passez faire un tour à la boutique: doctorak.co

mardi 17 novembre 2015

Doctorak co., saison 2015-2016

Juste à temps pour le post-halloween d'avant-avant-Noël, c'est le lancement de la nouvelle saison Doctorak co. Voici les nouveautés au catalogue.

Designs personnalisés. Vous avez une idée géniale? Tout se fait automatiquement à même la boutique. Voici les modèles disponibles.


Un gabarit existe aussi exprès pour les citations plus longues. Une citation d'écrivain, d'artiste, de premier ministre ou de voisin schizophrène dont vous pouvez entendre le détail du délire paranoïaque par la fenêtre ouverte de votre chambre en vous demandant à chaque nuit de hurlements s'il va pas se tuer ou crisser le feu à l'immeuble.



Ne me parlez pas de ma thèse/de mon mémoire sur t-shirt NOIR!

Année après année en décembre et en juin les commandes arrivent en quantité durant la nuit et on sent la détresse de tous ces étudiants désespérés par ce travail qui ne va nulle part ou inquiets de cette annonce de colloque contenant un titre de communication étrangement similaire à leur intitulé de recherche. Le principal problème de ces étudiants durant ces nuit d'insomnie qui les mène à ma boutique était jusqu'à maintenant que je n'offrais "Ne me parlez pas de ma thèse" et "Ne me parlez pas de mon mémoire" qu'en blanc. Mais comment pourrait-on seulement porter du blanc en ces temps d'infortune et de calamité? Le voici maintenant en noir.

Virginia Woolf. T-shirt de loup!

L'idée était si simple et si efficace que je ne me sentais sollicité ni intellectuellement ni du point de vue du design. Mais j'ai eu beaucoup de plaisir à apprendre les rudiments du FLOUTAGE DE CONTOUR et de la superposition d'images propres à l'esthétique vernaculaire si adroitement maîtrisée par tous ces designers anonymes qui inventent le langage visuel à venir des événements communautaire péruviens , des vidéos de fans de Boom Desjardins et des signets mortuaires . L'idée originale m'a été donnée à la terrasse du Cheval blanc par un ami que je ne vois pas très souvent.

Épormyable. 


Le design vernaculaire, pour ceux qui l'ignorent, définit ce langage visuel qu'on retrouve partout hors des grands centres. C'est l'équivalent country du design et c'est une faute de goût que de mépriser cette esthétique pragmatique qui trouve des manières de produire le plus d'effets avec la plus grande économie de moyens. J'aime par exemple les designs de cotons ouatés de pourvoirie avec des canards et des orignaux. Tu vois ça et tu sens l'odeur de feu de camp qui lui reste accrochée et tu touches avec les yeux cette tache possible de gomme d'épinette et t'imagines les bouts d'écorce qui se pogneront un jour dans le tissu. J'ai essayé de rendre hommage à cette esthétique de pourvoirie, avec un orignal gigantesque, menaçant comme un WENDIGO, un monstre qu'on retrouve chez les cris et les innus . Avec le wendigo d'un bord et la Gougou de l'autre, ce pays qu'on habite est des plus épormyants.

Petite pause. 

Depuis le début de la boutique, je vends beaucoup plus de t-shirts pour hommes que de t-shirts pour femmes. C'est la raison pour laquelle dans un avenir rapproché je vais diversifier un peu ma production et proposer autre chose.

Il y aura
Il y aura des taies d'oreiller
Il y aura des sacs fourre-tout et des grosse mains en mousse
objets amusants qui racontent l'oubli
de soi et d'insidieux
memento mori

Note instructive à l'intention de ceux dont ma boutique en ligne est le sujet d'un mémoire de maîtrise : la longueur de chaque vers de ce poème correspond à la quantité relative de t-shirts vendus par taille (de XS à XXL) depuis que je comptabilise les statistiques à ce sujet.

Nelligai.

J'ai eu cette idée en remarquant la citation gravée dans une plaque à La maison des écrivains de l'UNEQ. Le design est si gai qu'il m'a demandé 15 heures de travail. Le vinyle utilisé pour l'impression de ce t-shirt est dans un rose d'un fluo si intense que la lumière s'y reflète en licornes de pompier musclé bonbon arc-en-ciel.

Nietzsche.

