Cette pièce est indissociable de la scène underground montréalaise depuis les années 80. D'abord un hit dans les bars "alterns" comme le Passeport ou La mansarde dès la fin des années 80, elle est ensuite passée sur la scène gothique-industrielle du milieu des années 90. C'est là que je l'ai d'abord découverte, dans ce trou swompeux wicca-trash qui s'appelait le Vampire Lounge. Puis, j'ai perdu de vue "La Gatta", mais elle a continué de faire son chemin jusque sur la scène indie-hipster du milieu des années 2000 où elle fitta merveilleusement bien avec le son électro-païen de groupes comme Les Georges Leningrad, Duchess Says, AIDS Wolf ou Dandi Wind. Est-ce que, par l'almalgame de sa violence rituelle, de son langage apparemment ésotérique et de ses arrangements électro, "La Gatta" de Generentola est un élément fondateur de ce son underground si caractéristique de Montréal? Peut-être bien, peut-être bien.
Cette pièce, nous apprend le blog Flaky Disco, vient d'un 12 pouces obscur découvert par des employés du magasin de disque indie montréalais Wow à la fin des années 80. Ils l'avaient incluse sur une compilation intitulée Strange Pleasures Vol. 1. Mais durant des années, personne n'est jamais arrivé à obtenir aucun détail sur le groupe Generentola. On savait qu'ils étaient italiens, mais même en Italie, Generentola semblait trop obscur pour apparaître sur aucune base de donnée, ce qui n'était pas sans rajouter à la mystique occulte de "La Gatta", qui devenait par là comme la trame sonore des mystères d'Eleusis, transmis de génération en génération depuis les Romains jusqu'à nous.
Or hier, en passant 5 os-se-ties d'heures à réinstaller 14 000 chansons parce que mon Ipod a mis sa plogue dans un trou qu'il fallait pas, je me suis retrouvé à creuser la question de cette pièce qui me tournait dans la tête depuis que je l'ai réentendue récemment au Korova. Ma petite enquête en ligne m'a d'abord permis de me rendre compte que le mystère de Generentola vient probablement d'une erreur de transcription lors de la confection de la compilation de Strange Pleasures Vol. 1. Car en italien, Cenerentola, A Gatta (et non pas Generentola), ça fait "Cendrillon - le chat", ou "le chat de Cendrillon" plus exactement. Et quand on cherche encore un peu, on trouve ce titre associé à un compositeur de musique de films italien nommé Roberto De Simone. Alors la pièce aurait dû être dès le départ référencée de cette manière: Roberto De Simone - Cenerentola A Gatta. J'avais ouvert plein d'onglets dans ma recherche et j'en étais à me demander où est-ce que je pourrais bien aller pour confirmer cette histoire, quand le pièce se met à jouer! Pour rien! Je me garroche dans les liens! Et je trouve ça, un défilé de mode. Yes.
C'est là qu'Annie Q intervient, c'est elle qui m'avait reparlé de cette pièce au Korova, me disant qu'elle avait le vinyle. Je lui écris et puis là, bang, elle me revient avec ce lien vers un blog de WFMU (la ressource absolue en matière de musique undeground) qui élucide définitivement le mystère de Generentola. J'en donne une traduction, modifiée avec quelques notes:
La Gatta Cenerentola était une réinterprétation radicale du conte de Cendrillon en dialecte napolitain, écrite en 1976 par Robert De Simone qui, dès les années 60, avec entre autres la compagnie NCCP (Nuova Compagnia di Canto Popolare), réinvente et redécouve les sources de certains contes traditionnels. Les découvertes qu'a faites De Simone dans le cadre de ses recherches ethnographiques rappellent à plus d'un égard la tradition celtique du Wicker Man par l'évocation d'une sous-culture foncièrement païenne en plein coeur de la campagne napolitaine, apparemment préservée de toute influence du catholicisme. La pièce de De Simone puise à même la culture de cette communauté matriarcale de bergers et de fermiers fondée sur des relations complexes, hautement ritualisées et riches d'une tradition musicale singulière. Cette pièce, tirée d'un court opéra composé par De Simone, constitue un de ses moments les plus intenses, et intitulée "Secondo Coro Delle Lavandaie", préfigure étrangement un certain son de la scène No-Wave new-yorkaise, des Slits ou des Kleenex, par exemple.On peut même écouter un extrait vidéo d'une reprise de la scène des lavandières ici, vous pourrez pas dire que je vous gâte pas:
Étonnamment, la mystique ésotérique de "La Gatta" se trouve complètement préservée par cette élucidation. Car cette histoire, avec ce qu'elle implique après-coup d'occultation des origines de la chanson et de sa transmission presque secrète de main à main entre DJs montréalais (car la pièce n'a jamais été rééditée) constitue un rare exemple de filiation entre la tradition du paganisme européen et la scène de la musique underground. Même Jimmy Page, avec sa fascination pour Aleister Crowley n'a jamais réussi à effectuer cette filiation. Le rythme, le RYTHME! C'est envoûtant!
