Les dessins de Caro Caron ne font pas qu'illustrer le récit polémique de Christine Redfern: ils construisent un véritable système d'annotations qui permettent de faire sentir l'indignation que peut susciter la mort suspecte d'Ana Mendieta. Les figures de femmes enluminent le récit principal et forment comme des notes de bas de page qui enrichissent le texte de sensations plutôt que de références et arrivent à nous faire prendre ce pas de côté de moins en moins évident qui fait apparaître à quel point le paternalisme et le sexisme ordinaires sont scandaleux. Le style de Caro Caron institue une atmosphère de cauchemar carnavalesque finalement beaucoup plus adéquat au réel que la réalité elle-même, filtrée par une idéologie que nous sommes le plus souvent incapables d’épingler.
Caro Caron et Christine Redfern, Qui est Ana Mendieta, Éditions du Remue-Ménage, 2011
mardi 28 février 2012
dimanche 26 février 2012
La collection "Inauditus", représentée par John Prosac
La revue anarchiste La bombe de 1909, comme Le Philtre bleu, roman décadent de 1924 qui rappelle Octave Mirbeau, contrastent tellement avec le récit institutionnel de la Grande Noirceur qu’ils donnent à imaginer une histoire secrète du 20e siècle québécois, une histoire des idées qui ne serait pas collective, mais uniquement faite d’une multiplicité d’expérimentations marginales, avec laquelle on ne peut que se sentir solidaire aujourd’hui, maintenant que les intellectuels comme les artistes n’arrivent plus à reconnaître dans l’image conservatrice que la majorité québécoise se donne d’elle-même. L’entreprise de réédition de la collection Inauditus constitue peut-être pour cette raison un des plus solides accomplissements de la pensée dépressionniste d’où elle est issue.
La collection "Inauditus", représentée par John Prosac
La collection "Inauditus", représentée par John Prosac
samedi 25 février 2012
Naomi Fontaine, Kuessipan
Pas de récit, pas d’intrigue. Parce que l'écriture de Naomi Fontaine, derrière son calme apparent, résiste d’une manière acharnée. Elle résiste à la tentation du trash qu’elle observe pourtant de très près. Les caisses de 24, les pilules d'ecstasy, les maisons laissées à l'abandon sont comme des bêtes qui rôdent autour des enfants insouciants. Elle résiste aussi à la tentation de se replier complètement sur la nostalgie du bois, de la chasse, de la vie nomade. Kuessipan essaie plutôt par son écriture fragmentée de rapiécer un espace où l'avenir redevient possible pour les Innus, en rassemblant une à une des images que font tenir ensemble les figures de la mère et de l’enfant, qui portent sur leurs épaules le poids de tous les récits à venir.
Naomi Fontaine, Kuessipan, Mémoire d'encrier, 2011
Naomi Fontaine, Kuessipan, Mémoire d'encrier, 2011
mercredi 22 février 2012
Julie Brisebois, Pit Boilard, personnage de réseaux sociaux
Pit Boilard ne pourrait pas être un personnage de roman, car il n’a en réalité que la superficialité d’un dispositif langagier, indissociable des réseaux sociaux sur lesquels il est apparu. Il ne fait en effet qu'opposer son refus colérique de participer, de socialiser, de donner son assentiment à qui ou à quoi que ce soit, et ce, à coups de jurons criés en majuscules et de fragments délirants de sa supposée existence. La caricature absurde du personnage de black métalleux bourru et misanthrope de Julie Brisebois a cependant une portee plus grande: le mépris radical de Pit Boilard pour toute la futilité des échanges sans contenu le rend plus sérieux, plus intègre et finalement plus crédible que ces personnages superficiels que nous devenons inévitablement à chaque fois que nous cédons à la banalité du bavardage dont se nourrissent les réseaux sociaux.
Julie Brisebois, Pit Boilard, facebook.com/TABARNAQUE
lundi 20 février 2012
Makenzy Orcel, Les Latrines
Les littéraires puritains ne cessent de répéter que la provocation genre fourrer-crosser-décher à la Sade-Bataille-Guyotat, c'est dépassé. Mais les puritains pensent aussi qu’il est impossible que la corruption, l'oppression et le mépris des élites pour les déshérités de la Terre soient aussi choquants et généralisés qu'on le prétend. Dans ce contexte de misère mondialisée, Les latrines sont cet espace exigu ou la Révolution n'a jamais cesse d'avoir lieu, quand on n’a plus que le corps et le cul pour continuer à faire souffler ce vent de liberté sans concession qu'on n'espère plus nulle part ailleurs, porté par une phrase qui tue, et un rythme pas possible en plus. Si jamais un jour Makenzy Orcel remportait le prix Nobel, ça fuckerait pas mal notre projet d'Académie qui est, on le rappelle, de ne donner des prix qu'à ceux qui ont peu dechances d'en avoir ailleurs, et on serait pas mal de mauvaise humeur au bureau.
