Cet été, pendant que personne ne regardait, j'ai fait un fanzine avec Julie Doucet. Oui, oui! La vraie Julie Doucet, celle qui a réalisé Dirty Plotte et qui fait partie de ceux et celles qui ont mis le Québec sur la mappe de la scène mondiale du zine. En fait, le fanzine qu'on a confectionné est une initiative du théatre Aux Écuries, une jeune institution théâtrale qui a décidé d'en finir avec les dépliants de programmation annuelle qui se ressemblent tous, ennuient tout le monde et s'empilent avec les autres dans les cafés et les entrées de bibliothèque, et de faire à la place un petit recueil broché d'images et de textes qui tournent autour des spectacles présentés cette saison au théâtre. Julie et moi avons été recrutés pour produire le contenu, et nous sommes arrivés finalement avec ce petit fanzine. Au programme:
- une lettre de madame fâchée qui comprend rien;
- un paragraphe de texte en train de s'écrouler dans l'abîme étouffant du bas de la page, un texte qui parle de la mort de Dieu, évidemment;
- un fauteuil des années 60 transpercé par des lignes énigmatiques;
- une nouvelle sur l'ordinateur sale du metteur en scène de Hamlet est mort - gravité zéro;
- un photoroman sur le thème du bondage pour une série de performances qui s'appelle J'arrive en morceau dans dix valises;
- un femme de qualité décapsulée par une grosse main au nom du spectacle Papercut;
- un mot caché rigolo.
Et vous savez ce qui est bien? Le fanzine est gratuit. Il s'appelle AARGH et il a l'air de ça:
Il faut seulement le trouver dans la pile des programmations annuelles ennuyantes des autres théâtres à l'entrée d'un café ou d'une bibliothèque de votre choix.
Et puis j'étais là chez moi et j'attendais que le fanzine sorte. Je jouais à Tony Hawk Pro Skater 3 pour tenter d'oublier mon été de marde, pour essayer d'arrêter de faire autre chose que dormir pour fuir la réalité. Et là j'ai appelé le bonhomme que je me suis créé Julie Doucet parce qu'elle portait des lunettes qui ressemblaient à celles de Julie. Et pendant que je lui faisais faire des Gymnast Plant to Varial Invert de 10 secondes sur le ponton d'un bateau de croisière, je me disais: wow, c'est une de mes idoles, j'ai travaillé avec elle, et là elle est en train de faire genre un combo de 500 000 points et je vais enfin avoir mon Sick Score sur lequel je bûche depuis une heure. Non mais, pourriez-vous juste penser à une seule chose que vous auriez faite dans votre été qui pourrait ne serait-ce qu'accoter ça?
dimanche 16 septembre 2012
jeudi 6 septembre 2012
Top 5 des jeux vidéo québécois
Comme chacun sait, la culture québécoise a inspiré des dizaines de jeux vidéo, certains vraiment mauvais mais quelques-uns qui valent vraiment le détour. Car les perles existent bien, c'est ce que nous fait oublier le défilé des trop nombreux navets du genre Guitar Hero: Steve Hill, Les Chevaliers d'émeraude Online ou Call of Duty: Un dimanche à la piscine à Kigali. Pour s'y retrouver un peu mieux, j'ai décidé de vous présenter aujourd'hui mon top 5 personnel. Veuillez noter que les jeux sont dans le désordre, je n'arrivais pas à choisir le meilleur!
1-Le ciel de Bay City
En tant que jeu de patin à roulettes, Le ciel de Bay City n'a peut-être pas la fluidité de gameplay de la série des Tony Hawk, mais est nettement sauvé par l'atmosphère étouffante qui y règne et contraste violemment avec le côté décontracté des objectifs à atteindre. C'est donc sur un fond de ciel mauve et menaçant et à travers un brouillard de cendres que le joueur devra exécuter ses combos, perfectionner ses grinds et débusquer dans l'aire de jeu les lettres qui formeront les mots "juive", "holocauste" ou "culpabilité". L'intrigue est aussi captivante que les défis à relever. Comment oublier le fantôme des grands-parents, cette maison familiale qu'on ne peut quitter, la finale déroutante?

