samedi 5 septembre 2009

Melchior Alias – Melchior Alias (1968; Capitol 70024)

Tout au long du mois de septembre, Patrimoine PQ en collaboration avec Doctorak, Go! vous présentent un survol de la musique underground québécoise en 10 albums.

Aujourd'hui, Melchior Alias – Melchior Alias par S.ébastien de Patrimoine PQ.

J'ai hésité avant d'inclure l'unique album de Melchior Alias à cette liste. Le disque est certe rare, méconnu et demeure non-réédité officiellement depuis sa parution originale, mais il m'apparaissait plus pop que la moyenne des autres albums cités ici et pas nécessairement difficile d'approche. Ma définition d'underground s'est néanmoins assouplie pour souligner d'autres aspects qui participent à la marginalisation de certains albums, notamment le sabotage délibéré. Puisqu'il demeure réclu derrière son mystérieux pseudonyme, spéculons sur les véritables intentions de Melchior...

Par les structures rythmiques complexes et le pauvre investissement au niveau de l'interprétation vocale, on retiendra que Melchior était probablement avant tout... un guitariste. Un multi-instrumentaliste catapulté à l'avant-scène d'un groupe déjà composé de la crème des musiciens de studio de la fin des années 60: Robert Goulet (guitare), Denis Lepage (orgue), Andy Shorter (batterie) & Serge Blouin (basse). Un trip de musiciens chevronés, avant toute chose... Peut-être était-il lui même déjà sessionman? Melchior Alias manquait-il de confiance en soi ou était-il simplement timide pour ne pas s'investir plus sérieusement dans ses propres compositions? Allez savoir... Capitol devait malgré tout espérer plus de titres au potentiel commercial pour les avoir ainsi réuni et publié dans sa série 70000 (jeunes talents francophones), en édition gatefold svp, aux côtés d'autres prospects tels Les Alexandrins, Les Cailloux, Les Atomes ou même Pierre Lalonde. Le label misa ultimement sur deux extraits en 45 tours (sur PAX notamment si je ne m'abuse), des simples publiés dans l'indifférence la plus totale. Le presque anonymat de l'auteur-compositeur manqua de piquer la curiosité du public; l'aspect brouillon des textes jumelé à la fanfaronade des chants intensifia la ghettoisation du disque dès sa sortie. Pourtant, si ludiques soient-ils, les thèmes abordés témoignent d'une contemporéanité (oui, oui... encore) salvatrice pour le Québec de 1968. Loin de se prendre pour un poète, Melchior dit les choses comme elles sont, si banales soient-elles à la première écoute. Chu m'nu en métro automatique en bave pour les possibilités qu'offre le transport en commun et les soirées au Rex (club de Montréal). Camping, sur une rythmique originale et délicieusement syncopée, explore les déboires d'une bande de Québécois dans un univers digne du Noël des Campeurs. Itinéraire 9, sur des ritournelles surrésalistes, pourrait bien être le premier titre Dub produit par des blancs-becs d'ici. Charlebois ne pouvait pas porter toute notre modernité sur ses épaules... Les inepties qu'affectionnent le chanteur culminent dans Une nouvelle façon de parler où sur une mélodie accrocheuse, on ouvre l'almanach du peuple pour discuter des prévisions météorologiques. On se désole du manque de profondeur, mais ironiquement, pourrait-on rêver d'un thème plus pop pour les oreilles Québécoises?

Melchior prend des risques dans ses performances plus intimistes, son registre limité n'atteignant pas toujours la juste note malgré des arrangements étoffés. Le tout souligne l'urgence des enregistrements et l'ambiance enfummée qui pouvait y régner (voir le prologue de Aquarium ou Non, rien de mieux), des conditions parfaites pour produire des compositions qui resteraient solidement ancrées dans leur époque. Les audiophiles consciencieux y trouveront malgré tout leur compte, mais même aujourd'hui, rares sont ceux qui apprécient sincèrement la prose lousse du chanteur. Un obscure projet donc qui semble toujours destiné à demeurer dans l'ombre des meilleurs albums folk-rock déjantés de la fin des années 60. Et comme il y a consensus à son sujet, j'adore scrupuleusement depuis me positionner à l'opposé du bon goût et clamer qu'il participe néanmoins à la réinvention du son Québécois, devançant de quelques longueurs l'ecclectisme du rock progressif qui animerait bientôt la scène locale. Eille... un fantaisiste qui s'électrifie entre deux joints, ça mérite sûrement une seconde lecture aujourd'hui vous trouvez pas? La bouquane a ben eu le temps de se dissiper. Respect l'Alias!




S.ébastien est l'auteur du blog Patrimoine PQ, qui depuis 3 ans tente de revaloriser la scène musicale Québécoise des années 60 et 70 en proposant des albums non-réédités ou compilés depuis leur publication originale. Ses articles misent sur la modernité qu'affichait alors le Québec en vue d'une seconde lecture et d'une éventuelle réédition officielle de ces oeuvres négligées, oubliées.

3 commentaires:

  1. Ah! C'est vrai qu'Itinéraire 9 est une sorte de dub vraiment bâtarde ou plutôt un "para-dub" vu la précocité du disque (1968!). Coïncidence ou étrange écho soixante-septard? En tout cas un "dixe" étrange, ça oui.

    Très belle série, messieurs.

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  2. Il faudrait que quelqu'un fasse l'histoire du délai en musique. Ou m'indique où on peut trouver ça. Pourquoi est-ce que ça apparaît en musique pop à la fin des années 60, alors que Stockhausen et Pierre Shaeffer utilisaient déjà dans les années 50 des boucles de ruban magnétique en musique concrète?

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  3. C'est vrai... et soudainement l'apparition "audible" des effets sonores dans la pop (et pas seulement des subtilités de studio)...

    Un passage du livre Kéleütha de Iannis Xenakis (pour rester chez les avant-gardes) décrit bien ce gap, ou ce fog, musical.

    "J'ai l'impression que l'activité de composer aujourd'hui ne se pose pas de questions de contenu profond, ou elle est plus ou moins mercantile et rétro. Un jeune (ou un moins jeune) veut se faire une place au soleil en essayant d'attirer l'attention par des "actes" différents et inouïs. Mais, comme presque toujours, le talent lui fait défaut, il ne peut créer des choses inouïes et différentes. Il ne fait que rabâcher, soit en variant un peu des façons de faire contemporaines et même d'avant-garde, soit franchement en allant imiter des styles du XIXe siècle. Le choc ne se produit pas, mais une grisaille implacable, un brouillard, un fog, descend lentement sur l'art actuellement [...]"

    Un peu gâteux mais pas si fou, pas si faux ...

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