Je ne suis pas graphiste, pas dessinateur. Pas habile avec un crayon. Pas bon avec les couleurs. Aussi, j'ai travaillé des jours, plus longtemps que dix bédéistes, pour transposer la face de Nietzsche dans une esthétique à mi-chemin entre le tattoo vintage et une certaine iconographie orthodoxe. J'aimerais bien en faire plus, Lautréamont, Rimbaud, Baudelaire, les mauvais garçons du dix-neuvième siècle. Écrivez-moi si vous avez des demandes spéciales. Ou si vous considérez que je passe à côté de ma vie.

Vickie Gendreau. 

J'ai passé l'an dernier des centaines d'heures à dépouiller les archives littéraires de Vickie avec l'aide précieuse d'Aimée Verret. À la fin du processus, nous aurons lu pratiquement tout ce qu'elle aura écrit entre 2000 et 2013. Cette oeuvre est d'une puissance renversante, et nous cherchons encore la meilleure manière d'en faire apparaître la cohérence dans un projet de publication en plusieurs livres. Ce ne seront pas des "documents", ce ne seront pas des "archives". Tout ceci est très long à préparer, mais de toute manière le temps n'est pas encore venu d'en amorcer la publication. On ne sait pas quand exactement ce sera le temps, on cherche pour cette raison des moyens de savoir quand. Ce projet de t-shirt en hommage à Vickie s'inscrit dans cette recherche. Je vais suivre les variations dans les quantités vendues. Je pense à elle à tous les jours, elle me manque encore beaucoup et ce design est disponible en rose fluo pétant et en vinyle métallique doré.

Macarons.


Plusieurs nouveaux macarons sont aussi en vente. Y a des belles affaires mais je suis tanné d'écrire et je fais pas tant d'argent que ça par macaron vendu alors fuck it je retourne lire de la philosophie pour mon projet d'essai... Bye!

Lien vers la boutique.

jeudi 29 octobre 2015

Refus du prix Spirale Eva-Le-Grand

En juin dernier, le comité du prix Spirale Eva-Le-Grand m’a écrit pour m’informer que mon dernier livre, La vie littéraire, avait été mis en nomination. J’ai demandé qu’on le retire de la liste. Parce que je n’approuve pas ce qu’on pourrait appeler, faute de mieux, l’économie des prix littéraires et que, pour ne pas rester cynique face à cette économie, j’ai fondé une organisation qui s’appelle, comme le livre, l’Académie de la vie littéraire. Le comité a d’abord accepté ce retrait et l’a mentionné en note éditoriale dans le numéro de Spirale paru à l’été 2015.

Mais le comité a ensuite changé d’avis et décidé de m’attribuer tout de même le prix, plutôt que de le donner à un des deux autres auteurs en nomination. J’avais demandé qu’on retire mon nom pour éviter une déclaration publique qui risquerait au final de nous nuire, au prix Spirale et à moi-même. Mais la décision du comité me contraint d’en faire une. Sous la forme d’un essai un peu long, pour éloigner le plus possible de cette histoire les journalistes culturels amateurs de brèves et de communiqués de presse.

On n’en parle pas souvent, mais le principe même des prix littéraires pose problème, comme des prix culturels en général, en musique, en cinéma, en arts visuels, etc. Chercher à récompenser la meilleure œuvre parmi toutes les autres de façon annuelle est une entreprise absurde à plus d’un égard. Pour faire simple, « chercher à récompenser » pose problème, « la meilleure œuvre parmi toutes les autres » pose problème, et « de façon annuelle » pose aussi problème.


1. « Chercher à récompenser »

La question de l’intégrité du jugement des comités qui attribuent les prix est toujours une des premières à réapparaître dès que la pertinence d’un prix culturel ou un autre est remise en doute. Il n’y a jamais besoin de chercher beaucoup pour savoir quel membre du jury connaît personnellement quel finaliste. Mais contrairement à ce qu’on pourrait croire, si un certain favoritisme peut toujours s’exercer, il se manifeste au niveau des préférences esthétiques, et il y a finalement très peu de réel trafic d’influence. L’accusation de copinage et de retours d’ascenseurs est ainsi le plus souvent trop grossière pour saisir le problème de l’économie des prix dans un réseau culturel toujours trop petit pour qu’une séparation objective entre comités et lauréats existe. Pratiquement tous les jurys institutionnels sont dans cette situation. Que les membres des jurys soient des professeurs d’université, des journalistes ou d’autres auteurs, il est strictement impossible au Québec d'instaurer une séparation effective des jurys et des finalistes. S’il y a une paranoïa du copinage, c’est du côté des institutions qu’elle agit, les comités sachant bien que la séparation complète entre juges et parties est impossible et qu’elle ne peut pour cette raison qu’être mise en scène. La crainte qu’on perçoive une apparence de favoritisme pousse aussi les prix dans une sorte de surenchère protocolaire et institutionnelle, comme pour cacher le plus possible au public le spectacle banal de cette familiarité qui risquerait de miner la qualité du jugement.

