vendredi 4 décembre 2009

La typo du déclin de l'empire hollywoodien

Aussi étrange que ça puisse paraître, je ne suis pas allé voir un film commercial américain au cinéma depuis 2005. J'étais allé voir la Guerre des étoiles, il me semble. Et je ne me rappelle vraiment pas de la fois précédente mais, sérieusement, je pense que c'était dans les années 90, Never been kissed avec Drew Barrymore, si je me souviens bien parce que pendant une semaine je m'étais fait un petit festival personnel de films de collège en vidéo et aller en voir un au cinéma constituait l'apothéose de mon festival. Qu'est-ce que vous voulez, on s'amusait comme on pouvait dans le temps qu'il n'y avait pas souvent de soirées de poésie.

Tout ça pour dire que mon seul contact avec le cinéma américain, c'est à peu près les boîtes de DVD de la bibliothèque nationale. J'aime bien ça les passer une par une en espérant tomber sur quelque chose de bien, mais la plupart du temps, c'est la grosse misère. En dedans de la boîte comme dessus parce que, franchement, leur design affreux a tout pour conforter les gens dans leur mépris du cinéma américain. Il s'est opéré depuis quelques années une standardisation de la présentation jusque dans les choix typographiques et c'est la raison pour laquelle j'étais vraiment content de trouver cette vidéo qui fait ce constat frappant: LA typo qui domine absolument le visuel des blockbusters, c'est Trajan.


Trajan! Trajan! Trajan! C'est majeur comme constat, si l'on considère tout ce que ça implique esthétiquement. Car le sens à donner à cette typo est franchement étrange. D'abord, elle s'inspire directement des inscriptions qu'on trouve sur la colonne Trajane, un monument romain racontant les victoires militaires de l'empereur Trajan. Cette colonne est un des monuments les plus importants de l'histoire de la typographie puisque c'est en reproduisant ses caractères que les premiers typographes ont initié la famille des polices romaines (WTF "je mange du boeuf haché"?!), dans laquelle on retrouve entre autres Bembo, Baskerville, Caslon, Bodoni, Times New Roman et Garamond. Cette famille constitue le type de police le plus répandu et le plus neutre qui soit, on ne la remarque pas et c'est la raison pour laquelle la quasi totalité des longs textes publiés l'utilise. Mais la police Trajan s'inscrit plutôt tardivement dans cette histoire, elle est conçue en 1989 et constitue une sorte de retour à la monumentalité des inscriptions romaines. C'est en fait une police pompeuse et résolument conservatrice, pour ne pas dire réactionnaire. Son néoclassicisme tonitruant n'est pas sans évoquer l'esthétique nazie dans son désir infantile et débile de reproduire la splendeur de l'Empire romain d'une manière complètement décontextualisée. En poussant l'interprétation, on pourrait même affirmer que Trajan remet en question toute la riche histoire des polices romaines, à la source de la démocratisation de l'écrit par la force de sa neutralité qui permet la lecture des textes longs, pour revenir à l'inscription courte et autoritaire, construite pour imposer la loi de l'occupant et pour immortaliser ses victoires militaires sur des monuments. D'une certaine manière, Trajan est la typo de la bêtise et du cynisme, une typo faite pour les dictateurs et les autocrates sans éducation qui cherchent à montrer au monde un raffinement esthétique qu'il ne posséderont jamais. C'est la typo de Sarkozy, c'est la typo de Poutine, de Berlusconi... et c'est la fucking typo de Stephen Harper et je niaise vraiment pas: le logo de l'Alliance canadienne était en Trajan!


Mais depuis sa mise en circulation, Trajan s'est surtout retrouvée associée à la facture visuelle du cinéma commercial américain, au point qu'elle en est aujourd'hui à peu près indissociable. Alors, quel sens doit-on donner à sa surutilisation?

a) Peut-être une interprétation néomarxiste: le cinéma commercial américain serait arrivé à un niveau de vanité monumentale, si monumentale que pour lui la section DVD des Walmart du monde entier est devenu l'égale d'une colonne Trajane glorieuse et solennelle, où est inscrit le récit des campagnes victorieuses pour la domination culturelle américaine;

b) Peut-être une interprétation nietzschéenne: le cinéma commercial américain tournerait à vide et il le saurait. Des séquelles à n'en plus finir faute de scénarios originaux, des séquences d'effet spéciaux pour masquer un appauvrissement général du langage narratif et des recettes au box office qui ne suffisent plus à couvrir les coûts de production. Le cinéma serait même tellement paniqué de sentir qu'il ne livre plus la marchandise qu'il se vautrerait dans une sorte de néoclassicisme pompeux à la manière de ces dictatures qui emploient leurs dernières énergies à leur propre édification en construisant des bâtisses massives et truffées de colonnades ou en reproduisant à l'identique mais en plus gros des basiliques romaines en plein milieu de nulle part.

Assurément, le cinéma hollywoodien ne doit pas être aveugle à l'imposture que révèle la surutilisation de Trajan dans son iconographie. Car ce n'est pas son premier retour décadent à la "splendeur" romaine. On a l'impression d'une répétition des années 60, de la grande époque des péplums de 3 heures avec Charlton Heston, mais où la science-fiction aurait remplacé l'Antiquité, apparemment tournée vers l'avenir si ce n'était de cette police Trajan qui colle partout, trahit l'ensemble et révèle la secrète angoisse de l'appareil hollywoodien qui regarde en arrière faute de savoir quoi faire ensuite.

Mais ce qui m'embête, ce n'est pas que le cinéma américain soit d'une bêtise monumentale comme dans les années 60, mais plutôt que, au contraire des années 60, il ne semble pas y avoir d'alternative bouillonnante et brouillon pour proposer autre chose. Où sont la nouvelle nouvelle vague, le nouveau cinéma direct, le nouveau cinéma indépendant américain?

???

Ce soir, je vais à la première de Panique au village au cinéma du Parc!

5 commentaires:

  1. love it! s'insurger contre une typo, faut le faire!

    RépondreSupprimer
  2. Je crois que si l'on se fie aux lois de l'Internet, faire une allusion aux Nazis discrédite automatiquement toute ton argumentation. Désolé.

    RépondreSupprimer
  3. Seb. L.: Mmm pour contrecarrer une accusation de Reductio ad hitlerium, la seule solution, comme tout le monde sait, c'est de re-sous-titrer la séquence de Der Fall sur le thème "Hitler hates the Trajan font".

    Y a-tu quelqu'un qui connaît une application en ligne qui permet de le faire?

    RépondreSupprimer
  4. C'est d'autant plus déprimant qu'il n'y a même pas d'insidieuses machinations pour mer(de)cantiliser le cinéma américain. À moins que toute la commercialisation passe justement par ça, la non-originalité (ou le "loop" nietzschéen, comme vous dites)? Auquel cas je suis complètement hors de la sphère...

    Même pas de sournoises conspirations, mais juste du gros lettrage colon. Y'a vraiment rien à y faire.

    RépondreSupprimer
  5. J'ai rarement lu un tel monceau de conneries. Stigmatiser et politiser une typo est déjà assez stupide,et ça devient carrément drôle lorsque l'on voit la très lourde, vilaine et "sans humour"typo du site qui développe cette diatribe .

    RépondreSupprimer