mercredi 13 mars 2013

Geoffroy Delorey et Nicolas Lachapelle, Pavé et mémoire


On a pu voir paraître, quelques mois à peine après le "printemps érable", plusieurs dossiers spéciaux, d'essai ou de fiction, qui tentaient de comprendre et raconter l'événement. Plusieurs mémoires de maîtrise porteraient même présentement sur le sujet. Mais même si chaque publication essaie consciencieusement d'éviter les pièges, l'effet de masse ne peut produire au final qu'une sorte d'institutionnalisation instantanée qui, faute de distance suffisante, tourne plus souvent qu'autrement à la célébration et la folklorisation, à la séparation de la praxis qui engage complètement l'individu et de son récit qui n'engage que sa parole.
Pavé et mémoire consiste en 36 pages reliées par quatre boulons à une véritable brique rouge qui en constitue le centre. Une "brique littéraire", un texte "lourd", une lecture potentiellement "assommante"... Les métaphores s'agglomèrent autour de cet objet, mais n'arrivent pourtant pas à l'épuiser, à en atténuer la singularité. Car cet objet est incriminant, il pourrait être considéré comme une arme lors d’une fouille policière et il incarne pour cela toute l'ambiguïté  propre aux dérapages idéologiques apparus dans l'espace public au printemps 2012 lorsqu’une marque militante, une oeuvre politiquement engagée pouvait entraîner une arrestation et une détention arbitraires. Pavé et mémoire en parle : nous avons vu pointer un instant chez nous l'ombre du totalitarisme qui confond la violence et la critique, la dissidence et la délinquance. Et c'est ce souvenir terrifiant qui donne à la brique sa lourdeur, sa pesanteur terrible. Elle conserve par sa matérialité même ce quelque chose d'engageant, de risqué, qu'aucuns des textes publiés dans les mois qui ont suivi le printemps 2012 n'ont su préserver.

Geoffroy Delorey & Nicolas Lachapelle, Pavé et mémoire, Coopérative d’édition en jachère, 2012

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