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dimanche 26 juillet 2009

Le classicisme pop

J'ai parlé de K Foundation Burn a Million Quid du point de vue de l'éthique de l'artiste. Mais si on replace l'action non plus dans l'art mais dans l'histoire et dans le rapport à l'industrie qu'entretenait the KLF, l'action prend un sens complémentaire.

La mythologie autour de laquelle s'est constitué The KLF est complexe et confuse. Ils se sont d'abord appelé The Justified Ancients of Mu Mu, du nom d'un groupe fictif de conspirateurs, pour ensuite s'appeler The Timelords dont l'unique projet cynique était d'écrire un numéro un. Ce qu'ils ont réussi avec "Doctorin' The Tardis". Ce n'est qu'ensuite qu'ils prirent le nom de The KLF en continuant toujours d'entrecouper les références à l'ordre de Mu Mu et aux Timelords. Ce qui unit les trois entités, c'est d'abord l'utilisation d'extraits musicaux aisément reconnaissables (qui se sont plus tard appelés "Plunderphonics") que Bill Drummond et Jimmy Cauty récupéraient de la manière la plus cavalière et la plus cynique, dans le but avoué de repasser au public la scrap qu'ils pop nostalgique qu'ils aimaient entendre. Ainsi, les extraits du thème de Doctor Who (ça se passait en Angleterre), des Monkees, de Gary Glitter et des Pet Shop Boys se retrouvaient garrochés dans le mix d'un genre du pire party-rap-dance cheap du début des années 90 (sérieux, vous êtes pas obligés de cliquer).

De l'avis même de Drummond et Cauty, la carrière de KLF est une arnaque destinée à prouver que sans argent, avec seulement un sampler et aucun amour propre, n'importe qui est capable de percer dans l'industrie de la musique. Le nom même de The KLF est l'acronyme d'un affront, "the Kopyright Liberation Front" en même temps qu'une parodie des acronymes industriels sans identité. Bien que KLF ait rapidement tenu à se dissocier de tout mouvement pro-sampling, c'est pourtant tout à fait par là que s'explique la posture et la démarche du groupe. La génération du punk anglais avait compris que le rock était mort, tué par son industrialisation, mais continuait néanmoins de croire, même d'une manière paradoxale, à son efficacité symbolique. En découvrant toute la puissance potentielle du sampling une génération plus tard, The KLF ont eu une vision peut-être plus traumatisante encore: à cause de lui, non seulement l'industrie de la musique était-elle à son crépuscule, mais elle allait entraîner aussi le statut de l'artiste pop dans son déclin.

Dans une culture où le sampling est désormais à la portée de tout le monde, la musique se partage et se modifie dans une sorte de communautarisme révolutionnaire où même l'auteur est dépossédé de sa propriété intellectuelle. Bien sûr, son nom demeure toujours attaché à son oeuvre, mais il possède le même statut de matériau symbolique partageable et modifiable. Dans cette culture, le seules créateurs sont ces archivistes nouveau genre, anonymes et bénévoles, qui font circuler les oeuvres en les modifiant au goût du public qui les fait circuler.

Dans cette culture, même si la musique pop conserve une valeur esthétique, elle n'a plus aucune valeur économique, ni aucune valeur de nouveauté. Dans cette culture, être artiste de la pop n'a jamais été aussi facile, les matériaux, la technique et les outils sont à la portée de tout le monde. Tout le monde peut devenir artiste s'il décide d'y consacrer sa vie, à cette seule condition qu'il accepte que le succès sera seulement possible pour ceux qui renonceront d'avance à tout bénéfice, symbolique ou économique. Le seul statut possible pour l'artiste de notre époque sera donc celui du struggling artist. Est-ce que cette conclusion que KLF a tiré de l'industrie de la musique vaut pour le milieu des art et de la littérature? Il est peut-être encore trop tôt pour le dire, mais plusieurs signes indiquent que leur destin ne sera pas différent.

