samedi 3 octobre 2009

Foucault et le ritalin

L'époque des modificateurs de conscience commence selon Pascal Nouvel avec The Strange Case of Dr Jekyll and Mr Hyde, qui marque un tournant majeur dans les rapports que l'Occident établit entre le corps et la conscience. Mais comment termine-t-il son Histoire des amphétamines? Du point de vue légal, la date charnière selon lui est 1971, l'année où l'usage récréatif des amphétamines a définitivement été interdit. Mais son livre révèle qu'étonnamment, ce ne sont pas les amphétamines elles-mêmes qui ont été interdites, seulement l'usage récréatif, car dans les faits, un usage plus ou moins légal mais néanmoins normé a trouvé son chemin dans notre société. C'est que nous vivons aujourd'hui dans un imaginaire du corps et de la conscience qui a depuis longtemps accepté que la conscience et l'individu peuvent être modifiés par la technique. Nous vivons à l'ère de ce que Michel Foucault a nommé le "biopouvoir", à savoir une société où le corps et la conscience relèvent moins de l'individu que de son inscription dans des ensemble de pouvoirs, qu'il soit économique, étatique, scolaire ou médical. Il s'agit pour le pouvoir de contrôler le devenir des individus à partir du contrôle des corps et des consciences, d'un contrôle qui n'est pas, comme on pourrait le penser, répressif, légal ou violent, mais plutôt normatif, récompensant les comportements et les consciences qui s'approchent le plus d'une norme correspondant au corps et à la conscience la plus profitable pour l'instance de pouvoir en question. Ainsi pour le pouvoir économique, la norme cherchera à imposer sur les corps un modèle de productivité idéal et constant; pour le pouvoir étatique, la norme imposera la conscience d'un individu impliqué mais docile; le pouvoir médical quant à lui cherchera à tout prix à réguler la santé du corps dans tous ses aspects, stigmatisant la maladie comme ce qui échappe à la norme, cherchant ainsi à faire entrer la médecine dans tous les aspects de la vie privée de ce pauvre patient dont le corps s'est retrouvé happé par le pouvoir médical. Il faut d'ailleurs fréquenter les hôpitaux pour voir à quel point le biopouvoir est une réalité concrète: toute l'activité du corps est contrôlée, mesurée, normée ridiculement jusque dans ses moindres détails, de sorte qu'une affection d'un système provoquera la prise en charge de tous les autres. Tu te casses une jambe et on t'oblige à dormir et manger à heures fixes durant la durée de ton séjour, c'est ça que ça veut dire.

Le biopouvoir a donc tout intérêt à l'utilisation normée des substances psychotropes. L'exemple qu'en donne Pascal Nouvel est l'apparition d'un usage répandu du ritalin pour favoriser la concentration des élèves ayant des problèmes de déficit d'attention, lui permettant de trouver un corps normal et parfaitement adapté à l'agencement de pouvoir dans lequel il se trouve, l'espace scolaire. Le ritalin constitue l'exemple même du biopouvoir en action, car ce n'est pas tant les instances scolaires qui en poussent l'utilisation mais les parents qui fantasment la réussite de leurs enfants, en accord avec l'école qui promeut de son côté la réussite à travers des structures de classement et de récompense du succès, se déresponsabilisant de la norme qu'elle impose et de celle que les parents fanstasment en retour pour leurs enfants. L'exercice du biopouvoir est de cette manière diffus et partagé. Il ne s'exerce pas d'une manière pyramidale et hiérarchisée comme le pouvoir étatique, mais toujours dans les rapports discrets d'autorité dans lesquels s'agencent les individus.

Et puis c'est d'actualité: une nouvelle parue sur le site de Radio-Canada annonce qu'un débat s'amorce présentement aux États-Unis concernant l'utilisation de psychotropes à l'université. Si une majorité se met à utiliser des psychostimulants en fin de session, qui sont réellement efficaces pour stimuler la concentration sur une courte période, les étudiants clean risquent au final de se retrouver désavantagés.

Ce concept est selon moi le plus efficace et le plus fertile pour expliquer ce point où est parvenue l'histoire de la conscience en Occident. Toni Negri et Michael Hardt en parlent dans Empire (qu'on peut trouver ici en entier en format pdf), de même qu'Agamben dans Homo Sacer. Le sujet tel que l'a pensé la tradition philosophique est définitivement en train de s'effacer. Il laisse la place à ce "moi" soluble et soumis, traversé par des agencements de pouvoir qu'il ne contrôle jamais mais qui le définissent par rapport à un modèle vide de sens et, surtout, de singularité.

Le lyrisme est-il encore possible dans cet agencement biopolitique? Rrrrhaaaaaaaaaaaa... Donnez-moi des amphétamines!

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire