lundi 31 janvier 2011

Virginie Beauregard D. - Les heures se trompent de but

Je n'ai rien à dire sur Les heures se trompent de but. Et pourtant c'est un des recueils que je lis le plus souvent, pour rien, juste parce que les images et le rythme ont l'élégance accessible de la musique pop sans pourtant céder un centimètre de poésie à la chanson ou au récit. Il n'y a rien à dire, alors je fais quoi? Je dis que "c'est bon"? J'écris une critique vaguement métaphorique et sentie, compte rendu d'une expérience de lecture singulière pour moi mais interchangeable pour celui qui le lira? Je pourrais aussi me dévoiler un peu en échange, avouer que je trouve difficile d'accepter en tant que critique qu'un recueil soit aussi émouvant pour des raisons qui m'échappent, comme m'échappent aussi les raisons du bonheur d'écouter Avec pas d'casque. Comme si Virginie Beauregard D. prenait mes mains inquiètes de tant de choses littéraires et m'écrivait: prends congé ce soir, il n'y a pas de problème, il n'y a pas de question.

Virginie Beauregard D. Les heures se trompent de but, L'écrou, 2010, 171 pages.

samedi 29 janvier 2011

Zviane - Apnée

Parce qu’elle est essentiellement un art du langage, la littérature a toujours été fascinée par le paradoxe du silence qu’elle ne peut dire qu’à la condition de le briser par la parole. Même l’écriture n’arrive au silence que par diffraction, en créant une scène interdite à la lecture muette. Les arts de l’image (dessin, peinture) en revanche, sont par avance muets mais néanmoins obsédés par le blanc, par la représentation d’une absence où il n'y aurait rien à voir. Comme roman graphique situé à cheval entre le roman et l’image, Apnée trouve admirablement bien cet espace où il devient possible à la fois de raconter le silence intérieur et de représenter le vide que celui-ci crée, à partir de ce point hors de soi dans lequel nous pousse ces apocalypses intimes catastrophiques et invisibles aux autres.


Zviane, Apnée, Pow Pow, 2010, 82 pages.

jeudi 27 janvier 2011

Carl Vézina - Belooga Joe

Il y a beaucoup du carnavalesque rabelaisien dans Belooga Joe : emprunts à la culture populaire, langue vernaculaire halucinée, renversement du haut et du bas, scatologie, mise de l’avant des pulsions sexuelles et de tous ces petits secrets du corps ce que les mœurs de la bonne société cachent d’ordinaire. Le monde des zines, supposément si libertaire et décomplexé par rapport au monde de l’édition traditionnelle, produit trop peu de ce genre de projet esthétique, ce qui rend Belooga Joe d’autant plus fascinant.


Belooga Joe

mardi 25 janvier 2011

Carole David - Manuel de poétique à l'intention des jeunes filles

Sous le couvert d’écrire « à l’intention des jeunes filles », Carole David prend acte de la sensibilité de notre époque et développe une esthétique qui lui convient parfaitement : laisser tomber la profondeur souvent plus absconse que profonde des images poétiques pour ne garder que le détail qui en permet l’indexation rapide : Anne Hébert et ses os, Mary Shelley et son monstre, Jeanne d’Arc et le bûcher, etc. Mais ces référents ne sont simplifiés que pour permettre l'exploration d'un espace plus vaste de l’expérience féminine actuelle que développe chaque partie du recueil : détailler les couches stratifiées de son histoire (« Les pieuses domestiques » et « Icônes »), la richesse de sa sensibilité (« Études), de même que les contradictions idéologiques et les tensions que notre époque n’arrive pas à dépasser mais qui font sa richesse (« Kitchen song »).

Carole David, Manuel de poétique à l'intention des jeunes filles, Les Herbes rouges, 2010, 84 pages.

dimanche 23 janvier 2011

Simon Paquet - Une vie inutile

Comme pour toutes les grandes œuvres de l'humour, le rire d’Une vie inutile court en surface d’une époque désastreuse, la nôtre. Elle n’est plus l’époque des tensions sociales exacerbées d’Yvon Deschamps, ni celle de la vie absurde et sans fondement métaphysique des Voisins de Claude Meunier. Cette époque est plutôt celle de la peur et du mépris désintéressé des autres, de la misanthropie nonchalante. Incapable de s’intéresser aux hommes comme de vouloir leur perte, le narrateur d’Une vie inutile se maintient hors de leur compagnie en sautant d’une réflexion saugrenue à l’autre, laissant sa pensée apathique s’embourber dans les détails farfelus de l’existence, parlant comme pour combler le vide d’actions terribles et potentiellement destructrices, et goûtant ce malaise de notre époque sans doute moins dommageable que la tempête qu’il présage et qui ne viendra, on l’espère, jamais.