Cet état de fait, l’impossibilité de séparer jury et finalistes, place les prix littéraires québécois dans une situation difficile : seul un jury de non-professionnels serait objectivement en mesure d’assurer cette séparation, mais il en perdrait du même coup sa crédibilité. Le jury des soirées de slam se trouve dans cette situation : choisi au hasard parmi le public d’une compétition, il a statistiquement toutes les chances de ne pas connaître personnellement les performeurs qu’il jugera, mais cette méthode déplace radicalement la manière de juger du slam vers des critères « grand public », favorisant tantôt le pathos, tantôt l’humour facile, ou encore une rhétorique simpliste frôlant trop souvent la démagogie. Le Prix littéraire des collégiens cherche lui aussi à restaurer l’intégrité du jugement en assurant la séparation entre les finalistes et un jury nombreux, composé des étudiants d’une cinquantaine de cégeps de la province. Mais il le fait sans remettre en question ce petit comité de professionnels qui en amont sélectionne les œuvres en lice.


2. « La meilleure œuvre parmi toutes les autres »

Lorsqu’on réfléchit aux prix littéraires, on s’aperçoit que la séparation entre jury et finalistes n’est un problème que dans la mesure où toute attribution de prix repose sur un jugement de goût, jugement esthétique nécessairement arbitraire puisque les œuvres ne s’évaluent que qualitativement. Ce que cache en fait cette séparation, c’est l’impossibilité de comparer entre elles des œuvres forcément singulières. Or la singularité est le critère principal de sélection des œuvres mises en nomination, puisqu’on les distingue précisément en écartant toutes les autres. Mais un système de prix mettant en compétition un nombre restreint d’œuvres (de trois à cinq, d’ordinaire) se retrouve aux prises avec un deuxième problème, tout aussi insoluble. Comment ces trois, quatre ou cinq œuvres peuvent-elles être réellement singulières, c’est-à-dire ne ressembler à aucune autre, tout en demeurant comparables, de sorte qu’une d’entre elles soit en fin de compte plus susceptible que les autres de mériter le prix ?

Parler « d’une meilleure œuvre », c’est révéler le caractère fondamentalement arbitraire de tout jugement de goût. Et c’est malheureusement lorsqu’ils mettent l’accent sur cette méritocratie absurde que les prix culturels obtiennent le plus de visibilité dans le circuit médiatique culturel. Les médias de masse n’ont plus ni le temps de parler des œuvres, ni l’intérêt pour leur singularité, ni la patience pour le culturel en général, que fuient désormais les annonceurs. Certaines œuvres mériteraient pourtant qu’on parle d’elles plutôt que de telles autres. Certains livres, films, pièces, albums posent des questions, débusquent des problèmes qui ne pouvaient pas être mis au jour autrement. Et l’histoire culturelle ne conserve en général que ces œuvres qui posent une question, assurément pas celles qui sont mieux écrites ou « plus maîtrisées » que les autres.


3. « De façon annuelle »

