Sur le site Gallica 2 (2!), on trouve des tonnes de textes numérisés d'importance historique secondaire mais dans lequel on trouve des trucs pas possible quand on cherche un peu. Ainsi, entre deux livres sur la syphilis et les moeurs décadentes, j'ai trouvé un récit de voyage au Canada à peine croyable d'un Français venu passer deux mois à Montréal en 1908. Ça s'appelle Voyage au Canada, raconté au jour le jour d'après les impressions reçues.
La ville est remplie de filles qui se prostituent ; il n'y a pas de maisons publiques reconnues, mais la prostitution n'en est que plus grande dans toutes les classes de la société et les cas de maladies vénériennes abondent. En général, la propreté, laisse à désirer ; les femmes sont paresseuses et aiment la toilette; les hommes et les femmes boivent de l'eau-de-vie de pommes de terre, de maïs, d'orge ; ils sont alcooliques sur une grande échelle ; ils ne sont pas charitables ; il ne s'occupent pas du voisin ; ils ne lui viendraient pas en aide.Petites grosses sales! Maudite boisson! Parlage mal! Le paradoxe des moeurs débridées au sein d'une société ultra-catholique ne cesse de le fasciner. Il fait aussi une obsession de l'opposition entre l'extérieur fastueux et l'intérieur misérable au sujet des femmes.
Les Canadiens aiment à dire et à faire des grossièretés ; ils boivent beaucoup d'alcool, du gin. [...] Les femmes paraissent rares, sales, déguenillées à la maison mais cherchant beaucoup la parure au dehors : bagues, bracelets, fichus, dentelles ; elles sont petites et grosses. Les Canadiens ne sont pas polis, ne disent pas bonjour en entrant et aiment à tutoyer. Ils rappellent les Français du XVIIe siècle. Ils craignent beaucoup le prêtre. Ils sont fanatiques.L'ethnologie a beaucoup étudié depuis vingt ans ce genre de textes ethnographiques où la répulsion pour la culture de l'autre domine. Car cette culture, loin de constituer une complète altérité, recoupe la culture première du voyageur, la déforme et lui fait l'impression de l'affront le plus personnel. Je ne sais pas s'il existe des études sur cette question précise dans les récits de voyage des Français ici, de la Nouvelle-France à aujourd'hui, mais ça ferait un sujet de thèse vraiment amusant.
A ma pension est arrivée hier une dame Morin, canadienne mariée à un Canadien, architecte, et voici les renseignements recueillis sur leur compte : ils sont alcooliques ; le mari la bat, la vole, vend ses effets pour boire ; il est allé en prison ; elle l'a quitté et a placé ses 2 enfants en pension chez les soeurs ; elle gagne deux dollars par jour comme modiste ; elle porte une robe de soie et d'après sa patronne elle n'aurait pas de chemise ; elle cache une bouteille de gin sous ses jupes et va aux cabinets pour boire ; la nuit, elle boit aussi ; elle boit partout. A la religion, est jointe la débauche la plus grande.Le texte ne porte pas entièrement là-dessus, ce genre de commentaire tend à se modifier au fil des entrées. Le mépris des moeurs débauchées cèdera la place au mépris pour le caractère du Canadien-Français:
Ce qui domine chez les Canadiens, c'est l'argent, l'orgueil, la toilette ; il est peu courageux, peu travailleur, très religieux, plutôt superstitieux ; il donnera son argent pour une oeuvre pieuse, mais non pour une oeuvre nationale. L'Anglais, c'est le contraire.Le voyageur se reterritorialisera ensuite sur des aspects de la vie canadienne qui lui rappellent le monde républicain: il parle longuement de navires de la flotte canadienne, de monuments et de la visite d'un musée de cire relatant l'histoire canadienne depuis Jacques Cartier. À lire ce qu'il raconte, on imagine pourquoi les Canadiens qu'il a rencontrés ont pu le traiter de "mauvais França".
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Sur Gallica 2, je conseille aussi vivement la lecture de La Prostitution des mineures en France, spécialement les chapitres "hérédité et tempérament" et "Paresse et coquetterie" qui expliquent comment les jeunes filles trop exaltées sont pratiquement destinées à tomber dans la prostitution:
Ce sont ces jeunes filles dévorées de sensualité, attendant avec impatience le moment où les hommes voudront d'elles et rebelles à tout, correction et conseils, qui n'hésiteront pas à se donner au premier venu, sans chercher à en recevoir la moindre gratification. Elles se livreront, quelques-unes par besoin, mais le plus grand nombre par plaisir. Elles commencent à courir les rues dès l'âge le plus tendre, et le commissaire de police de certaine ville a pu me dire que, dans la localité où il exerçait ses fonctions, se trouvaient des jeunes filles de 15 à 16 ans, se livrant à une débauche éhontée, faisant jusqu'à 15 et 17 passes par jour et, le plus généralement,sans aucune gain.Comme quoi, en matière d'altérité, les Français de 1900 n'avaient pas besoin de traverser l'Atlantique pour se sentir dépaysés. On croirait lire du mauvais Restif de la Bretonne.
Lien vers Gallica 2.
La photo vient de la collection de cartes postales de la Bibliothèque nationale du Québec.
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RépondreSupprimerLe monsieur de la photo a vraiment une mégabarbe. Et je viens de remarquer que c'est le troisième post de suite que je fais avec des barbes.
RépondreSupprimerPutain, c'est aussi réducteur que le rapport Durham!
RépondreSupprimerParlant de barbe, qu'attends-tu pour afficher le collet réglementaire des beatnicks et autres étudiants de la Sorbonne circa 1965-66? Je voudrais bien le faire, mais lorsqu'on aperçoit un chauve à barbe, je me dit qu'on pense inévitablement à Mad Dog. Et...j'étais plutôt un fan de Ultimate Warrior. ehehe
"L'Anglais, c'est le contraire..."
RépondreSupprimerMourant...
Je me demande si je devrais faire un post sur la "hiérarchie des barbes" pour continuer sur ma lancée.
RépondreSupprimerhttp://wondermark.com/xyz/beardposter_lg.jpg
J'ai relu le document de ce touriste Français... Toujours aussi fascinant comme journal. Il semble touché dès la page 14, mais redescend vite de son nuage en croisant nos ivrognes lépreux! ; p
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