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mercredi 27 avril 2011

Où sont les mèmes québécois?

La diagonale, un des meilleurs nouveaux blogs se spécialisant dans la critique, se pose depuis un semaine une question pertinente: quels sont les mèmes québécois? La réponse surprend: alors qu'on s'imaginerait qu'il y en a plein, à bien y penser, on n'arrive pas à en trouver. "La Fille" de la Diagonale en propose quelques-uns qui ne sont pas très convainquants. La figure de Rick Genest d'abord, ou Zombie Boy, ce gutter punk montréalais au visage tatoué d'une "face-de-squelette-de-tête-de-monstre" (ce nom est une gracieuseté de Lorazepam). Mais cette figure (c'est le cas de le dire) est plutôt à placer dans la catégorie des "célébrités en ligne", comme Tad Zonday ou Jessi Slaughter le furent à d'autres moments. Les vidéos du Bouboulshow et d'Unyk entrent dans une catégorie semblable de ces vidéos qui font la promotion de personnalités de classes populaires, tour à tour risibles et touchantes dans leurs maladresses de langage et leur imaginaire fruste.
La Fille mentionne finalement Paul, le PFK kid, de Pea Soup de Pierre Falardeau, vidéo culte dont la popularité excède de loin la temporalité des réseaux sociaux et des sites de vidéos en ligne qui lui ont donné une seconde vie. Mais Paul n'est pas à proprement parler une "célébrité en ligne", il serait plutôt de l'ordre de la vidéo virale. On pourrait en trouver quelques-unes qui ont le même statut indéniable, comme Anita rencontre Fidel Lachance ou la palourde royale.
Mais, il faut le reconnaître, il manque quelque chose à la fois aux célébrités en ligne et aux vidéos virales pour qu'on puisse leur attribuer hors de tout doute le statut de mèmes. Il leur manque en effet le caractère de réplication qu'on retrouve partout ailleurs, c'est-à-dire la capacité de constituer un matériau pour d'autres vidéos. Or c'est ce qui fait toute la profonde singularité des mèmes. Ils ne fonctionnent réellement que lorsque le matériau atteint ce stade où il se trouve amalgamé à d'autres références culturelles dans une sorte de dynamique où la forme et le contenu changent constamment de position. Tantôt le matériau A devient la structure qui mettra en forme le matériau B, mais l'inverse peut se produire aussi. Par exemple, Chad After Dentist reprenait la structure narrative de David After Dentist pour lui substituer un élément de la Guerre des étoiles, Darth Vader. Mais ailleurs, par exemple dans toutes les variations de "It's a Trap" (une réplique tirée du Retour du Jedi), la situation s'inverse: le matériau de la Guerre des étoiles devient la structure à toutes les variations possibles.
Pouah, c'est super formaliste comme élément d'analyse et c'est pas du tout mon style et je me fends le cul pour expliquer ça, et ça devrait pas être à moi à faire ça, c'est pas ma job. Faut vraiment tout faire soi-même... Mais pourquoi je fais ça? Pourquoi? Parce que ce dernier trait, la réplication, n'existe pratiquement pas au Québec, et c'est vraiment dommage. Parce qu'il s'agit probablement d'une des plus intéressantes productions culturelles de notre époque. Peut-être que ce qui restera en matière de culture populaire, ce n'est pas la musique qui en arrache un coup ces temps-ci prouver sa pertinence et arriver à s'élever plus haut que la nostalgie pour une ou l'autre des sous-genres passés auxquels elle puise; ce n'est pas le cinéma non plus qui est à toute fin pratique mort et enterré sous les décombres d'un modèle économique moribond; ni la littérature de masse qui n'attend que d'être remarquée par la catastrophe susnommée, ni même le sport ou les vêtements, et que sais-je encore.
En matière de culture populaire, les mèmes représentent une révolution insoupçonnée. Ils ont indéniablement un côté punk dans la mesure où ils appartiennent à une culture DIY souvent trash et percutante et opèrent, comme le faisait la culture punk, un pas de côté ironique et critique de la culture dominante. Le mème, c'est un "God Save the Queen" pour une époque où les kids désabusés auraient troqué leurs instruments cheap de pawn shop pour une version piratée de Photoshop et Final Cut.
Voici de quoi aurait l'air un mème québécois selon les experts
Ceci dit, y a-t-il une raison pour laquelle cette culture de la réplication et de la parodie tarde à s'implanter ici? J'hésite à proposer des interprétations. Est-ce parce que la langue est présentement privilégiée à l'image pour ce genre de pratique de détournement? Est-ce parce que la morale qui prévaut ici fait en sorte qu'on ne s'autorise à la parodie que sous certaines conditions? Est-ce parce que la tradition du détournement québécois qui passe par Croc, RBO et Sans limite est en train d'être oubliée? Est-ce parce que nous sommes réfractaires à accepter ces référents culturels mondiaux (Mario, La guerre des étoiles, les morts-vivants, etc)? Ou encore est-ce parce que nous demeurons réfractaires à tourner en dérision les référents culturels immédiats? Ou que ces référents ne sont juste pas intéressants?

Pff men, vous allez pas me dire qu'avec la pelletée d'artistes au mètre carré dont on arrête pas de nous vanter l'incroyable créativité, il n'y a personne pour être un peu spirituel dans un petit détournement de vidéo? Un gif animé? Juste un petit GIF? Ok, une image avec sous-titre? Un petit sous-titre?