Les prix institutionnels posent enfin un troisième problème. Ils instaurent une temporalité cyclique dans des champs de création artistique dont la forme est celle du devenir et non de la répétition. La temporalité cyclique appartient au monde du travail, du commerce, des médias. C’est parce qu’ils se conforment à cette temporalité cyclique que les prix littéraires annuels reçoivent un peu de visibilité en librairie et dans les médias. Identifier pour chaque année une œuvre artistique qui se démarquerait des autres est en soi un exercice intéressant. Mais lorsque cet exercice devient systématique, son absence de fondement méthodologique autant qu’esthétique apparaît. On le constate dès qu’on considère une série d’œuvres primées par une même institution. Avec un peu de recul historique, il est impossible de ne pas voir à quel point la plupart des prix se trompent sur leur époque. Pas dix noms remarquables sur la centaine de lauréats du Goncourt, et, bien qu’ils soient plus jeunes, les lacunes des prix littéraires québécois les plus prestigieux deviennent chaque année un peu plus apparentes à mesure que le tri se fait dans les œuvres importantes des années quatre-vingt et quatre-vingt-dix. À long terme, tous les prix fondés sur les genres littéraires perdent leur crédibilité quand la liste des récipiendaires oubliés par l’histoire s’allonge et montre à quel point les entreprises soi-disant les plus sérieuses sont à peu près toutes passées à côté de leur époque. Il est assurément difficile, peut-être impossible, de faire l’histoire en direct, mais la sensibilité qui préside au jugement est aussi prisonnière de l’institution qui choisit les membres du comité, comme elle est prisonnière de la charte qui circonscrit le prix à un genre, une tranche d’âge, une catégorie donnée. Il y a des années maigres en art, des périodes creuses pour le roman, pour la poésie, pour la musique ou la peinture, le cinéma de genre ou la sculpture. La temporalité cyclique des prix fait en sorte que très souvent des œuvres des périodes creuses sont récompensées à partir du capital symbolique constitué lors des périodes foisonnantes et que celles des périodes foisonnantes apparaissent trop vite pour que les prix adaptent leurs jugements de goût afin de les reconnaître et les récompenser.


Un refus au nom de l’Académie de la vie littéraire

Chaque prix littéraire essaie de composer comme il peut avec ces contradictions. C’est la raison pour laquelle j’ai d’abord tenu à refuser discrètement la nomination de La vie littéraire pour le prix Spirale Eva-Le-Grand. Je ne souhaitais pas dénoncer ce prix en particulier, mais plutôt manifester ma volonté de ne pas participer à l’économie générale des prix littéraires. Il est en effet tout à l’honneur du prix Spirale Eva-Le-Grand de ne sélectionner que des œuvres qui ont fait l’objet d’un article dans la revue, soit d’un travail de réflexion critique faisant apparaître quelque chose des questions qu’elles soulèvent et, donc, quelque chose de leur singularité. Mais ce prix, comme pratiquement tous les autres, prétend lui aussi à la séparation des jurys et des finalistes, et utilise lui aussi le système des nominations, qui force l’élection d’une œuvre singulière parmi d’autres œuvres singulières.

Je voudrais terminer en précisant ceci : je ne souhaite pas refuser ce prix sous prétexte qu’il n’est pas parfait selon mes propres critères. Il m’est plutôt impossible présentement d’accepter aucune nomination, encore moins un prix. Pour ne pas sombrer dans le cynisme et la mauvaise conscience à l’égard de cette économie des prix qui m’a toujours mis mal à l’aise, j’ai fondé en 2008 l’Académie de la vie littéraire, qui cherche à résoudre de plusieurs manières les apories de la récompense symbolique. Notre jury ne cherche pas à effectuer de séparation avec les lauréats. Bien au contraire, nous cherchons à créer des liens de communauté à travers la remise annuelle de nos prix. D’où le nom d’Académie de la vie littéraire, d’une communauté qui serait moins celle des auteurs que celle de démarches artistiques qui explorent les potentialités esthétiques du présent. Nous n’avons pour cette raison jamais mis en place de système de nominations, considérant que chaque œuvre récompensée pose à sa manière une question, développe une potentialité, même toute petite, qui lui donne sa singularité. Nous ne nous sommes jamais non plus contraints annuellement à respecter des catégories ou à remplir des critères de sélection, tout cela pour permettre de laisser arriver la littérature qui se fait aujourd’hui et tenter de saisir la pertinence de ces singularités qui apparaissent plutôt que de reconduire la permanence de genres littéraires à travers des catégories fixées d’avance. Depuis sept ans, nous avons travaillé d’arrache-pied, Catherine Cormier-Larose et moi (épaulés pendant un temps trop court par Vickie Gendreau), pour faire de l’Académie de la vie littéraire un projet qui donne une représentation de cette littérature québécoise que nous avons tant voulu voir advenir et dont nous avions si longtemps déploré l’absence. Aussi, je ne peux m’empêcher de penser qu’à ce moment-ci de la jeune histoire de l’Académie, accepter un prix ailleurs serait d’une certaine manière faire retomber notre projet au statut de « pied de nez délicieusement irrévérencieux » que l’« underground » ferait aux prix institutionnels plus sérieux. Nous ne sommes l’underground de personne, nous faisons tout en notre pouvoir pour que l’Académie de la vie littéraire raconte son époque du mieux qu’elle peut sans égard à ces autres instances sans doute plus prestigieuses mais compromises dans une économie symbolique qui n’a rien d’éblouissant. S’il faut refuser des prix pour qu’on nous prenne au sérieux, je le ferai et le referai encore.

