a demandé d’en faire la postface, je suis en train de lire un recueil de poésie de Maggie Blot qui paraîtra l’année prochaine et qui a toutes les chances d’être un des recueils de l’année. Elle l'a remis à son éditeur, mais à ma connaissance, le contrat n'est pas encore signé. Ouais, je lis des livres tellement récents qu’ils sont même pas encore sortis.

Et puis cet après-midi ma lecture est interrompue par ma sœur qui débarque pour que je l’aide à écrire des paroles pour son projet électro qui s’appelle Propofol et qui devrait quant à lui être un des album de l’année… 2013, disons. Hé! Je connais de la musique tellement nouvelle qu’elle est même pas encore finie de composer. Ils ont même pas de Myspace. Attaboy!

À un moment, ma sœur me fait écouter un segment de pièce sur lequel elle travaille. Je lui dis : « attends, je connais un truc qui ressemble vraiment, mais vraiment à ça ». Alors je fouille un peu dans mon Ipod… « Ah c’est ça! » Tiens, c’est une chanson inédite que Géraldine m’a envoyée l’automne dernier. Qu'est-ce vous voulez, j’écoute des chansons tellement fresh qu’elles ont même pas encore été diffusées.

Et puis on continue de travailler sur les textes de Propofol et à un moment ma sœur m’apprend que Le roi poisson vient de signer avec une maison de disque pour enregistrer son premier album. Comment? Encore Le roi poisson? C'est tellement 2009. Et moi je suis tellement hot d'être tout le temps à la fine pointe de même... Mais comment ça se fait d’abord que personne m’appelle jamais et que je passe pratiquement tous mes samedis tout seul chez nous? Où est la "recherche continuelle du plaisir et notamment du plaisir sexuel" que me promettait l'essai de Loszach?

Lien vers la "Petite Anthropologie du hipster".

jeudi 14 janvier 2010

Qu'est-ce qui joue de bon à Radio Spirale? 2

Alain Farah vous lit et vous parle en même temps.
Dans le travail de Farah, on passe sans s'en rendre compte de l'autobiographie à la fiction, de la réalité au texte cité puis au texte inventé. L'exploit de cette lecture de Farah est d'avoir su transposer cette ambiguïté ludique en performance. Farah, singulièrement élégant, posément assis à une table, interrompt constamment sa lecture de commentaires autobiographiques sur les événements réels à la source de son texte et sur les circonstances de la rédaction et puis imperceptiblement il retourne à sa lecture, transposant parfaitement ce mouvement qui fait toute la force de son écriture. Et puis quelle atmosphère détendue il y avait ce soir-là, ça donnait franchement le goût de liquider de son agenda toutes ces soirées littéraires guindées où personne s'amuse, toutes ces lectures de poésie qui ont l'air d'hosties de messes où tout le monde a seulement le goût que ça finisse pour qu'on puisse se saouler en disant des niaiseries. Anytime, Farah.

*

Les émotions au Moyen-Âge - Une histoire des émotions est-elle possible ?
Est-ce que les émotions ont toujours existé dans la forme qu'on leur connaît? Une nouvelle discipline est en train d'émerger, l'histoire de l'affectivité, et ça torche sur un christ de temps. "Christ de temps" en effet que celui du Moyen Âge chrétien où les émotions n'avaient à peu près rien à voir avec tout ce qu'on connaît aujourd'hui. La componction, l'amitié, les larmes, toutes ces émotions étaient codées par le religieux, par la béatitude et le péché, et n'appartenaient qu'aux élites. Ce courant est fascinant parce qu'il présuppose que toute émotion est d'abord un codage culturel et n'est pas appréhendable hors de ce codage. Alors fuck la psychologie et les neurosciences qui cherchent à poser une universalité physiologique des émotions, tout est historique et même au plus mal, même dans le délire de la souffrance émotive on émet des signes, on écrit à même le réel dans une langue qui possède son étymologie propre. Et puis Piroska Nagy est hots, hypercharismatique avec un sujet d'une élégance rare. Juste pour vous montrer, il faut écouter dans la discussion qui suit la causerie ce chanteur lyrique de répertoire médiéval qui vient lui demander pourquoi les textes médiévaux joyeux sont chantés sur un mode mineur, donc triste pour nous, et inversement. Alors une médiéviste vient au micro pour parler d'un texte où Saint-Augustin parle de sa manière d'écouter la musique. Il y a des jours où on voudrait tout quitter pour aller s'enfermer dans la section des livres rares des bibliothèques du monde entier pour ne plus jamais en sortir.

