mercredi 11 mars 2009

De Donald Lautrec à Beckett en passant par Marc Dutroux : éléments pour l'analyse cognitive d'une poubelle culturelle

Je l'ai déjà dit ailleurs, je suis une vraie poubelle culturelle, une sorte de broyeur où se mélangent et se réorganisent des fragments de culture dans une apparente et insolite anarchie. Mais il y a une logique subtile à tout ça. Je vais essayer aujourd'hui de documenter dans le détail comment s'opèrent ces connexions à partir de mon avant-midi passé sur internet. Mais ce que je vais dire ici vaut tout aussi bien pour comprendre les Mystères de la Création littéraire, parce que les connexions culturelles y fonctionnent, il me semble, de la même manière.

Partie théorique. (Vous pouvez sauter à la section suivante si tout ce qui vous intéresse dans la vie c'est un délassement plaisant.)

En fait, à l'ensemble des connexions qui s'opèrent dans mon cheminement à travers les objets culturels, il y a peut-être moins une logique qu'une mécanique imperceptible des connexions. Elles se font vraisemblablement par métonymie, par une fragmentation synecdoquale (!) dans laquelle l'objet culturel est séparé en parties pour lesquelles l'ensemble ne compte plus comme ensemble signifiant, mais comme point de passage vers un autre objet. C'est ce qui cause l'apparence insolite des rapprochements, mais lorsque je circule dans ma poubelle, ce n'est assurément pas l'objectif. Du reste, ce caractère insolite pose le plus souvent pour moi un problème en ce que son absurdité est aussi comique que dramatique (voilà un beau sujet de dissertation pour l'épreuve uniforme de français!): ma culture en est une de déchet parce qu'elle est insensée, inutile, impraticable, excentrique mais pas dans le bon sens parce qu'elle me donne l'impression d'être légèrement autiste, incapable de communiquer avec la plupart des gens. Ce que je pense est la plupart du temps d'une singularité sans valeur et ça me préoccupe parce que je dois penser en double, comme on pourrait dire, pour faire en sorte que mon discours soit minimalement signifiant.

Partie documentaire. (C'est ici qu'on s'amuse.)

1- Tout a commencé quand j'ai reçu aujourd'hui un message de Sébastien de Patrimoine PQ qui m'invitait à aller lire son post sur Jean Fortier, un obscur chanteur soul québécois des anées 70. La pièce "La reine araignée" de Fortier m'a laissé une étrange impression: les paroles sont vraiment d'un registre adolescent un peu ridicule mais chantées avec suffisamment de résolution et de volonté pour qu'on ne la discrédite pas immédiatement. D'où le malaise. Connexion 1.1: texte adolescent + résolution = heavy metal. Mais la seule reprise a été faite par Donald Lautrec. Je suis alors en train d'écrire mes impressions sur le blog de Patrimoine et il me faudrait un terme pour décrire cette idée. Connexion 1.2: Donald Lautrec + Metal = Necrobutcher Lautrec. Necrobutcher, c'est le nom du bassiste de Mayhem, j'ai toujours trouvé que c'était le nom le plus ridiculement black metal qu'on pouvait imaginer. "Trashe-nous ça Necrobutcher Lautrec!"

2- En lisant un peu sur Mayhem, je tombe sur le nom de Varg Vikernes, le pyromane meurtrier qui a brûlé des églises et assassiné un autre membre de Mayhem, Euronymous. Il est toujours en prison, et il est maintenant considéré comme un leader d'une certaine marge d'extrême-droite raciste norvégienne. C'est quand même une figure antéchristique fascinante, qu'il a cultivée et qui a véritablement éclatée lors de son procès quand, à l'annonce de sa sentence, les caméras ont pu capter un sourire angélique.



Ce sourire a traumatisé la Norvège, c'est le sourire non pas du Mal, mais d'un être humain qui cesse un instant d'en être un pour accepter de devenir la représentation du Mal, l'image du démon. Connexion 2: antéchrist + traumatisme national = Marc Dutroux.