Se positionner au bon endroit, viser, tirer, "pas dire un christ de mot", rien n'est simple dans ce jeu de chasse à l'arc où les bonnes prises sont rares. Mais les mini-jeux au camp de chasse (callage, calage, pleumage, etc.) qui ponctuent les aventures en forêt sauvent amplement la mise. On ne se lassera pas des meilleures missions : attraper les pintades, unlocker Laurier pour construire la table, lire le poème écrit sur le papier même de notre aliénation. L'idée de remplacer la trame sonore par les dialogues du film était une excellente intuition: leur répétition au fil des quelques 30 heures nécessaires pour terminer le jeu n'est jamais lassante. Attention de ne pas tirer Bernard!
3-François Marc Gagnon's SimArt moderne
On n'a aucune idée de la
difficulté de se doter d'une véritable tradition d'art moderne avant de
jouer à ce sublime simulateur historique. Gérer ensemble les artistes
qui s'exilent en France, les galeries et les manifestations d'art public
réprimées par les autorités de même que les réticences à implanter des
postes en art québécois dans les facultés d'histoire de l'art s'avère une entreprise ardue
mais qui en vaut nettement la chandelle: la carte de Montréal qui
scintille de toutes les galeries qu'on aura réussi à implanter de même
que de voir exploser la carrière internationale de ces peintres qu'on
aura créés est une expérience inoubliable. Le générateur aléatoire de tableaux automatistes est également une addition ingénieuse.
4-Le vaisseau d'or
Ce
RPG recèle tout ce qu'on peut attendre d'un grand classique et même
plus. Que ce soit le combat épique contre la déesse Gretchen la pâle
dans sa forme définitive du démon de marbre, l'énigme à résoudre du Clair de lune
intellectuel qui ouvre l'accès au Cloître noir, ou la terrible et sourde
descente au fond de l'abîme dans l'épave du vaisseau d'or où la
confrontation finale aura lieu, les moments mémorables ne manquent pas.
5-Le Paon d'émail
Un jeu vidéo peut-il être meilleur que le livre qui l'a inspiré? Les exemples sont rarissimes et l'exception qui confirme la règle est sans contredit l'extraordinaire Paon d'émail, adaptation du recueil de poèmes de René Chopin. Sorti sur PC au début des années 2000, Le Paon d'émail est souvent cité, avec Myst, ICO et quelques autres, parmi ces jeux qui arrivent à se hisser au niveau de l'expérience artistique. Tout ici est soigné: la qualité des décors moyen-orientaux, l'atmosphère doucereuse et embrumée du rendu. Touche finale à ce chef-d'oeuvre: la musique procédurale créée à partir d'un algorithme complexe qui intègre les règles de composition de la modernité musicale du début du vingtième siècle et évoque parfaitement, sans jamais pourtant les citer littéralement, les Ravel, Fauré et Debussy. Seul bémol à ce parcours autrement sans fautes: les puzzle eux-mêmes, qu'il est nécessaire de résoudre pour avancer dans le jeu, sont souvent difficiles et alambiqués, et le jeu est, globalement, trop bref. Une suite était originalement prévue, Le Nigog, beaucoup plus ambitieux, mais le projet semble perdu dans un development hell depuis si longtemps que peu de gens gardent encore espoir d'y jouer un jour.
Mention spéciale. Il faut finalement accorder une mention spéciale à Super Ducharme 2000 dont la plus grande qualité est sans nul doute d'exister pour vrai. J'ai quand même passé quatre heures l'automne dernier à essayer de passer le level "Gros mots".
ATTENTION: Comme ce top 5 n'engage que mon opinion personnelle et laisse peut-être injustement certains classiques dans l'ombre, Doctorak, GO! aimerait recevoir vos critiques et publier les meilleures. Lâchez-vous dans les commentaires.
MISE À JOUR: Jean-Philippe Morin, alias Darnziak, m'a fait parvenir cette critique du jeu d'aventure Voyage en Irlande avec un parapluie. Comment ai-jeu oublier ce jeu? Où avais-je donc la tête?
