Que vaut l'art québécois? Pas grand chose à en croire les données d'Artfacts.net. Le site présente en temps réel un palmarès dynamique de tous les artistes présents dans sa banque pour créer un genre de top 55 000 (!) de l'art mondial. La hiérarchisation est construite à partir d'une méthodologie complexe qui accorde à chaque artiste une cote établie en fonction de sa visibilité internationale dans le réseau des musées et des galeries elles-mêmes cotées en fonction des meilleurs artistes qu'elle présente. Ainsi, pour marquer des points, il faut faire des expos solo dans les musées possédant les plus grandes collections, se retrouver dans des expos collectives avec des artistes mieux cotés et être représenté par le plus de galeries commerciales. À l'inverse, une expo dans un musée régional ou une performance unique dans une biennalle ne fera pas monter la cote sur Artfacts. Malgré qu'on puisse remettre en question les critères d'objectivité d'un tel système, ce qui demeure fascinant, c'est la possibilité de maintenir un hit-parade dynamique d'autant de noms au sommet duquel trônent Warhol, Picasso Bruce Nauman, Gerhard Richter et Joseph Beuys. Et c'est quand même un sain divertissement de voir fluctuer les noms au fil des mois: par exemple, Yoko Ono vient de faire un bon de +17, en 68e position, dépassant Pollock qui demeure stable en 73 position, alors que Matthew Barney est en chute libre, ayant perdu 19 places, etc. Et que dire de Latifa Echakhch, une jeune post-déconstructiviste marocaine dont une présence à la Tate lui a permis de faire dernièrment un bon de 5000 positions? Que dire en effet, sinon qu'elle rattrape dangereusement Betty Goodwin et Pascal Grandmaison qui, respectivement en 2510e et 2661e position, sont les deuxième et troisième artistes québécois les mieux cotés sur Artfacts.
C'est pas les gros chars. Quand même, une chance qu'on a Riopelle, le 1872e meilleur du monde entier, juste derrière Inaki Bonillas et Georg Winter, dont je défie un seul lecteur de mon blog de me dire qu'il les connaissait déjà.
On pourra être surpris des résultats, on pourrait même contester la méthodologie d'Artfacts.net si ça nous amuse, mais il reste que le choc provient surtout de s'apercevoir à quel point la culture québécoise est une énigme, une question posée au reste du monde. Comment un peuple occidental peut-il être aussi passionné par la grandeur de sa culture en même temps que celle-ci demeure inconnue, ignorée du reste du monde? Car ce qui est vrai pour l'art contemporain l'est aussi pour la littérature et la musique savante (maudit nom laid) (alors qu'on s'en tire moins mal avec la télévision, le cinéma et la musique populaire, quoique nos perceptions ne sont pas exemptes, là aussi, de distorsions).
Ce qui me fascine, ce n'est pas de n'apparaître nulle part, c'est plutôt qu'on s'accroche à cette idée que nous avons, que nous devons avoir, contre l'avis de tout le monde, une culture artistique, musicale et littéraire, et qu'à cause de ce différend que nous avons avec le reste du monde, cette impossibilité de nous entendre sur le statut à donner à nos artistes et à notre culture, la valeur qu'on peut leur attribuer se trouve suspendue. Ce qui me fascine, c'est l'idée que, pour une majorité de gens, Riopelle mérite sa 1872e place et qu'il ne suffise pas de dire que si nous on aime ça beaucoup, ça vaut plus. On peut alors adopter l'attitude progressiste que la politique culturelle québécoise a choisi d'adopter: travailler à diffuser notre patrimoine à l'échelle internationale en attendant que ça paie. Mais on pourrait aussi retourner cette situation sur elle-même et troquer l'attitude progressiste pour une attitude qu'on pourrait appeler "tragique" en nous forçant à repenser notre rapport à la valeur, au sujet, à l'histoire, en cherchant ce que la singularité de cette position pourrait nous permettre de dire que personne d'autre ne peut penser. Nous sommes peut-être l'inconscient de la culture européenne, ou plutôt sa mauvaise conscience de l'Occident, une annexe de mauvaise humeur dans son histoire. Que peuvent dire les fantômes sur cette réalité à laquelle ils appartiennent mais dont ils sont pourtant exclus?
Je donne les résultats de ma petite recherche des artistes québécois sur Artfacts.net. Les + et les - indiquent si leur cote a monté ou descendu depuis le dernier recensement.
1872 - Jean-Paul Riopelle
2510 - Betty Goodwyn
2661 + Pascal Grandmaison
2994 - Geneviève Cadieux
3501 - Alfred Pellan
3662 - Rober Racine
4148 + Paul-Émile Borduas
4221 - Yves Gaucher
4728 - Guido Molinari
6859 + Marcelle Ferron
7282 - Jacques Hurtubise
7569 - Nicolas Baier
8316 + Jean Paul Lemieux
8695 + Isabelle Hayeur
9379 - BGL
9877 - Pierre Ayot
9887 + Jocelyn robert
Tex Lecor ( non répertorié)
Fascinant et choquant à la fois, ce palmarès... (Bruce Nauman en 3e place... what?)
RépondreSupprimerMais l'art ce n'est pas ça, faire des palmarès. Ce "ranking" est excessivement institutionnel (qu'est-ce que diffusent les institutions, quelles institutions sont les plus hot), voire capitaliste (c'est la loi de l'offre et la demande...).
Alors je suis peut-être bien jovialiste "progressiste", mais ça ne me déprime pas.
Cela dit, c'est vrai que la position dans laquelle ça nous place (les oubliés de l'Occident) est intéressante. Tant que ça ne devient pas uniquement une relation de frustration classique, métropole VS colonies...
Un palmarès, au moins, ça donne une représentation de la multiplicité en art. J'ai passé l'après-midi à lire sur les prix littéraires... Ça fait peur les prix littéraires, partez-moi pas sur les prix littéraires.
RépondreSupprimerAllez, allez, on veut t'entendre!! :)
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