*

Entretien avec Joséphine Bacon.
Joséphine Bacon est avant tout une documentariste innue qui a connu les pensionats indiens et qui a vécu le renouveau de la culture autochtone des années 70. Depuis quelques années elle s'est mise à écrire des textes sur des napkins et "en arrière des cartes de bingo". Et franchement, c'est une personne extraordinaire d'une paix intérieure qui donne le goût de pleurer. Elle parle de son livre "bâton de parole" mais aussi de toutes sortes de sujet, comme les "rêve de tambour". Je sais pas de quoi a l'air ce tambour, ni dans quel contexte on obtient le droit de le frapper, mais c'est une des plus grandes marques de respect qu'une communauté puisse te faire. Mais pour pouvoir avoir le droit d'y toucher, il faut y avoir rêvé trois fois dans sa vie. Et quand tu fais le rêve du tambour, tu le sais. Je suis franchement jaloux de cette culture des rêves depuis que j'ai entendu Joséphine Bacon se remémorer le bonheur d'avoir fait son premier rêve de tambour. Et puis entre deux déclaration d'une profondeur émouvante, elle fait le clown et soudainement tout le monde voudrait être son petit-fils ou sa petite-fille.

dimanche 10 janvier 2010

Bye Mano Solo

Aujourd'hui, Doctorak, Go! est en reprise.

Mano Solo, "Je suis venu vous voir"


Cette chanson-là nous est rentrée dedans en 2000 quand Mano Solo a joué aux Francofolies. J'avais les yeux pleins d'eau, Rosemarie s'est retournée vers moi et elle pleurait aussi, je l'ai pris par la taille et ce soir-là Mano Solo a perdu une dent à cause de la trithérapie. Et depuis, on la fuit cette pièce-là, on l'écoute jamais parce que c'est trop facile, il n'y a pas de challenge et puis c'est insensé de se dire "tiens, on n'a rien à faire, on va se faire brailler un bon coup".

Et maintenant je suis vraiment pas du tout certain d'être capable de la réécouter avant très, très, très longtemps.

samedi 9 janvier 2010

Epic Fail

Un des mèmes qui m'amuse le plus, c'est FAIL. C'est vraiment con, c'est un peu malsain, ça encourage la Schadenfreude, se réjouir du malheur des autres, mais je peux pas m'empêcher de trouver vraiment drôle l'espèce de verdict expéditif et sans appel du gros FAIL qu'on ajoute en Impact sur une photo de catastrophe.

Selon Know Your Meme, FAIL provient d'une mauvaise traduction dans un jeu vidéo japonais totalement obscur et oublié sur une console tout aussi obscure. La phrase "You fail it!" y tenait lieu de Game Over. L'erreur de traduction est elle-même assez chargée de sens, elle évoque ce cliché d'une culture japonaise rigide où l'échec est une source de honte et de répréhension; insérée ici dans un contexte de divertissement sans conséquence comme un jeu vidéo, on comprend l'origine de la fascination pour FAIL. Ce genre de truc-là me tue à chaque fois

Mais le niveau supérieur de FAIL, c'est EPIC FAIL, un échec tellement retentissant qu'il redéfinit la notion même d'échec. J'arrive pas à trouver où et quand le terme EPIC est apparu mais sa popularité est évidente. Mais incidemment, et c'est là une pure coïncidence puisque l'événement est totalement inconnu de l'univers geek d'où émergent la plupart des mèmes, le premier et probablement le seul véritable "epic fail" de tous les temps, on le trouve dans l'histoire littéraire française. À travers la figure de Jean Chapelain et de son peuvre ratée La Pucelle ou la France délivrée.

