Dès ses premiers slams, Elkahna Talbi, sous le nom de Queen Ka, s'était jurée qu'elle ne serait jamais l'"Arabe de service". Elle ne représenterait qu'elle-même. Dix ans plus tard, elle est devenue non la représentante mais l'interprète qui s'"autotraduit", celle qui sait nous donner rendez-vous dans la ruelle pour nous ouvrir de l'intérieur la petite porte, la porte qui nous manquait, la porte vers sa double culture. C'est en interprète qu'elle raconte les choses que les enfants québécois et tunisiens partagent sans le savoir : l'orangina, les chorégraphies de Bollywood, les Mystérieuses cités d'or, la Bamba. Et devant la culture tunisienne que décrit Talbi, les mariages, les muezzins, la prière de grand-mère tournée vers la Mecque, nous sommes au même endroit que cette enfant qui peine à apprendre le détail des civilisations plus grandes qu'elle. Mais quelque chose monte aussi subrepticement au fil du recueil: cette "double culture" n'est peut-être pas si double car Talbi sait trouver ce chemin qui mène au bord du cosmopolitisme et elle l'arpente sans nier la singularité de ses origines tunisiennes. Les merguez accotées sur le gâteau McCain dans le congélateur, le henné qui s'efface des doigts à la Ronde, se sentir "ark-ma-vie" au Sami Fruits... Sur cette île de Montréal où vit le cinquième de la population du Québec une identité culturelle faite des multiplicités est perpétuellement annoncée depuis des décennies, et perpétuellement différée par tous ceux qui sur la terre ferme nient violemment que l'identité ne peut jamais se décliner qu'à travers l'autotraduction continue de soi à soi, de ses origines à son quotidien le plus trivial, peu importe le nombre de générations.
Elkahna Talbi, Moi, figuier sous la neige, Mémoire d'encrier, 2017
Elkahna Talbi lira bien sûr un extrait de son livre au gala de l'Académie de la vie littéraire
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