Il y a aussi que ce livre que le prix Spirale voulait récompenser porte à peu de choses près le même nom que l’Académie. Il cherche lui aussi à critiquer une certaine économie du livre et de l’institution littéraire qui me semble nuire à l’apparition des potentialités esthétiques propres à notre époque. Je remercie le jury du prix Spirale Eva-Le-Grand d’avoir considéré la valeur essayistique de ce qui au premier regard a toutes les apparences d’une fiction littéraire ; mais accepter ce prix me placerait en contradiction avec cette forme d’engagement littéraire qui me tient à cœur. Pour les raisons que je viens d’évoquer ici, je me sens l’obligation morale de le refuser. Je me le dois à moi-même, mais aussi à tous ceux que nous avons rassemblés au fil des années et que nous rassemblerons encore autour de l’Académie de la vie littéraire.

Je tiens en terminant à m’excuser sincèrement auprès de la famille de madame Eva Le Grand, dont ce prix honore la mémoire.

mardi 17 mars 2015

Natalie Thibault et Sina Queyras


Comme un papillon avec une aiguille dans le cœur. C'est de même. Poèmes et collages. Rien que ça et pourtant on tient entre nos mains quelque chose de l'intérieur. C'est doux, c'est trash c'est là. Ça t'habite avant même de savoir que t'avais ça en dedans de toi, cet "abri Tempo/ où la tempête/ arrête de vivre".

Natalie Thibault, Comme un papillon avec une aiguille dans le coeur, L'Oie de cravan, 2014. 




M x T. Ce recueil est rempli de références historiques et artistiques et de formules mathématiques mais rien ne rachète la mort. "I emphathize with that stuck feeling/I understand bitter./I love the old question." Pleins de photographies parcourent ces poèmes, souvent elles ne sont pas prises sur le champ et avec des deuils alternatifs, des circuits qui conduisent aux émotions ou ceux qui brisent, M x T est un recueil de la survivance. C'est le quotidien mêlé de sublime, le poème et la merde, et tout sentiment vient de la mémoire et du temps.

Sina Queyras, M x T (Feeling= Memory + Time), Coach House Books, 2014.

samedi 14 mars 2015

Martin Sirois, Conception d'éclairage pour diverses adaptations théâtrales

Ces dernières années, beaucoup de textes contemporains qui n’ont pas été écrits pour le théâtre ont trouvé leur chemin sur la scène. Pour y parvenir, il faut à chaque fois briser le lieu, libérer la scène de l'unité d’espace, de temps et d’action pour donner la place au matériau langagier. Ces textes ont eu différents metteurs en scène, différents comédiens, mais Martin Sirois était de la plupart de ces productions. Son travail de conception d'éclairage permet de sortir la littérature actuelle des petites scènes confidentielles où elle est confinée d’ordinaire. La lumière qu’il organise, souvent très crue, tranche l’espace et permet de briser le lieu de l'identité, dirigeant l’oeil du spectateur  vers le corps et la voix des comédiens plutôt que sur des personnages, ce qui briserait quelque chose de l’apparition du texte sur la scène.


Vu d’ici, L’homme invisible, TestamentNombreux seront nos ennemis, Attentat.

vendredi 13 mars 2015

Steve Savage, Nathalie



Le nom de Nathalie est au cœur de chacune des phrases du livre de Savage, mais il n’évoque pourtant rien. Il est le centre vide autour duquel s’agglomèrent des milliers de phrases glanées en ligne au fil des années par Savage. L’effet d’accumulation correspond à ce à quoi on pourrait s’attendre de ce genre d’écriture procédurale : des hasards tantôt drôles, tantôt étonnamment touchants. Mais la surprise du projet vient plutôt de ce qui se passe lorsqu’on cherche à retourner au texte-source. En effet, les morceaux de textes glanés par Savage disparaissent rapidement, donnant déjà la possibilité de lire Nathalie comme une sorte de rapport de fouille archéologique répertoriant des fragments de l’intime, de cette génération où les Nathalie abondaient.


