jeudi 25 juin 2009

Le mélodramatique, troisième partie

Le mélodramatique représente une des tonalités narratives les plus fortes de la littérature populaire. Et aussi un des plus difficiles à réaliser parce qu'on se trouve toujours au bord du cliché ridicule et qu'un rien suffit à le faire basculer dans sa parodie kitsch. Lire ou écouter un mélodrame, c'est un combat en quelque sorte, une lutte entre notre volonté de résister à cette construction narrative mécanique et grossière destinée à nous émouvoir et notre désir de céder à l'empathie et se mettre à pleurer. C'est un peu une dissonance cognitive finalement, les sentiments qui devraient aller vers les gens se retrouvent dirigés vers des objets imaginaires et on se retrouve à la fin avec la drôle de satisfaction d'avoir été chaviré par le spectacle le plus triste sans que notre existence en ait été le moins du monde bouleversée. Le mélodrame, c'est des chips d'émotion.

Le genre est né en musique au dix-huitième siècle par l'adjonction d'un texte récité à une pièce musicale. C'est au dix-neuvième siècle qu'il sera perfectionné au théâtre lorsqu'on s'est mis à jouer une musique d'ambiance pour canaliser les émotions du récit. Mais l'histoire du mélodrame comme genre est moins intéressante que l'histoire du "mélodramatique" comme tonalité parce qu'il est lié à l'histoire de la technique.

Parce que le mélodramatique cherche à produire les effets les plus intenses sur les spectateurs ou les lecteurs et que son efficacité se retourne en kitsch en quelques années seulement, le mélodramatique doit constamment renouveler son support narratif, trouver de nouvelles manières de mettre en marche sa production, de placer ces pions que sont ses personnages cliché (la veuve et l'orphelin, le garçon incompris, l'autorité intraitable, etc.) et ses ressorts narratifs (le spectacle de l'injustice et de la cruauté, les malheurs qui s'accumulent, le fin fond du baril, c'est pas exhaustif ce que je raconte, ni une typologie, etc.). Cette problématique apparaît très bien dans les entrevues et la réception critique de Dancer in the Dark. Toute l'entreprise de Lars von Trier semblait être de prouver au monde que le cinéma était encore capable de générer du mélodramatique. Il a déployé des efforts impossibles pour trouver ce dosage imperceptible qui aurait permis de faire disparaître la mécanique du mélodramatique, mais les critiques ont perçu la manipulation affective qu'il a mis en oeuvre. En fait, les critiques perçoivent toujours la manipulation affective du mélodramatique, et c'est justement lorsque les critiques commencent à orienter la réception des oeuvres que le mélodramatique devient impossible et qu'il doit trouver un nouveau support narratif.

Or, si le cinéma est devenu inefficace, où s'est déplacé le mélodramatique? Lorsqu'on accusait Lars von Trier de "manipulation sentimentale", on voulait peut-être dire par là que la relation d'autorité est devenue inacceptable entre le producteur du mélodrame et le spectateur. Nous ne nous permettons tout simplement plus d'entrer dans ce rapport de domination pseudo-masochiste. La situation mélodramatique à laquelle nous sommes aujourd'hui sensibles est peut-être plus de l'ordre du destin et des hasards de l'existence que de l'intention explicite de nous faire pleurer. Or les coups du destin et les malheurs, c'est ce à quoi carburent l'information-spectacle dans l'actualité. Les nouvelles d'un ancien magnat de l'hôtellerie faisant faillite et ne se retroussant les manches que pour voir son modeste motel partir en fumée, ses enfants tomber dans le crime et se faire lui-même frapper par une voiture; les nouvelles d'une vieille dame laide et effarouchée qui devient en un instant la chanteuse la plus populaire du monde pour ensuite être détruite mentalement par les papparazzi; ces nouvelles sont plus tristes que n'importe quelle fiction, si parfaitement construite soit-elle, parce que la relation d'autorité et l'intention d'émouvoir derrière sont plus diffuses, mises à distance par le montage discret qui interprète les événements pour les rendre mélodramatiques.

Mais encore ici, comme à chaque fois, la critique travaille à défaire ce nouveau noeud mélodramatique. Ce sont maintenant les critiques de la communication qui accusent ce spectacle d'empiéter sur l'information nécessaire à la démocratie et la vue publique, favorisant systématiquement le pathos sur l'informationnel. Et puis le public, à trop vouloir y croire commence à perdre sa naïveté, le temps de son aveuglement est compté avant qu'il s'aperçoive qu'il était coupable, du côté des papparazzi et non du côté des héroïnes oppressées.

Mais où va donc ensuite aller se fourrer le mélodramatique?

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