3- Je reviens tout juste de Belgique et même dans les guides touristiques on parle du traumatisme national qu'a provoquée l'affaire Dutroux, cette histoire impossible de viol de meurtres et de séquestration de mineures dans des chambres secrètes de plusieurs maisons. Le plus incroyable dans l'affaire Dutroux est que, bien qu'étant à ce moment l'incarnation belge du Mal, il ait réussi à s'évader un moment de son fourgon avant d'être rattrapé. Plus de 600 000 personnes auraient ensuite marché dans les rues pour manifester leur dépit pour le laxisme du système judiciaire belge. Pendant qu'on était à Bruxelles on se disait qu'il devait être quelque part dans un prison, pas loin, toujours vivant, et on se demandait ce que ce devait être pour les gardiens de nourrir ce qui pour la plupart des Belges représente la Bête. Je me dis alors: à quoi il ressemble? Je trouve une image. Puis je me souviens (connexion 3) que j'avais cherché aussi une image de notre Bête à nous, Marc Lépine, et de la manière dont les médias francophones ont toujours été réticents à faire circuler sa photo. Parce qu'elle est aussi angélique que l'image de Varg Vikernes, mais plus inconséquente aussi: rien n'est dit dans cette photo sur l'événement. Elle dit même tout le contraire.

4- J'en étais à me dire que j'étais quand même parti de Donald Lautrec pour arriver à chercher des photos de Marc Lépine sans m'en rendre compte. Je me suis dit alors: je suis quand même une poubelle culturelle. Connexion 4.1: photos rares + poubelle = Beckett. Juste avant de partir en Belgique, je suis allé voir Anky ou la fuite de Christian Lapointe et ça m'a beaucoup fait penser à Beckett. Alors j'ai lu Malone meurt dans l'avion et je me suis trouvé beaucoup d'affinités avec le style de Beckett. Or, s'il y a beaucoup de photos de Beckett, j'étais persuadé qu'il n'existait pas de films où on le voit. Or, bang, j'en ai trouvé un. Connexion 4.2: Beckett, ça reste de l'ordre de l'inhumain, mais ça fait changement des criminels démoniaques absolus.



5- Après il fallait laver le plancher. Ça n'a aucun sens de lier Beckett et la culture et le plancher. Sauf que c'est sale chez nous, on vit dans une vraie dompe et qu'il faut bien faire le ménage une fois de temps en temps.
- Il faudrait laver le plancher, n'est-ce pas Clov?
- Oui, Hamm.
- Il le faudrait?
- Oui, il le faudrait, Hamm.


Partie pratique. (Là, c'est à votre tour de participer.)
Je n'ai évidemment pas le monopole de la dérive métonymique, et j'aimerais bien savoir quel genre de connexions mes lecteurs font quand ils niaisent sur internet. Les commentaires sont ouverts, l'autoroute électrique est allumée, Trashe-nous ça Cyber-Necrobutcher!

(L'image vient du site Silhouette Masterpiece Theatre.

4 commentaires:

  1. La Belgique maintenant?

    Décidément, on ne se voit plus assez souvent! ; (


    Et la 'stache à Lautrec dans tout ça...?

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  2. hahahaha !!! T'as sorti ton Dupriez pour écrire ce post ... que de figures de style !!!

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  3. hey bien moi je viens de lire, en cette première visite sur ton blog et surtout, en fin de soirée arrosée, cette chronique de Lautrec à Beckett. Premier réflèxe: je suis maintenant complètement paranoïaque et analyse toutes les connections s'effectuant dans mon cerveau de fonctionnaire à la fréquence élevée de 5 minutes (comprendre: en continu). Deuxième réflèxe, avoué tout haut seule dans ma cuisine: WOW, je devrais définitivement avoir de telles réflexions plus souvent. Je reviendrai c'est certain, merci grand-frère (!) de m'avoir dirigé vers Doctorak!

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