Voilà, vous me direz si cette histoire était déjà connue, si la roue existait déjà avant qu'on l'invente, mais ce matin, je me sens complètement comme quand Tom fait un thumbs up dans le générique de Les Intrépides. Alors n'oubliez pas, si vous avez des soucis avec une toune, il suffit d'un appel pour que tout devienne limpide en tabaslak avec Quenneville et Doctorak.
Oh shit. Ça faisait des lustres que j'essayais de retomber sur cette toune-là.
RépondreSupprimerJoie! Mais déception aussi?
RépondreSupprimerParce que c'est ce qui est un peu plate avec notre époque: il se trouve toujours quelqu'un pour mettre en ligne les oeuvres les plus mythiques de ta mythologie personnelle et les quêtes impossibles pour le retrouver, ces quêtes qui donnaient un sens à ta vie se terminent sans feu d'artifice un après-midi entre un mail de "qu'est-ce tu fais à soir" et un update de lolcats.
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RépondreSupprimerAvec Internet, tout circule bien et huileusement - sauf les légendes. Les légendes viennent justement d'une sorte de non-circulation, toute contraire au temps réel où nous baignons. Tout est maintenant clair et nu, comme sous des néons, et parfois trop pour judicieusement et crassement halluciner en paix. Idem pour la quête. Don Quixote aurait été malheureux en ce siècle, mais Sancho aurait ri.
RépondreSupprimerCeci dit : waow, dude. Ce lien avec le paganisme est flambant hot.
Merci (et je lève le pouce).
Ehhhhh bien!!! Un mystère de résolu!!! Bravo pour les recherches!
RépondreSupprimerViarge, merci Mathieu! Y a quelqu'un aux Éditions de Ta Mère qui est donc content d'apprendre ça... on s'en reparle autour d'une broue!
RépondreSupprimerViarge, j'ai toujours soupçonné les éditions ta mère d'être un front pour un culte païen de fertilité fucked up.
RépondreSupprimerL'un n'empêche pas l'autre. Pendant 36 ans, Fidès a été un front pour les Chevaliers de Colomb jusqu'au Grand Schisme de 1984... ; p
RépondreSupprimerPour célébrer l'équinoxe du printemps, j'aimerais mieux danser nu sur le Mont-Royal avec ta mère en écoutant Generentola que de jouer au pool à l'unité Domrémy de ma paroisse avec les Chevaliers de Colomb en écoutant Ovila Légaré, ce folkloriste païen.
RépondreSupprimeralex lemieux a déjà écrit ça sur son myspace, ou son blogue, ou quelque chose comme ça, dans le temps ou le zoobizarre existait...
RépondreSupprimerensuite je l'avais fait jouer dans une soirée au chalet autour d'un feu quand tout le monde était sur les champignons, c'était aussi assez fondamamentalement païen.
Have a look :
RépondreSupprimerhttp://www.youtube.com/watch?v=hB-Snu6qgxY&feature=related
Ohh WOW! La mise en contexte! ehe
RépondreSupprimerLe Maestro Roberto De Simone n'est pas un quelconque "compositeur de musique de films", mais un émérite musicologue, compositeur, connaisseur et spécialiste de la musique napolitaine baroque et des traditions populaires de la Campanie.En plus il mondialement connu pour ses splendides mises en scène d'opéra pour les plus grands théatres d'Europe, que ce soit au San Carlo, au Covent Garden ou à l'Opéra de Vienne
RépondreSupprimerSi ça vous tente, laissez-moi vous raconter une petite histoire. En 1976, la branche italienne de la compagnie de disque EMI a produit un 12 pouces promotionnel du succès commercial du groupe Tavares "Heaven send me an angel. Pour des raisons obscures, EMI habille la face "b" avec La gatta, allez savoir pourquoi. Suit un lien vers le fameux vinyle.
RépondreSupprimerBen non, j'ai pas fini mon histoire. Un dj populaire de Montréal, un certain Mario, met la main sur le disque et découvre la face "b" qu'il s'empresse de faire découvrir à ses amis incluant d'autres Dj's. Un soir, après une game de hockey, un de ses amis, appellons cet autre Dj "oiseau", reste a coucher chez Mario. Oiseau se leve dans la nuit, se rend dans le studio de Mario et fait une copie de La Gatta sur le reel to reel du proprio à l'insu de ce dernier. Le ruban est facile a cacher dans le puant sac de sport....
RépondreSupprimerVoici la finale. En 1987, notre oiseau, alors un peu plus connu, se permet alors de produire le fameux "strange pleasure vol 1" et d'y placer ce son etrange et fascinant non sans modifier le debut avec le bizarroïde cri d'éléphant.... Oui j'ai une copie mais, non, elle n'est pas a vendre.
RépondreSupprimerMerci, Anonyme, d'avoir saisi cette occasion pour aller au fond de cette histoire.
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