Parce qu'on parle bien ici d'une épopée et, qui plus est, d'une épopée qui est restée dans l'histoire littéraire comme le plus grand exemple de l'échec en littérature. Chapelain n'avait pas encore écrit grand-chose qu'il était le roi des hipsters à la Cour de Louis XIV. Tout allait bien jusqu'à ce qu'il fasse publier sa grande oeuvre sur lequel il y avait un buzz puissant et persistant, genre le nouvel album de Pagliaro que tout le monde attend depuis 30 ans.

Ce fut, peut-être, le plus grand échec de tous les temps.

On en parle encore, surtout à cause de Boileau qui trouva la matière la plus inspirante pour dénoncer l'ingérence des fonctionnaires sans talent sur les Lettres.
Chapelain veut rimer, et c'est là sa folie.
Mais bien que ses durs vers, d'épithètes enflés,
Soient des moindres grimauds chez Ménage sifflés,
Lui-même il s'applaudit, et, d'un esprit tranquille,
Prend le pas au Parnasse au-dessus de Virgile.
Que ferait-il, hélas ! si quelque audacieux
Allait pour son malheur lui dessiller les yeux,
Lui faisant voir ces vers et sans force et sans grâces
Montés sur deux grands mots, comme sur deux échasses,
Ces termes sans raison l'un de l'autre écartés,
Et ces froids ornements à la ligne plantés ?
Il faut dire aussi que l'épopée était au XVIIe siècle LE genre qui faisait fantasmer les poètes. Les Classiques français bavaient littéralement sur L'Odyssée, L'Illiade et surtout L'Énéide, ils voyaient que les Italiens avaient eu Roland furieux de l'Arioste et La Jérusalem délivrée du Tasse et puis ils tiraient de l'arrière parce que la Franciade de Ronsard, ça cassait pas des briques. Ce qu'ils se sont cassés, c'est les dents parce que même cent ans après Voltaire se plantait encore en pensant qu'on se souviendrait de lui pour sa Henriade et pas pour ses petites niaiseries farfelues comme Candide écrites sur un coin de table. Et c'est uniquement quand tout le monde a fini par calmer le jeu avec leurs histoires d'épopées que la littérature moderne a pu décoller. C'est la raison pour laquelle il faut remercier Chapelain et Boileau pour avoir permis à tout le monde d'accélérer le pas vers la sortie hors du grandiloquent.

Chapelain finit tout de même à l'Académie française mais on l'affecta au dictionnaire qui allait malheureusement devenir, quelques siècles plus tard, un nouveau sujet de risée, parce que les Académiciens ont, paraît-il, juste ça à faire et qu'il sort une édition du dictionnaire à tous les 50 ans, avec plein des mots qu'on n'utilise plus depuis au moins 40 ans.

Si vous voulez vous aussi lire quelque chose que personne a lu depuis au moins 40 ans parce que c'est universellement mauvais, donnez-vous, c'est par ici. Vous aviez rien de bon à faire aujourd'hui anyway. Je connaissais aussi quelqu'un qui l'avait lue, elle voulait faire son mémoire de maîtrise dessus. Ben vous devinerez jamais quoi, elle a fini par abandonner. FAIL

mardi 5 janvier 2010

Les audios de Foucault, Deleuze, Barthes et Lacan

Lorsqu'on rédige un mémoire ou une thèse, on se retrouve petit à petit à constamment mentir à nos proches en leur faisant croire qu'on travaille sur notre sujet à temps plein comme ce héros du savoir et de la pensée qu'on imaginait encore devenir quelques mois avant alors qu'on était encore à fond dans les séminaires et les travaux de session. On ment à tous les gens qui s'inquiètent de cette situation pour le moins irrégulière et apparemment non productive de celui qui passe ses journées à la bibliothèques au lieu d'aller travailler comme tout le monde. On ment à sa famille, à ses parents, aux amis de la famille, aux anciens collègues de travail, etc. Ceux qui ont le plus de courage mentent à leur directeur en lui disant que ça avance, que ça débloque, qu'il devrait recevoir un plan ou un premier chapitre d'ici quelques mois, promis. Et ce sont peut-être eux les véritables héros de la rédaction parce que les autres s'effondrent carrément dans le bureau du directeur, se mettent à brailler qu'ils sont des nuls, des imposteurs et qu'ils ne sont pas assez intelligents pour faire des études supérieures.