Ainsi, par ce feu de foyer allumé avec des rouleaux de 5 000 livres dans une île perdue d'Écosse en 1994, K Foundation inauguré cette époque dans laquelle nous vivons aujourd'hui et dans laquelle nous mourrons peut-être, l'époque du classicisme culturel.

mercredi 22 juillet 2009

Les besoins des artistes dans le besoin

Il y a un problème social dont on ne parle jamais et qui concerne plus particulièrement les artistes et littéraires qui entretiennent un rapport étroit avec la matière narrative : c'est que nous avons besoin qu’un récit structure notre existence, autrement elle n’a pas de sens. Ces récits, franchement, nous polluent souvent la vie, parce que nous sentons le besoin ridicule d’ajuster notre existence de manière à ce qu’elle soit conforme au plus débile des schémas actantiels avec un héros, des adjuvants, des opposants, une quête et son objet. Parce que, quand même, tant qu’à passer notre vie dans une histoire, autant faire en sorte qu’elle soit épique. À cause de cela, il m’arrive de voir des gens de mon entourage s’arranger pour tout faire rater ce qui s’enlignait bien dans leur vie simplement parce qu’ils commencent à trouver que ça manquait d'opposants et qu'ils approchainet du bout de leur récit et ça leur fait peur. J'ai vu des couples se séparer parce que leur histoire approchait dangereusement de la dernière page où ils auraient vécu éternellement heureux et ils auraient eu beaucoup d’enfants, comme j'ai vu des gens changer complètement de carrière parce qu’ils commençaient à voir la fin de leur roman d’apprentissage. On peut ainsi tout à fait détruire son bel avenir par nécessité d’entrer dans une autre histoire, ou carrément rater sa vie, ne jamais rien réussir et rester pauvre parce que c'est un récit possible et même souhaitable comparé à celui d’entrer dans un gros quotidien de classe moyenne où les seules intrigues accessibles seront celles des petites victoires et des petites défaites de l'intime (les premiers pas de bébé, notre ado qui quitte le foyer familial, le cancer de notre conjoint, etc.). Ce rapport à l’existence est d’une certaine manière complètement étranger à cet autre récit, apparemment plus sain, où le but est d'être platement heureux et de le rester le plus longtemps possible. Mais ce récit n’est plus sain qu’en apparence parce que le schéma actantiel est avec notre civilisation depuis Homère mais plus raisonnablement depuis les Romantiques, c'est dans nos gènes culturels, on ne peut pas s’en sortir : soit des récits qu’on n’a pas souhaités se mettront tôt ou tard à sortir de partout (genre Happiness de Todd Solondz), soit on finira par annuler notre temporalité dans une routine où dix ans auront paru durer deux semaines et c'est vraiment trop con de gaspiller sa conscience du temps et de l'existence de cette manière. C'est peut-être pour ça que les Québécois aiment mieux avoir l'indépendance devant eux plutôt que derrière. Qu'est-ce qu'on ferait après? La routine démocratique?

***

On pourrait rapprocher ce problème du récit interminable avec une des actions artistiques les plus intenses de la fin du vingtième siècle. Et étonnamment, peu de gens en connaissent son existence en dehors du milieu de la musique alternative où elle s’est déroulée. Le 23 août 1994, Bill Drummond et Jimmy Cauty, les deux fondateurs du groupe The KLF, se sont rendus sur une île éloignée d'Écosse pour brûler un million de livres anglaises, soit près de 2 millions de dollars canadiens. Ce million de livres constituait la presque totalité des profits réalisés par The KLF qui pour l’année 1991 a vendu le plus de singles dans le monde. À peu près en même temps, The KLF effaçait aussi de la circulation la totalité de son catalogue.