Mon jeu québécois préféré est Voyage en Irlande avec un parapluie de Sierra Online, un vieux jeu d'aventure à interface texte. Le joueur incarne Louis, jeune Québécois en route pour l'Inde après une rupture amoureuse. L'atmosphère pluvieuse et sombre, les graphismes dépouillés, les descriptions textuelles limpides font écho à ce classique de l'autofiction. Certains puzzles sont hallucinants de difficulté parce qu'ils sont trop simples : je suis resté des semaines coincé à Cork, j'ai dû acheter le roman de Louis Gauthier et m'en servir comme hint book afin de débloquer. Indice : le parapluie, dans votre inventaire, vous sera très utile. À l'époque j'ai tout tenté pour réussir l'histoire d'amour avec Kate la belle rouquine irlandaise - revisiter chaque écran dix fois, combiner tous les items - avant de réaliser que le jeu, et c'est toute sa beauté, ne peut se terminer que sur un échec, un peu comme dans Loom de Lucasarts où on n'est pas certain d'avoir sauvé le monde quand Bobbin se transforme en cygne et s'envole avec ses compagnons en transportant la trame du monde.
1-Le ciel de Bay City
En tant que jeu de patin à roulettes, Le ciel de Bay City n'a peut-être pas la fluidité de gameplay de la série des Tony Hawk, mais est nettement sauvé par l'atmosphère étouffante qui y règne et contraste violemment avec le côté décontracté des objectifs à atteindre. C'est donc sur un fond de ciel mauve et menaçant et à travers un brouillard de cendres que le joueur devra exécuter ses combos, perfectionner ses grinds et débusquer dans l'aire de jeu les lettres qui formeront les mots "juive", "holocauste" ou "culpabilité". L'intrigue est aussi captivante que les défis à relever. Comment oublier le fantôme des grands-parents, cette maison familiale qu'on ne peut quitter, la finale déroutante?
2-La bête lumineuse

Se positionner au bon endroit, viser, tirer, "pas dire un christ de mot", rien n'est simple dans ce jeu de chasse à l'arc où les bonnes prises sont rares. Mais les mini-jeux au camp de chasse (callage, calage, pleumage, etc.) qui ponctuent les aventures en forêt sauvent amplement la mise. On ne se lassera pas des meilleures missions : attraper les pintades, unlocker Laurier pour construire la table, lire le poème écrit sur le papier même de notre aliénation. L'idée de remplacer la trame sonore par les dialogues du film était une excellente intuition: leur répétition au fil des quelques 30 heures nécessaires pour terminer le jeu n'est jamais lassante. Attention de ne pas tirer Bernard!
3-François Marc Gagnon's SimArt moderne

4-Le vaisseau d'or

5-Le Paon d'émail

Mention spéciale. Il faut finalement accorder une mention spéciale à Super Ducharme 2000 dont la plus grande qualité est sans nul doute d'exister pour vrai. J'ai quand même passé quatre heures l'automne dernier à essayer de passer le level "Gros mots".
ATTENTION: Comme ce top 5 n'engage que mon opinion personnelle et laisse peut-être injustement certains classiques dans l'ombre, Doctorak, GO! aimerait recevoir vos critiques et publier les meilleures. Lâchez-vous dans les commentaires.
MISE À JOUR: Jean-Philippe Morin, alias Darnziak, m'a fait parvenir cette critique du jeu d'aventure Voyage en Irlande avec un parapluie. Comment ai-jeu oublier ce jeu? Où avais-je donc la tête?
Mon jeu québécois préféré est Voyage en Irlande avec un parapluie de Sierra Online, un vieux jeu d'aventure à interface texte. Le joueur incarne Louis, jeune Québécois en route pour l'Inde après une rupture amoureuse. L'atmosphère pluvieuse et sombre, les graphismes dépouillés, les descriptions textuelles limpides font écho à ce classique de l'autofiction. Certains puzzles sont hallucinants de difficulté parce qu'ils sont trop simples : je suis resté des semaines coincé à Cork, j'ai dû acheter le roman de Louis Gauthier et m'en servir comme hint book afin de débloquer. Indice : le parapluie, dans votre inventaire, vous sera très utile. À l'époque j'ai tout tenté pour réussir l'histoire d'amour avec Kate la belle rouquine irlandaise - revisiter chaque écran dix fois, combiner tous les items - avant de réaliser que le jeu, et c'est toute sa beauté, ne peut se terminer que sur un échec, un peu comme dans Loom de Lucasarts où on n'est pas certain d'avoir sauvé le monde quand Bobbin se transforme en cygne et s'envole avec ses compagnons en transportant la trame du monde.
lundi 3 septembre 2012
La rentrée macarons doctorak.co
Nous avons aussi maintenant des macarons à vendre en ligne. Vous pouvez cliquer sur l'image pour vos rendre sur la page de la boutique. Il faut cependant en acheter un minimum de trois, ou en commander avec un t-shirt un paquet de cartes.