Steve Savage, Nathalie, Le Quartanier, 2014

jeudi 12 mars 2015

Éditions Rodrigol, Coffret typo

Photo : Mathieu Poirier

Ce coffret présenté dans une galerie de Trois-Rivières apparaît au premier abord comme un ensemble de livres déjà publiés chez Rodrigol. Mais la tranche et la couverture révèlent déjà la particularité du projet: toutes les lettres de chaque livre ont en effet été remplacées par les lettres comprises dans « RODRIGOL » jusqu’à rendre les textes illisibles. Par ce geste, les éditeurs parodient en quelque sorte le préjugé répandu selon lequel l’éditeur laisse une marque incontournable sur les textes qu’il publie. Cette marque, nous dit Rodrigol, s’apparente au code génétique mais ce code, en même temps, ne dit rien d’autre que son appartenance à la maison d’édition. Tautologie malicieuse qui rorr rrrorrr rrrlrrr rrorr dr lr rir drr idrologir rr roirr dr rrirr rrrrir r rirr.


Collectif Rodrigol, Coffret Typo, Exposition  EXPOTYPO, Trois-Rivières, 2014.

mercredi 11 mars 2015

Jacob Wren, Polyamorous Love Song

Photo: Sophy Bernier


Polyamorous Love Songs est sans compromis quant au projet qu'il se donne de penser l'art actuel. Et si les personnages de ce roman sont plus allégoriques que réalistes, c'est parce que seules des allégories en mouvement pouvaient travailler cette définition la plus actuelle possible de l'art que propose Wren, une définition fondée entièrement sur les interactions humaines. Car lorsqu'il n'y a plus ni institution ni objets pour le définir l'art n'est que cela: création de rapports humains parfois imperceptibles comme une paranoïa discrète, parfois conceptuels comme ce cinéma qui ne se déroulerait que dans l'existence d'un cinéaste sans caméra menant sa vie selon un scénario qu'il improvise à mesure. L’art ne produit plus d’artistes mais des oeuvres humaines.

Jacob Wren, Polyamorous Love Song, BookThug, 2014

mardi 10 mars 2015

David Turgeon, Le magnétophone de Yoko


Photo : Sophy Bernier


Le magnétophone de Yoko rassemble plusieurs essais de David Turgeon sur la bande dessinée. Pas cette bande dessinée highbrow des romans graphiques, mais plutôt cette production commerciale, souvent banale, des années 70 et 80 avec laquelle il a grandi. Les séries de Yoko Tsuno, du Scrameustache, des Petits Hommes, de Spirou ou de Sibylline n'ont pas toujours l'ampleur des classiques du canon de la bande dessinée franco-belge, mais Turgeon sait y trouver un détail    intrigant qu'il développe de la manière la plus spirituelle. C'est ce qui rend ce recueil d’essais si touchant : Turgeon l'adulte rend une sorte d'hommage à sa fascination d'enfant, sans pourtant la fétichiser. Elle demeure, enrichie par sa sensibilité qui a grandi avec lui.


David Turgeon, Le magnétophone de Yoko, Colosse, 2014

lundi 9 mars 2015

Daphné Cheyenne, Snif. Poème de Single Ladies


Photo: Catherine Cormier-Larose

Daphné Cheyenne travaille avec son fanzine Snif –Poème de single ladies le sujet déjà saturé de la peine d’amour et pourtant le ton, la manière de foncer sur le sujet plutôt que de simplement l’effleurer, le fait de s’y positionner comme l’activiste de son propre malheur renverse les rôles ou plutôt les juxtapose et rend la démarche si singulière. On aime le ton assumé, les poèmes écrits à la main, plusieurs fois « le moment d’ouvrir un fichier Word et de parler de ses larmes ». Travaillant également en vidéo de poésie, Daphné Cheyenne se positionne comme une incontournable des scènes underground et de la poésie hors des sentiers battus; bouleversante.
(Texte de Catherine Cormier-Larose)

  
Daphné Cheyenne, Snif, Rexpizza, 2014.