Jusqu’à il y a quelques jours, je pensais que cette performance, prosaïquement intitulée K Foundation Burn a Million Quid, s’était faite de la manière la plus festive, avec un grand bûcher extérieur et plein de gens autour. Mais non. Une vidéo sur laquelle je suis tombé montre plutôt complètement l’inverse : le million de livre s’est brûlé dans un petit foyer autour duquel deux personnes s’activaient à brûler les billets pendant qu’une troisième filmait et qu'un journaliste venu authentifier l’affaire observait. Loin de constituer une fête, c'est plutôt la nervosité et le doute qui transparaît sur le visage des chauffeurs (n.m. vx. ou région.), parce qu’il en allait tout de même de leur propre argent, de leur vie également. Il y a pour cela dans cette vidéo (que K Foundation a ensuite voulu effacer aussi, mais dont une copie a survécu) une atmosphère rituelle presque religieuse tant l'ambiance est intime et le sacrifice réel autant du point de vue économique qu'existentiel. La K foundation elle-même voulait au départ mettre cet argent à la disposition des artistes dans le besoin ("struggling artists"), mais c'est justement en mettant sur pied cette fondation que Bill Drummond et Jimmy Cauty se sont rendus compte de l’importance qu’avait à leurs yeux cette lutte (struggle) de l’artiste: « We realised that struggling artists are meant to struggle, that's the whole point. » Aujourd'hui, les Drummond et Cauty ont presque totalement abandonné la musique. Drummond s’occupent d’un modeste centre d’artistes, Cauty expose quelques projets visuels de manière irrégulière.

Il n'y a pas à dire, il y a quelque chose d'aussi profondément choquant que fascinant à savoir ce million de livres parti en fumée. Et lors des tournées de conférences dans lesquelles Drummond et Cauty présentent la vidéo, c'est inévitablement l'incompréhension, la colère et le mépris qui émergent dans la salle. En même temps que le monde de l'art n'a jamais accordé jusqu'ici de valeur esthétique à leur démarche, la valeur réelle du million brûlé et sa valeur symbolique d'affront au milieu de l'art en font une action d'une force terrible. Malgré les interrogations du public, Drummond et Cauty ne se sont pourtant jamais expliqués clairement sur la raison pour laquelle ils ont liquidé tout l'appareil comptable de KLF, le catalogue comme les profits, mais ils ont plus tard exprimé des regrets de l'avoir fait. À les voir devant le feu, on peut tout de même sentir qu'ils n'en ont aucune idée claire eux-même, la volonté de le faire semble néanmoins plus forte. On peut supposer que c'est en vertu de cette éthique bizarre du récit qu'ils ont décidé de tout brûler.

Vous pouvez vous aussi voir en plan séquence la K Foundation brûler un million de livres sur youtube;
Ou encore écouter un documentaire qui remet en contexte l'action et présente ses suites quelques mois plus tard dans un documentaire en 5 parties disponible sur Youtube.

samedi 18 juillet 2009

Proust et Rimbaud sur Atari

L'image vient du compte Flicker d'un graphiste qui s'appelle Plan 9.002. Jeux vidéo rétro, culture classique, détournements publicitaires violents: plus je regarde ses créations, plus je l'aime ce gars-là.

mardi 14 juillet 2009

Tarako!

Quoi de mieux qu'une bonne chanson sur une sauce d'oeufs de morue, inquiétante et répétitive, qui te reste dans la tête pendant une semaine pour bien commencer sa journée?


Quand je suis bloqué devant mon écran, je lis tout haut des extraits d'Album de finissants par-dessus ça en me demandant si ça vaudrait la peine de m'enregistrer et de mettre le mp3 en ligne. Il y a quelque chose du surmenage, de la crise de panique au milieu d'un monde souriant et dépourvu de sens. Un genre de Small World After All où l'exigence aliénante de bonheur à tout prix a été remplacée par l'exigence de de surproductivité.

Une chose est sûre, Tarako s'en va direct dans ma liste de chansons pour enfants inquiétantes , avec:
- Los Chavalitos, Vamos a la cama;
- Patience and Prudence, A smile and a ribbon;
- Unnamed Artist, I'm dressing myself.