Makenzy Orcel, Les Latrines, Mémoire d'encrier, 2011
Makenzy Orcel, Les Latrines, Mémoire d'encrier, 2011
samedi 18 février 2012
Alison McCreesh, Alison a fini l'école, blogue
Outre le traitement visuel toujours approprié aux situations qu’elle décrit, les dessins du carnet de voyage de McCreesh ont cette propriété de faire apparaître à quel point la photographie est impuissante à décrire les souvenirs de voyage. Ce ne sont parfois que des esquisses de paysage, comme s’ils étaient tracés après-coup, mais à d’autres moments ils détaillent soigneusement une scène et en captent la singularité. Parfois, le dessin s’effiloche aussi en périphérie, exactement comme on se rappelle un moment du voyage, par le détail d’une scène dont on a oublié le contexte, ou par des fragments de récit qui ne gardent que l’essentiel. Le trait de McCreesh, enfin, léger, parfois nonchalant, sans attaches, donne véritablement le goût de partir et c’est là une qualité inouïe.
Alison McCreesh, Alison a fini l'école.
Alison McCreesh, Alison a fini l'école.
mercredi 15 février 2012
Patrick Brisebois, Chant pour enfants morts, la réédition
Le quadrillage artificiel et normalisé de la banlieue a fait disparaître l'angoisse que connaissaient les enfants vivant en bordure de ces paysages sauvages faits de marais et de sous-bois inquiétants, espaces par excellence des monstres et des fantômes. Mais la banlieue a aussi jeté ces mêmes enfants hors du territoire des mythes et de l'imaginaire qui structuraient leur rapport au monde, les laissant ainsi prisonniers dans des corps d'adultes à la dérive sans espoir de salut. Il fallait souligner la réédition de ce roman d'un gothique proprement québécois, où le fantastique est toujours suggéré plutôt qu'explicite, augmenté de plusieurs chapitres que l'écrivain mature a cru bon d'ajouter et qui complètent plusieurs lacunes du récit original.
Patrick Brisebois, Chant pour enfants morts, Le Quartanier, 2011.
Patrick Brisebois, Chant pour enfants morts, Le Quartanier, 2011.
mardi 14 février 2012
Kayou Lepage, Le jour des vidanges, blogue
Le territoire langagier et visuel du Jour des vidanges se trouve partout dès qu’on s’éloigne des espaces institutionnels du langage. Les textes d’opinion, commentaires de blogues, chaînes de lettres, livres autopubliés, Kayou Lepage ne fait pas que les parodier, il manie avec dextérité leur matériau syntaxique pour en faire ressortir l’inquiétante étrangeté, leurs sous-entendus violents, schizophrènes, racistes, lubriques ou psychopathes. On imagine mal le degré d’entraînement qu’il faut atteindre pour arriver à tordre aussi parfaitement cette grammaire misérable qui donne sa forme à l’intolérance ordinaire, c’est la raison pour laquelle il fallait souligner les cinq années d’existence de ce blogue, à parution régulière dont l’humour trash n’est comparable qu’à celui d’Henriette Valium.
Kayou Lepage, Le jour des vidanges, sur blogspot.
Kayou Lepage, Le jour des vidanges, sur blogspot.
dimanche 12 février 2012
Jean-Philippe Tremblay, Carnavals divers
Tremblay fait fonctionner ensemble deux aspects de la vie urbaine. La décadence hipster faite de pistes de danse ironique, de soirées de poudre blasées et de baises sans conviction avec le cri informe de l'opinion publique formattée par les médias de masse. Le projet de Carnavals divers est de démontrer que ces deux réalités sont complémentaires et forment les deux facettes de la même vacuité politique qui évide la subjectivité et rend impossible tout lyrisme, toute sincérité, toute aspiration poétique. Mais paradoxalement, en combattant sans relâche sa propre stupeur et la tentation de se taire définitivement, Tremblay atteint cette force véritablement tragique dont rêvent en vain beaucoup de poètes actuels.
Jean-Philippe Tremblay, Carnavals divers, L'écrou, 2011.
Jean-Philippe Tremblay, Carnavals divers, L'écrou, 2011.
jeudi 9 février 2012
Daniel Canty, Wigrum
L’angoisse provoquée par la culture dématérialisée, combinée à l’encyclopédisme proprement geek de notre époque, a pour répercussion de redonner toute leur grandeur aux cabinets de curiosité constitués d’objets riches d’une histoire singulière, au parcours unique, qui n’ont de valeur qu’en vertu des récits étranges, improbables ou exotiques qu’ils retiennent. Constitué comme un catalogue d’objets extraordinaires, Wigrum ne fait pas que tenir compte de cette fascination pour les collections hétéroclites, il la porte à son aboutissement, décrivant de faux objets dans un roman sans histoire qui contient pourtant les fragments excentriques mais pourtant bien réels de la culture savante et artistique des deux derniers siècles.