Mais que cachent ces mensonges éhontés? Une vie de débauche? De la drogue, des putes et une spirale de petite criminalité qui mène à la délinquence? Non. Plutôt une existence à la dérive où le travail intellectuel occupe une plage horaire d'à peu près quatre heures par semaine, et ça c'est dans les Grandes Semaines Inspirées. Le reste du temps, c'est des centaines d'heures de séries télé, du facebook compulsif, se noyer dans les statistiques de hockey ou carrément monter son bonhomme au level 55 à World of Warcraft: Wrath of the Lich King pour en faire un Death Knight. Moi par exemple, dans mes années de rédaction, j'écoutais Brave New Waves en jouant à Freecell. À 5347 parties de Freecell.

Pour tous ces garçons et ces filles désoeuvrés, la plus minuscule activité reliée au savoir finit inévitablement par devenir la justification d'une "journée de travail". Penser à quelque chose, écrire une ligne, même prendre l'autobus pour aller chercher un livre à la bibliothèque ("pouaf, je le lirai en fin de semaine") devient l'événement salutaire qui repousse d'une journée au moins la profonde crise d'angoisse et de culpabilité qui bouillonne tout au fond de soi.

Moi je sens bien que Doctorak, Go! représente pour certains cette caution pseudo-intelligente qui permet de survivre au quotidien à la rédaction. Mais je publie seulement une note aux quatre jours, je ne peux pas être là tous les jours pour vous aider à souverainement perdre votre temps et à vous enfoncer dans le rien. Je ne suis pas Dieu! Et ça me fait très mal en dedans de penser à ça. Alors aujourd'hui je veux remédier à tout ça en vous pitchant des liens pour des heures et des heures de divertissement intellectuel sous la forme des audios de cours de Michel Foucault, de Gilles Deleuze, de Jacques Lacan et de Roland Barthes. Et puis comme cette activité d'écoute occupe la pensée et la raison mais laisse le reste du cerveau et du corps en plan, je vous propose aussi des accompagnements à l'écoute, une sorte d'accords mets/vin du désoeuvrement songé.

Les cours de Foucault au Collège de France.
Quoi de mieux que de se relaxer un bon coup en entamant dans sa totalité cette séquence de cours au Collège de France dans les années 70 qui amènera Foucault à retourner sa pensée sur elle-même en la recentrant des institutions à la construction intérieure du sujet?
Activité conseillée: mettre ça dans votre Ipod et aller prendre des marches dans la ville, aller au parc, faire du lèche-vitrine. C'est vivifiant, c'est élégant, c'est raffiné, c'est Foucault.
Pointage sur l'échelle DMAR (diminution momentanée d'angoisse de rédaction): 12/15
Durée: 70 heures

Les cours de Gilles Deleuze à Vincennes
Eh toi, les jeunes! T'as vraiment, mais vraiment vraiment beaucoup de temps à perdre et une vraiment grosse boule d'angoisse rédactionnelle à étouffer? Gilles Deleuze c'est ton homme. En écoutant ça, tu ris, tu pleures, tu vis, puis tu meurs.
Pointage sur l'échelle DMAR: 14/15
Activité conseillée: niaiser sur MSPaint en reproduisant des tableaux de Francis Bacon à la can de spray (hé, Laurence!). Une petite activité créative pas trop compliquée pour se garder disponible pour les grands moments deleuziens que recèlent ces cours.
Durée: 115 heures (conseillé pour ceux qui ont des années de rédaction en vue)