C'est ça que je vais écouter si un jour je visite le sanctuaire des poupées perdues.

vendredi 10 juillet 2009

Du fun avec les mathématiques

La mort de Michael Jackson, on est pas mal tannés d'en entendre parler. Sauf quand les mathématiques appliquées s'en mêlent. Justement, Times Online s'en sert pour nous introduire au problème du Bar El Farol qui malgré son nom farfelu est un problème de stratégie et probabilités.

Le voici. Soit (soit! maths 103!) un bar tout petit qui est vraiment le top du top le mardi, mais seulement à la condition que moins de 60 personnes viennent parce qu'à partir de 61 c'est vraiment chiant et il perd presque magiquement tout son intérêt. Or, il y a 100 personnes en ville qui aiment vraiment la place et comme le bar est loin, il est impossible de juste aller voir s'il y a plus de 60 personne. Re-or, c'est justement mardi, alors est-ce qu'on y va ou pas? C'est là que ça devient un problème mathématique, parce que l'analyse de la situation implique un mélange de calcul de probabilités et l'utilisation d'un théorème qui s'appelle l'Équilibre de Nash. Et de toute manière c'est finalement mieux de rester à la maison et de réfléchir abstraitement au problème que de risquer de s'emmerder encore une fois avec les 60 hipsters qui ruinent systématiquement tout ce qui est le fun dans la vie. Et puis pourquoi on sortirait, il pleut fucking tout le temps.

Mais quel est le rapport avec Michael Jackson? La question se pose pour ceux qui ont acheté les billets pour sa dernière série de spectacles qui devait avoir lieu à Londres. La compagnie de production offre de rembourser les billets, mais les billets ont-ils une chance de valoir plus comme item de collection si on les garde? Si une majorité de gens se fait rembourser son billet, la valeur de ceux qui ne le vendront pas augmentera; si une majorité de gens le garde, les même billets ne vaudront plus rien. Comme pour les figurines de Star Wars Episode I, tout le monde s'est garroché pour en acheter et finalement les invendus, ça s'est tout retrouvé au Dollarama.

Les maths, c'est cool, non?

***

Ce qui me permet de mentionner un autre sujet bizarre de maths sur lequel je suis tombé. Comme je m'intéresse à la bibliothéconomie, je niaisais l'autre après-midi en lisant sur les algorithmes de classement qui permettent de référencer des bases de donnée. Comme tout le monde sait, c'est LE sujet de l'été et ça marche au boutte pour se pogner des filles, aussi bien à la terasse de l'esco que sur la piste cyclable dans le Vieux-Montréal. Or, en cherchant, je tombe sur un truc qui s'appelle le "pigeonhole principle" ou le "principe des tiroirs" en français qui affirme que
si E et F sont deux ensembles finis, tels que card(E) > card(F) et si f : E→F est une application de E dans F, alors il existe un élément de F qui admet au moins deux antécédents par f ; autrement dit il n'existe pas d'application injective de E dans F.
Qu'est-ce que ça veut dire? J'en ai aucune espèce d'idée. Sauf que selon ce principe, on peut conclure avec certitude qu'au moins deux personne dans la ville de Dallas ont exactement le même nombre de cheveux, et ce, sans avoir à compter les cheveux de personne. Il faut seulement placer virtuellement la tête de chacun des habitants dans un tiroir:
une tête normale a environ 150 000 cheveux et il est raisonnable de supposer que personne n'a plus de 1 000 000 de cheveux sur la tête. Il y a plus de 1 000 000 personnes à Dallas. Si nous associons à chaque nombre de cheveux sur une tête un tiroir, et si nous plaçons chaque habitant de Dallas dans le tiroir correspondant à son nombre de cheveux sur la tête, alors d'après le principe des tiroirs, il y a nécessairement au moins deux personnes ayant exactement le même nombre de cheveux sur la tête à Dallas ! Évidemment, le résultat reste vrai pour n'importe quelle mégalopole.
Mettre des têtes dans des tiroirs, classer les gens par leur nombre de cheveux: ce genre de truc-là me fascine profondément et je trouve ça juste trop génial. Qui vient avec moi dans mon tiroir? Vous pouvez vous les arracher si le compte est pas exact.