dimanche 8 mars 2015

Poésie d'espionnage


Les poètespions M., S. et V. sont les commissaires d'une série de transcriptions de conversations parfois banales, parfois niaiseuses, captées furtivement dans les lieux publics. Jusqu'ici rien de différent des innombrables "entendu à" ou "spotted" qu'on trouve ailleurs. Mais derrière son côté divertissant, le travail de mise en vers de ces paroles permet à Poésie d'espionnage de poser une question à la poésie et au récit. Le vers rend cette parole comme étrangère à elle-même , la décontextualise et met l'accent sur sa matéralité langagière. Face à l'impasse d'une jeune poésie plus conventionnelle qu'on institutionnalise incroyablement rapidement, cette autre poésie plus documentaire, qui refuse ou rejette la métaphore et l'image, cette poésie faite de scènes et de matériaux trouvés offre une alternative joyeuse mais au potentiel sérieux.


Poètespions M., S. et V., Poésie d'espionnage, Facebook et fanzine, 2015

samedi 7 mars 2015

Richard Suicide, Chroniques du Centre-Sud

Photo: Sophy Bernier


Comme le trait un peu propre et « Yipster » de Michel Rabagliati convient tout à fait aux façades et aux rues du Plateau Mont-Royal, seul peut-être un bédéiste issu de la contre-culture des années 90 comme Richard Suicide pouvait rendre d'une manière aussi fidèle un portrait du quartier Centre-Sud. Le désordre, la saleté et la dérive de ses habitants y sont plus foisonnants que désolants. La perspective de Suicide écrase tout au niveau du sol où les ordures et les bébelles cheaps du Dollarama et les projets qui n'aboutissent pas s'accumulent. Dans Centre-Sud, il n'y pas de ciel, pas de ligne droite, pas d'avenir, mais ça ne manque à personne. 
Richard Suicide, Chroniques du Centre-Sud, Pow Pow, 2014

vendredi 6 mars 2015

Carl Ling, Chroniques littéraires

Les premières critiques de Carl Ling sur Goodreads n'avaient au premier abord rien de différent des autres parodies de critiques amateurs: un utilitarisme terre à terre, une attention exagérée au sens supposément crypté de la couleur des couvertures, aux tailles de polices de caractères et une lecture en dérapage constant qui peut faire prendre un recueil de poésie pour un roman. Mais petit à petit des éléments complètement singuliers se sont dégagés et sont venus tisser des fictions déroutantes à partir d'éléments des textes. On n'est plus alors tout à fait dans la parodie, mais dans un collage hybride et schizophrénique qui n'a aucun équivalent. Jusqu'à Carl Ling, la critique-fiction n'était jamais allée beaucoup plus loin que la construction d'hétéronymes et de personnages destinés à illustrer un point de vue divergent. C'est comme si elle venait véritablement au monde. Une démarche aussi singulière pourrait assurément valoir pour elle-même puisque rien ne ressemble aux textes de Carl Ling. Mais elle pointe vers quelque chose de plus important. Nous vivons un moment étrange de l'histoire de l'écriture. Même si les textes de fiction foisonnent ils sont tout de même noyés par la communication écrite et perdent par là le pouvoir qu'ils ont déjà eu. Et la critique consciencieuse a en même temps presque complètement disparue, disparue des journaux, reléguées à des plateformes qui n'arrivent pas à durer. Mais la singularité de l'expérience de lecture reste. Nous sommes constamment marqués par des lectures sans toujours trouver le moyen de partager cette singularité. C'est peut-être ce chemin que cherche la critique de Carl Ling, à travers une création qui aurait trouvé un lopin littéraire abandonné entre les ouvrages de fiction et leur critique. Une critique qui ne raconterait pas l'expérience de lecture, mais transcrirait son intensité dans un langage singulier, baroque.

Carl Ling, Chroniques littéraires, sur goodreads.com et poemesale.com

jeudi 5 mars 2015

Pierre Demers, La bouette

Photo: Fabrice Tremblay


Là où se trouvait jadis le village de St-Jean-Vianney, il n'y a plus aujourd'hui qu'un lac de bouette et chaque dimanche des mécaniciens amateurs amènent les monster trucks qu'ils ont patentés pour se pogner dedans. Lorsque la réalité est si singulière, elle n'a besoin ni d'être mise en forme par un recit ni d'être relevée par l'appareil rhétorique du langage poétique. Seule peut-être une poésie dépouillée, une poésie à caractère ethnographique, peut arriver à la saisir. Une poésie terre à terre, faite avec la même bouette que l'épreuve à laquelle sont soumis ces camions retournés à l'état sauvage.