Le Séminaire de Jacques Lacan, les années WTF
Si vous êtes hélas! déjà complètement cinglés, pourquoi ne pas vous lancer dans le décryptage conceptuel des derniers Séminaires de Lacan? Il en perdait un petit peu rendu vers la fin et de sinistres sbires qui se disaient ses amis conspiraient à lui tresser une corde avec des noeuds dedans pour qu'il se pende avec. C'est pas clair, c'est pas clair et même celui qui a rédigé la quatrième de couverture du dernier séminaire publié avoue ne rien comprendre.
Activité conseillée: jouer à Touhou. Parce que d'essayer de suivre un séminaire de Lacan avec ses pièges, ses railleries, son n'importe quoi et son contenu légitime perdu au milieu de son monologue interminable, c'est franchement l'équivalent de se perdre dans un délire de projectiles. Noeuds Borroméens et Yukari Yakumo.
Pointage sur l'échelle DMAR: 3/15 (Ça fucke plus la tête que d'autre chose, risque d'abandon des études en très peu de temps d'exposition)
Durée: indéterminée (vous allez quand même pas vous taper ça?)

Leçon inaugurale, Vivre ensemble, le Neutre: Barthes au Collège de France
Roland Barthes, ça s'écoute vraiment bien. Comme de la bonne pop mélodique sauf que c'est en philosophie.
Activité conseillée: Mais il y a quand même un petit côté bonhomme à Barthes qui peut finir par énerver. Pour contrebalancer cette gentillesse, ce tact et cette pudeur discrètement révélée au public admiratif du Collège de France, pourquoi ne pas se commencer une bonne game de Grand Theft Auto? Voler des chars, péter des gueules, tirer des putes et creuser la question de l'acédie monastique au Moyen Âge, c'est la même chose à la fin.
Pointage à l'échelle DMAR: 7,5/15 (c'est neutre.)
Durée: 25 heures (idéal pour un petit quickie en fin de rédaction)

vendredi 1 janvier 2010

Qu'est-ce qu'un mème?

J'ai été victime de plusieurs chocs émotionnels récemment lorsque je me suis rendu compte à répétition que le mot "meme" manquait au vocabulaire de certaines des personnes les plus curieuses et les plus cultivées que je connaisse. Alors aujourd'hui je me sens généreux et je vais faire encore une fois acte d'éducation populaire en présentant ce concept à l'histoire un peu étrange.

Le nom "meme", mème en français, est, dans une langue comme dans l'autre, assez laid. Il est le produit d'une dérivation plus ou moins heureuse de "gène" et a été conçu par Richard Dawkins dans un essai de 1976 intitulé Le Gène égoïste. La théorie du gène égoïste est déjà fascinante: Dawkins propose que tout organisme ne serait en fait qu'un hôte pour les gènes qui, à la manière d'un virus, auraient leur volonté propre et organiseraient leur propre persistance en s'assurant que l'espèce qui les accueille persiste avec eux. La notion de "mème" apparaît d'une manière très marginale au dernier chapitre lorsque Dawkins, dans un geste assez étonnant, passe soudainement du domaine de la nature au domaine de la culture en proposant que cette dernière évolue sur un modèle analogue à la réplication génétique, soit par une sorte de sélection naturelle dans laquelle les éléments de culture les plus forts finiraient par s'imposer sur les plus faibles. Le mème serait l'unité de base de cette transmission.

Je dois dire que cette idée de génétique culturelle, je trouve ça plutôt bizarre. Suspect même. Ce genre de positivisme appliqué à la culture ne fonctionne à toute fin pratique jamais et participe même à l'occasion de toutes sortes de dérives et d'abus de pouvoir de la part des autorités qui se mettent à s'y référer, a fortiori comme ici lorsqu'on se risque à introduire dans la culture des idées de sélection naturelle et de "survie des plus forts".

Autre détail suspect: Richard Dawkins totally looks like Emma Watson.

Mais pour revenir au mème, c'est après Le gène égoïste que son histoire devient amusante et intéressante. Parce que Richard Dawkins a complètement perdu le contrôle de son concept lorsque celui-ci a commencé à circuler par lui-même. Il faut dire que son succès est devenu immense à partir du milieu des années 90 lorsqu'il en est venu à décrire ces bribes d'information qui circulent en ligne d'une manière accélérée. On est en 1995, tu reçois un lien pour une vidéo d'un singe qui se pisse dessus (à l'époque c'est encore la préhistoire de l'esprit geek, c'est primaire et bestial), tu la trouves toi-même pissante, t'envoies le lien à tous tes amies, qui font la même chose et ainsi de suite. Voilà un mème: le gène de la vidéo du singe qui se pisse dessus possède sa vie propre, il se réplique pratiquement par lui-même.