***

Mais Doctorak, d'où vous vient ce si futile intérêt pour les mathématiques appliquées? Il pleut tout le temps calice.

lundi 6 juillet 2009

Les vacances du bruit

J'ai dans mon lecteur mp3 quelques disques impossibles que Marc-Antoine K. Phaneuf m'a copiés, des disques de noise radicaux, de la pure distorsion sans rythme ni mélodie. J'avoue que j'ai toujours aimé le noise, mais d'une étrange façon. J'aime surtout l'idée, l'idée radicale du pur bruit, d'une atmosphère tellement étrangère à toute idée de musique qu'on se trouve rendu là passé même l'idée de laideur consciente. On se trouve dans l'inhumain sans laideur, sans agressivité, dans la pure altérité de l'oreille. Mais aimer cette musique pour son concept suffit diffcilement à nous la faire apprécier pour ses qualités sonores et l'expérience qu'elle procure. Aussi, ces disques de Bastard Noise et de Prurient, je n'ai jamais l'idée de me les mettre. T'es avec des amis, vous vous faites un petit souper et quand le disque des Lost Fingers finit, t'as pas beaucoup de chances de faire lever le party avec une bonne shot de Merzbow dans le tapis. Quel souper il faudrait, quels invités pour que ça se produise? Qu'est-ce qu'on mangerait? On retombe encore dans des questions conceptuelles, mais elles ne sont pas dépourvues de sens, parce qu'après s'être aliéné une soirée de temps dans un souper avec des universitaires bcbg conformistes radio-canadiens qui te cassent les oreilles avec les Lost Fingers, t'aurais des fois juste le goût de leur câlisser une bonne heure de "Naut Humon remixes Yannis Xenakis" à leur faire saigner les oreilles.

La question demeure: mais quand est-ce qu'on écoute ça? J'ai trouvé une esquisse de réponse dans l'autobus vers Québec la semaine passée, au milieu de touristes béats en robe soleil en crocs et en bermudas carreautés, des touristes en grosse bonne humeur à se mettre à te parler qu'ils ont donc hâte d'aller voir le Cirque du soleil à Québec et que le Moulin à image ç'a donc l'air pété et que les célébrations du 400e c'était magique et qu'à la Saint-Jean sur les plaines d'Abraham t'as donc l'impression que pour un soir tous les québécois laissent leurs différents de côté pour communier... pour COM-MU-NIER. Plus jeune, j'aurais sûrement sorti mon walkman et je me serais mis dans le tapis ma cassette de Bérurier noir, mais à ce moment-là, dans l'autobus pour Québec, béru et le punk c'était plus suffisant, on est au-delà même de l'idée de vouloir communiquer notre refus de cette société, passé le stade où la relation à autrui est encore souhaitable, même par l'affrontement, le débat, la polémique, l'expression du refus. Pour la première fois, le noise a trouvé son chemin dans ma vie, et cette distorsion démente, dont l'inhumanité excède le refus, la révolte, l'agression, la communication, toute idée, sorte de singularisation impossible et secrète parce que personne d'autre que moi pouvait l'entendre sortir de mon lecteur mp3, cette distorsion fut la trame sonore parfaite d'un après-midi calme et ensoleillé passé à regarder défiler le paysage, les montagnes, les arbres, les talus. J'étais en vacances.

mercredi 1 juillet 2009

Nos plus beaux poèmes sur les condiments

Ketchup! Moutarde! Mayonnaise! Le condiments ont le pouvoir et nous faire rire et de nous faire pleurer, et depuis la nuit des temps, ils ont toujours su inspirer les poètes. Et au Québec peut-être plus qu'ailleurs, car après tout, n'est-ce pas à la fascination pour le poivre et les épices que nous devons la découverte de l'Amérique, notre patrie? Ô, Jean de Brébeuf, ton coeur aurait-il été meilleur avec de la sauce HP et un accompagnement de chutney indien?

