Comme j'ai tenté de le dire, l’essai ne répond à aucune nécessité individuelle. Je veux dire que je ne ferme pas la télé en me disant qu’il faudrait bien que j’écrive de quoi d’intelligent avant de me coucher. (En fait, c'est ce que je me dis quand je fais de la fiction : « il faudrait bien que je fasse de quoi de beau pour pas me dire que j'ai perdu ma journée ») C'est probablement la raison pour laquelle je n’écris pas beaucoup, je ne sens pas le besoin de me sentir intelligent. En revanche, l’essai répond à une nécessité extérieur, à une urgence de réagir à quelque chose que j'ai vu ou entendu. À ce moment je suis purement guidé par une intuition.Vous devriez voir ce qui sort dans Google Image quand on cherche "essai": c'est vraiment du gros n'importe quoi de cul.
Je n’écris que lorsque je sens l’urgence monter en moi. Je suis une personne assez timide en public, alors je sais pas si ce que je vais raconter vous l’avez déjà senti : vous êtes dans un cours ou une assemblée et soudainement la discussion provoque une sorte de panique sourde chez vous qui vous fait vous crisper sur votre chaise et vous dire : merde il va falloir que je parle, je voulais pas parler mais là je peux pas laisser ça comme ça, il faut que je parle. Moi ça me met mal à l’aise à chaque fois : je me sens poussé par mon désaccord à prendre la parole en public, ce que je n’avais pas du tout prévu faire.
Écrire un essai provient de la même impulsion : on se dit qu’on voulais pas le faire, que ça nous fait chier de le faire, mais que là on peut pas laisser passer ça parce que c'est important et que personne va en parler si on se ferme la gueule. Ça m’est arrivé dernièrement : j'ai entendu à la radio le romancier Jean-François Beauchemin parler de son dernier livre et ça m’a mis le feu au cul. Pas parce que son livre avait l’air mauvais, mais parce que son roman entretient une vision pseudo-théologique de la vie factuelle de Jésus, une vision qui se montre complètement ethnocentrique et dépourvue de sens historique. Cet article, publié dans le dernier numéro de Spirale, n’a à la limite aucun rapport avec Jean-François Beauchemin, mais plutôt avec une certaine complaisance à l’égard de l’histoire qui est intolérable et inadmissible. Je ne sais pas si cet article va être lu, ni par combien de personne, mais je sais que je me devais de l’écrire, que je me le devais à moi-même, parce que j'ai senti qu’il était intolérable de laisser les gens vivre dans cette bêtise de l’absence de sens historique et que si dans cinquante ans on considérait le début des années 2000 comme une époque de cul pour la pensée critique, j’aurai au moins fait l’effort de dire que c'était pas tout le monde qui l’acceptait.
mercredi 3 décembre 2008
Des essais contre une époque de cul
Je dois donner une conférence sur l'essai dans le cours de Catherine Mavrikakis vendredi. J'en donne un extrait qui finit en feu d'artifice dans ma tête, j'espère que ça aura pas l'air d'un feu de bengale qu'il faut que tu rallumes trois fois avant qu'il soit tout brûlé.
Comme quoi, ça prend des couilles pour "pondre" (le terme plus gicleur me semblait trop hard) un essai. ; p
RépondreSupprimerJ'ai apprécié l'extrait, tu publieras la suite?
Ce que je comprends de cet article, c'est que les couilles te gonflent tout seul à un moment donné et ça te fait mal et là ça n'a pas le choix de gicler sauf que ça demande l'effort d'un jet direct et perspicace. Mais bon, je dis ça en tant que femme...
RépondreSupprimerC'est comme un courage qui s'impose, quelque chose comme une nécessité de réagir. En même temps, ça c'est juste l'impulsion première, tu construis pas tout un essai là-dessus. Ce serait donc effectivement chouette d'en lire/entendre plus.
Mathieu, j'espère que ça s'est bien passé ta conférence! Je voulais simplement te dire que non cette "urgence qui monte en soi" quand on s'indigne et que l'on voudrait intervenir ne m'est pas étrangère... Je me rappelle oui dans les cours, les séminaires, quel effet PHYSIQUE elle avait sur moi : mon rythme cardiaque augmentait, et je sentais mon coeur battre jusque dans mes mains. Il arrivait parfois - et cela m'indisposait horriblement - que je rougisse, et d'une manière toute particulière : mon visage devenait criblé de plaques rouges (et presque violacées, je crois, si l'indignation était trop grande!!). Si tel était le cas, si je rougissais, alors c'était foutu, j'avais raté ma chance, je n'intervenais pas, car je ne voulais pas attirer l'attention sur cette manifestation physique de mon émoi. Par contre, si je réussissais à ne pas rougir, alors je parlais. Et là, ce n'était pas fini les symptômes physiques : pendant que je parlais, je sentais mes pupilles se dilater, et ça pouvait aller jusqu'à l'acouphène, comme un grésillement de fil électrique à haute tension dans mes oreilles, dans ma tête. Après, je me rappelais à peine ce que j'avais pu dire, ou comment c'était sorti. Ouf! Pouf! Cling! Bong! (Mais j'étais fière quand mes propos semblaient avoir un écho chez les autres!)
RépondreSupprimerCe qu'il faut en baver, n'est-ce pas!?
Amicalement,
La Louve: je dirais plus que je me sens aspiré par le débat. J'ai pas souvent l'impression que c'est une impulsion qui m'appartient.
RépondreSupprimerMaggie: c'est ça! Ça me fait ça aussi quand je vais voir un spectacle et que les performeurs descendent dans la salle pour "interagir" individuellement avec des spectateurs. Je regarde par terre, j'essaie de devenir le plus petit et le plus quelconque possible.