Pierre Demers, La Bouette, Trois-Pistoles, 2014.

vendredi 27 février 2015

Gala 2015 de l'Académie de la vie littéraire

Woaa nous sommes en train d'organiser notre sixième gala de l'Académie de la vie littéraire. On a trouvé du vraiment bon stock cette année. Le gala aura lieu le 15 mars à la Sala Rossa, mettez-vous un rappel sur Facebook parce que ça va être beau. La plus belle nouveauté cette année, c'est l'arrivée de Sara H à la confection des trophées. Sara fait des collage trash avec les vieilles revues de sa grand-mère! Chaque collage représente l'oeuvre qui remporte un prix et on capote vraiment parce que c'est non seulement beau mais tout à fait dans l'esprit de l'Académie de la vie littéraire. C'est tellement ça que c'est comme si elle avait toujours été là, ce qui n'est pas peu dire. Vraiment vraiment vraiment vraiment pas peu dire.

Et c'est la cinquième série de cartes d'auteur! Je ne peux pas dire qu'après cinq ans la fatigue ne s'installe pas. En fait, c'est de plus en plus facile de les confectionner, mais financièrement c'est un déficit qui se creuse à chaque année. Alors je me demande de plus en plus souvent combien de temps je pourrai encore tenir le coup. Mais à chaque fois je me dis que si nous laissons tomber le projet de l'Académie de la vie littéraire, quelque chose disparaîtra. Qu'est-ce que cette chose? C'est un instantané littéraire de notre époque comme multiplicité de propositions. Si nous arrêtions l'Académie de la vie littéraire, il ne resterait que cette liste des prix officiels, prix nombreux, dotés de bourse, avec des jurys (souvent) consciencieux, mais qui année après année continuent de nous décevoir.
Nous n'aimons pas l'idée que ce soit cette poésie qui représente la poésie actuelle, une poésie délicate et profonde certes, mais effrayée par la matière langagière de son époque, cherchant plus souvent qu'autrement à conserver une sorte de majesté déchue du Verbe, un Humanisme inefficace, une Intempestivité inutile. À l'Académie de la vie littéraire, nous cherchons la poésie qui met le langage poétique entre parenthèses et qui plonge dans la matière verbale du présent pour voir ce qui reste de la poésie au bout du chemin. Est apparue cette année une convergence vers quelque chose comme de la poésie documentaire, une poésie sans trop d'images ni de métaphores, qui ne garde souvent que le vers pour la rattacher au genre mais qui pour cela éclaire d'une manière crue cette matière textuelle et langagière qui reste du réel quand on lui a retiré jusqu'à ses images.
Nous n'aimons pas non plus que ce soit ce roman qui domine, un roman qui certes a pris des cours chez Joyce, Woolf et Proust, mais qui ne retient rien de la violence formelle de leur apparition à leur époque respective. Il y a tant de manières hybrides de réchapper le récit étouffé par la notion de personnage et d'univers romanesque. Le récit peut se tisser de presque rien et il retrouve comme une force d'évocation lorsque, par exemple, il émerge petit à petit d'une critique littéraire ou lorsqu'il doit se battre contre une pensée qui cherche à prendre le contrôle de la structure d'une nouvelle.
Des oeuvres singulières apparaissent aussi et nous avons encore souvent l'impression qu'il n'y a que nous pour les attraper. On tombe là-dessus et on se dit que c'est impossible, que c'est merveilleux qu'une telle chose existe et alors on oublie tout, le public qui est resté chez lui parce qu'il faisait genre -37 le soir du gala 2014, les ventes de paquets de cartes qui ne permettent pas de rembourser les frais d'impression, tout.
On va donc continuer encore un peu.

Si voulez nous encourager, j'ai mis les cartes 2015 en prévente sur ma boutique. Elles ne seront postée qu'après le gala, mais ça va nous aider à payer la salle, les musiciens, l'affichage.
Cliquer ici pour précommander les cartes


Gala de l’Académie de la vie littéraire
Dimanche 15 mars 2015
La Sala Rossa (4848 St-Laurent)
Portes : 19 heures
Show : 20 heures

Houseband: PROPOFOL
DJ MK-ULTRA