Daniel Canty, Wigrum, La Peuplade, 2011.
Daniel Canty, Wigrum, La Peuplade, 2011.
lundi 6 février 2012
Alexandre Dostie et Pierre Brouillette-Hamelin - Duo Camaro
Ils sont deux sur scène, guitare et voix, rien de plus. L’atmosphère s’installe petit à petit : riff hypnotique et le regard intense de Dostie, perdu vers le fond de la salle, concentré comme peu de poètes en sont capables. Ce que nous allons entendre, une histoire de trash de région, avec des filles à la dérive et des hommes d’une autre époque, sera entièrement improvisé. Le public est fasciné, happé par la cohésion de la musique et du flot de Dostie anticipant la catastrophe vers laquelle l’histoire se dirige inévitablement, car la performance, à peine commencée, est déjà si intense qu’elle ne pourra se terminer qu’en explosion de sang, de sexe ou d’essence. Le duo Camaro est sur scène, le duo Camaro owne la place.
Ce texte constitue l'introduction d'un essai sur la ruralité trash en poésie québécoise, à paraître dans le numéro de Liberté consacré au terroir littéraire.J'y parlerai aussi entre autres de Marjolaine Beauchamp et d'Érika Soucy, elles aussi gagnantes à l'Académie de la vie littéraire. Huh, y aurait-il une logique derrière nos choix?
dimanche 5 février 2012
Le troisième gala de l'Académie de la vie littéraire au tournant du 21e siècle est annoncé!
Oh oui! Il aura lieu le 11 mars 2012 au club Lambi (4465, boulevard Saint-Laurent). Si tout se déroule comme prévu, et jusqu'à maintenant TOUT se déroule comme prévu, ça devrait être juste magique.
Car nous avons travaillé sur un temps rare pour trouver les oeuvres littéraires les plus marquantes de 2011, celles qui valent la peine, celles qui ne ressemblaient à rien dans une année, ça me fait de la peine de le dire, un peu ordinaire et assez uniforme. Il faudrait quand même souligner l'effort du côté des prix littéraire institutionnels pour être un peu plus exigeants en matière de contenu et de forme, mais, paradoxalement, ça nous a un peu embêtés parce que, on le rappelle, notre seul critère vraiment sérieux, c'est de donner des prix à des textes qui ont peu de chances d'en remporter ailleurs. Mais nous n'irons pas nous en plaindre, car cela nous a permis de nous motiver à chercher plus intensément en périphérie de la production littéraire typique, de ce roman de rentrée humaniste au style épuré et de cette poésie-qui-effleure-le-réel-pour-mieux-le-saisir-à-bras-le-corps, et nous y sommes allés à fond: des textes innus, des textes haïtiens, de la poésie et de la bédé trash-undergound, des blogues, des rééditions, des livres inclassables, on a même un personnage Facebook, c'est dire... Mais nous sommes tout de même intimement convaincus qu'il s'agit là du meilleur de 2011!
Et comme l'année dernière, Doctorak, go! sort de sa torpeur pour vous les présenter, un par un, jusqu'à la tenue du gala du 11 mars prochain. Ça commence dès demain! Hiiiii!
Le troisième gala de l'Académie de la vie littéraire au tournant du 21e siècle
11 mars 2012
Club Lambi
4465, boulevard Saint-Laurent
Car nous avons travaillé sur un temps rare pour trouver les oeuvres littéraires les plus marquantes de 2011, celles qui valent la peine, celles qui ne ressemblaient à rien dans une année, ça me fait de la peine de le dire, un peu ordinaire et assez uniforme. Il faudrait quand même souligner l'effort du côté des prix littéraire institutionnels pour être un peu plus exigeants en matière de contenu et de forme, mais, paradoxalement, ça nous a un peu embêtés parce que, on le rappelle, notre seul critère vraiment sérieux, c'est de donner des prix à des textes qui ont peu de chances d'en remporter ailleurs. Mais nous n'irons pas nous en plaindre, car cela nous a permis de nous motiver à chercher plus intensément en périphérie de la production littéraire typique, de ce roman de rentrée humaniste au style épuré et de cette poésie-qui-effleure-le-réel-pour-mieux-le-saisir-à-bras-le-corps, et nous y sommes allés à fond: des textes innus, des textes haïtiens, de la poésie et de la bédé trash-undergound, des blogues, des rééditions, des livres inclassables, on a même un personnage Facebook, c'est dire... Mais nous sommes tout de même intimement convaincus qu'il s'agit là du meilleur de 2011!
Et comme l'année dernière, Doctorak, go! sort de sa torpeur pour vous les présenter, un par un, jusqu'à la tenue du gala du 11 mars prochain. Ça commence dès demain! Hiiiii!
Le troisième gala de l'Académie de la vie littéraire au tournant du 21e siècle
11 mars 2012
Club Lambi
4465, boulevard Saint-Laurent