Doctorak Go! vous présente aujourd'hui son florilège des plus beaux poèmes d'ici sur les condiments. Il faudrait rendre hommage avant de commencer à Patrice Desbiens qui est sans nul doute LE grand poète des condiments, mais par souci de diversité, nous avons préféré n'en inclure ici qu'un seul, intitulé fort justement "Ketchup".

***

Et bientôt sont formés la succulente andouille,
Le boudin lisse et gras, le saucisson friand,

Et plusieurs mets exquis, savourés du gourmand.
Ainsi le bon pourceau change pour notre usage
Et ses pieds en gelée, et sa tête en fromage.

On taille, on coupe, on hache, et des hachis poivrés
Sortent les cervelats, et les gâteaux marbrés.

(Joseph Mermet, "Les boucheries", extrait, vers 1815)


***

le ketchup a brandi ses œillades
et les vermifuges ont suivi
je t’ai enculé de toutes parts
mon clitoris gunéiforme et presbyte
et la lumière fut

Louis Geoffroy, Les Nymphes cabrées, 1968

***

On a vu un barbu manger un hamburger
avec rien dedans
Pas de relish
pas de moutarde
pas d'oignon
pas de ketchup

Rien

Ivanka le lui a servi ouvert
on pouvait voir le sang
que suait le steak
mouiller le pain

Ça prend toutes sortes de maniaques

Réjean Ducharme, L’hiver de force, 1973 (découpé en vers, 2009)

***


Ketchup

La journée est chaude.
Le soleil brille comme un beau 25
cennes neuf.
Le beurre de pinottes coule dans la rue.
Il forme un petit ruisseau brun.
Les enfants sont comme devenus fous.
Ils ont le blanc de l'oeil rouge et
le noir de l'oeil blanc.
Ils se baignent dans le beurre de pinottes.
Ils se promènent dedans avec leurs bottes
d'hiver.
Certains, même, y envoient leurs bâtons
de popsicle déguisés en bateaux.
Vers midi, une bouteille de ketchup a
explosé, prenant la vie d'une famille
entière.
Ce n'était pas du Heinz.

Patrice Desbiens, Les conséquences de la vie, 1977

***

Elle aimerait les hamburgers
huileux avec relish
mustard sucrée et ketchup

Le tout arrosé d'un coke
Dégueulasse

et le café dit régulier :
une espèce de lavasse teintée de café

Elle aimerait

Régine Robin, La québécoîte, 1983 (découpé en vers, 2009)

***

DROGUE DE BUTCH

Le frigidaire ne garde plus que tes poppers
la moutarde
la mayonnaise
une vieille sandwich piquée au sauna
du café instant
de la bière en canettes
sublimes
avec une description méticuleuse du char

Un pénis saignant ne durera jamais comme les Quaaludes

La paranoïa nous guette
le cock-ring essentiel
et le sang bloque le "shaft"

il n'y a qu'une waitress
une old fairy
qui a servi dans tous les puits de pétrole

elle se souvient de ton petit nom et tu es ravie
mais elle ne sert
que de la vinaigrette au roquefort

Josée Yvon, Filles-missiles, 1986

***

L'humanité est tombée dans le cornet de crème glacée du petit gars aztèque Roger Tremblay la plume magique. Depuis il y a eu la naissance de Vénus de Botticelli la guerre du Viêt-nam l'aventure des plaisirs sexuels chez les dinosaures que l'on n'oubliera pas de sitôt à cause des tremblements de terre le Chili en sang et en sauce des robes de malachite lézard pour se protéger des rayons solaires des mouvements syndicalistes c'est ça qu'on va faire! un voyage organisé au pays des morts la partie supérieure de la cuisse légère un dôme cosmique quatre tables le centre du monde et ses alentours un canard siffleur près du quai près de Québec toutes les pensées bouddhistes tibétaines le ciel sous la forme d'une déesse au corps courbé Tchernobyl Hiroshima mon amour.

Patricia Lamontagne, Rush papier ciseaux, 1992