Simon Paquet, Une vie inutile, Héliotrope, 2010.

vendredi 21 janvier 2011

Erika Soucy - Cochonner le plancher quand la terre est rouge

Une Côte-Nord sale et rough faites de petits criminels, d'ornières de boue, de parcs de maisons mobiles et d'alcooliques. Cet univers de la campagne brute est rarement décrit d'une manière juste parce que d'ordinaire ses habitants, trop occupés à lui survivre, n'en voient pas la singularité et que ceux qui la découvrent restent fascinés par des impressions de surface et ratent inévitablement ce qui, de l'intérieur, constitue l'essentiel de sa trame. Pour arriver à la dire, il faut tout à la fois en avoir été imprégné, avoir gardé intacte cette sensibilité qu'elle détruit dès l'enfance et n'avoir conservé à son égard aucune rancune et aucun mépris, seulement la froide objectivité qui n'exagère ni le beau, ni le laid. C'est dans la finesse du détail qu'Érika Soucy y parvient, se souvenant moins des clichés pittoresques de la rigueur nord-côtière que de la banalité de sa violence : gaspiller « l’argent des clames », les bijoux achetés chez Rossy, la télé laissée dans le noir à TQS.

Erika Soucy, Cochonner le plancher quand la terre est rouge, Trois-Pistoles, 2010, 65p.

mercredi 19 janvier 2011

William S. Messier - Épique

Les Conseils des Arts accordent aujourd'hui une importance démesurée au genre du conte oral, régionaliste et vaguement folklorisant. Démesurée car l’actualité du conte est à trouver aujourd'hui dans ce roman de la campagne hallucinée du genre d’Épique qui loin d’être tourné vers le fantasme d’un terroir d’antan s’ancre dans une esthétique où l’imaginaire geek (le Power Glove de Nintendo, Chuck Norris, Manuel Hurtubise, etc.) côtoie celui d’une campagne désoeuvrée où les cultivateurs ont cédé la place aux camionneurs et aux employés de la voirie. Dans cette campagne vidée de son sens, il n'y a plus rien à faire qu’entretenir les routes qui mènent d’un grand centre à un autre. Et parler, créer des légendes jusqu’à y croire soi-même.

William S. Messier, Épique, Marchand de Feuilles, 2010, 273 pages.

mardi 18 janvier 2011

15 publications intéressantes 2010 selon l'Académie de la vie littéraire au tournant du 21e siècle

Oh que non, Doctorak, Go! n'est pas encore mort! C'est que c'est long à s'occuper de, cette montagne de piasses que j'ai faite en vendant des t-shirts de Louis Ferdinand Céline Dion dans le temps des fêtes. Mais rassurez-vous, je ne suis pas au bout du rouleau (de cennes).

Car on passe aux choses sérieuses maintenant, avec une nouvelle programmation: à partir de demain, et ce, pendant un mois, nous vous présenterons ici 15 des publications québécoises les plus intéressantes de 2010 telles que choisies par l'Académie de la vie littéraire au tournant du 21e siècle. Et critiques à l'appui qui plus est. Parce que faire des listes et garrocher des noms, tout le monde peut faire ça sans expliquer les raisons pour lesquelles on devrait aller lire ces oeuvres. Et ça, c'est à la portée du premier comité de prix littéraires officiel venu, Gouverneur général, Prix des collégiens, Grand Prix du livre de Montréal, n'importe quoi. C'est facile. Tellement facile que je pourrais même m'insérer à l'instant dans cette liste de 15 publications si ce n'était de cette maudite obligation que je me suis donnée de dire quelque chose d'intéressant sur chacune d'entre elles. Mais là, je cherche, je cherche et je ne trouve rien à dire sur ne serait-ce qu'une des deux ou trois affaires pas trop connes que j'ai réussi de peine et de misère à pondre cette année. Mais qui sait? Peut-être que je vais trouver quelque chose de brillant à dire sur mon oeuvre d'ici un mois?! Hein? Non mais, j'ai quand même fondé cette Académie dans le but d'avoir une chance au moins de temps en temps de faire parler un peu de mon petit talent! Alors souhaitez-moi bonne chance et d'ici au dévoilement (espéré) de mon nom, je trépigne full d'excitation. Je me peux juste pu.

Alors ça commence demain.