Dans un premier temps, on pourrait croire que Richard Dawkins a tout pour être heureux: le mème de la vidéo du singe confirme sa théorie: les mèmes ont leur existence propre et ce sont les plus forts qui survivent, et les vidéos de coucher de soleil ou de fleurs qui se balancent doucement dans le vent sont peu à peu appelées à disparaître. Mais d'un autre côté, on sent que quelque chose ne fontionne pas du tout. Parce que la vidéo du singe, après deux mois, on n'est plus capable de la voir. Le mème s'est donc répliqué mais pas nécessairement sur le modèle du génome en route vers sa réplication perpétuelle, il s'est plutôt répliqué sur le modèle du virus qui infecte son hôte, se multiplie en malade au risque d'asphyxier cet hôte, puis retourne plus ou moins en latence jusqu'à la prochaine pandémie.

Le plus drôle dans tout ça, le plus fin du fin, c'est que c'est ce modèle de réplication virale qu'est finalement venu désigner le terme de "mème", concept lui-même perversement autoréférentiel puisque tout le monde aujourd'hui se fout de la théorie du gène égoïste, de son positivisme culturel et de ses liens avec la sélection naturelle, pour ne garder que l'idée de réplication appliquée aux pires conneries qui circulent en ligne. Ainsi, là où Richard Dawkins proposait la pensée de Socrate comme exemple de mème, notre époque, dans sa grande sagesse, propose plutôt le Star Wars Kid (visionné jusqu'ici 15 millions de fois).

Il existe aussi depuis peu un champ du savoir qui s'appelle un peu pompeusement la "mémétique". Il existe même une société francophone de mémétique, mais d'après ce que j'ai pu lire, ils ont l'air de se prendre pas mal trop au sérieux et de rater complètement ce détournement radical et définitif du côté du virus que fait subir présentement la culture geek au concept de mème. "Être à deux dans un parc"? "Porter des baskets"? Come on! Même Milhouse est plus un mème que ça.

Pour ceux qui voudraient creuser le sujet, j'ai plutôt deux sites à suggérer. Ils proposent chacun une approche radicalement opposée pour sensiblement le même corpus de mèmes.

Encyclopedia dramatica, c'est le wikipedia-renversé-sur-lui-même-de-l'enfer-des-/b/âtards. C'est une encyclopédie par et pour des tricksters, un dépôt d'information cryptée, un champ de savoir sarcastique, mais c'est d'abord un site d'avant-garde en matière de mémétique au sens où il constitue non seulement un répertoire des mèmes les plus connus mais plus encore un laboratoire d'expérimentation et de création de toute cette contre-culture de trollage où se construisent les mèmes viraux les plus influents actuellement. Attention, c'est vulgaire et c'est choquant, et c'est ce qui est le plus fascinant: si ta grand-mère qui t'envoie des lolcats savait dans quel bordel malfamé ils ont été créés, peut-être qu'elle se mettrait à pleurer. À juste pleurer.

L'autre site, Know your Meme, est plus conventionnel et plus fiable aussi. Je ne sais pas qui s'en occupe au juste, c'est-à-dire à quel organisme peuvent bien être affiliés les responsables, Jamie Dubs & Greg Leuch, mais leur travail est sérieux, considérable, pertinent et véritablement nécessaire pour comprendre la contre-culture virale des mèmes. Tous les mèmes importants sont ainsi répertoriés, on en analyse la provenance, on reconstitue leur histoire, on propose même des graphes de diffusion en ligne à partir des données recueillies en temps réel par Google. Et quelques fois on propose une excellente interprétation. J'en ai perdu du temps là-dessus, men. J'ai genre passé 9 heures continues l'autre fois à tchecker, comme, 900 demotivationals.

Ils ont une série de courtes vidéos aussi qui sont franchement excellentes. La dernière en ligne contient une entrevue avec le Cookie Monster sur lequel je fais une fixation depuis quelques temps. Om nom nom nom nom!

Know your Meme! Toi, connais tes mèmes!