La rentrée mode Doctorak.co
C'est la grande rentrée mode Doctorak.co! Que tu sois prof, étudiant ou travailleur culturel, doctorak co. a LE look qui convient à TA culture savante. Tous ces nouveaux modèles sont en vente dès maintenant sur le site et sont accompagnés de petits textes farfelus. Vous n'avez qu'à cliquer sur l'image pour vous rendre sur la page de la boutique.
vendredi 24 août 2012
Reprise de Vu d'ici
Pour ceux qui l'avaient manqué en 2008, Christian Lapointe et le Théâtre Péril reprennent la semaine prochaine Vu d'ici. Il faut voir Jocelyn Pelletier, seul sur scène, travailler le texte, occuper l'espace, s'adresser directement au public, éclairé par des écrans de télé qui diffusent en direct RDI, LCN, TVA.
Avoir été joué au théâtre, c'était déjà tout un honneur. Mais que la pièce soit reprise quatre ans après... Je suis tout seul dans mon salon et je joue à être un genre de mini-Michel Tremblay.
Vu d'ici
Une production du Théâtre Péril à la Salle Multi de Méduse
Du mardi 28 août au samedi 1 septembre 2012 à 20h00
Avoir été joué au théâtre, c'était déjà tout un honneur. Mais que la pièce soit reprise quatre ans après... Je suis tout seul dans mon salon et je joue à être un genre de mini-Michel Tremblay.
Vu d'ici
Une production du Théâtre Péril à la Salle Multi de Méduse
Du mardi 28 août au samedi 1 septembre 2012 à 20h00
mardi 14 août 2012
Une photo de chat dans un triste été
Je sors de mon silence pour une bonne cause. Un genre de
bonne cause, oui. Je passe un été triste. Vickie Gendreau, ma meilleure amie, dont
l’énergie me déborde dessus, avec qui j’ai fait tant de conneries amusantes,
mais dont j’ai aussi été le mentor littéraire impitoyable depuis deux ans, Vickie
qui travaille si fort pour réaliser son rêve de devenir une écrivaine, une vraie, a été
diagnostiquée d’une tumeur au cerveau. Inopérable. De celles dont on ne guérit pas. Les traitements ont eu l’air
de fonctionner jusqu’ici, lui donnant un répit qu’on n’imaginait pas au départ,
et elle a pu terminer un premier manuscrit, Testament,
un livre dur et sans compromis que je ne pourrai probablement jamais
relire
dans son entièreté tant me bouleverse cette jeune narratrice qui contemple
la mort
droit dans les yeux. J’ai passé beaucoup de temps avec Vickie depuis
juin. Nous
avons partagé des émotions que personne ne voudrait partager et nous avons
désespérément cherché
l’énergie pour continuer de nous amuser et de faire en sorte que le
quotidien
reste un terrain de jeu verbal, une fête champêtre avec du champagne et
des brillants dans le fond des coupes. Nous y sommes arrivés.
Mais pendant ce temps, Sophy, que
j’aime tant, notre amie, n’a
pas eu cette force. Abattue par cette nouvelle, elle qui est si joyeuse
et « gnéseuse » d’habitude s’est petit à petit refermée sur elle-même et
s'est retrouvée prise dans une suite de crises de panique qui ont fait
en sorte qu’au bout d'un moment, elle n’a plus été capable de sortir de chez
elle. C’est
à ce moment que sa chatte de 17 ans, la petite Po, sa seule vraie bouée
qu’elle
a à ses côté depuis son enfance, est tombée malade. Elle s’en
sortira, mais
Sophy n’a pas les moyens de payer les 1000$ que lui auront coûté son
hospitalisation et ses traitements, auxquels s’ajoutera ensuite une facture mensuelle
qui ajoute
à l’extrême pauvreté dans laquelle Sophy se trouve plongée présentement.
Même
si elle pourrait en venir à ne plus se payer de luxe d'aucune sorte, ni téléphone,
ni
Internet, même si elle pourrait arrêter de manger pour que Po continue
sa vie
de chat en santé, Sophy ne demandera pas la charité. Elle a plutôt
décidé de
célébrer la « chatte gériatrique la plus belle du monde » en faisant
des t-shirts, des macarons et des cartes postales qui lui permettront
peut-être
d’éponger ses dettes, de recommencer à respirer financièrement et de
remonter enfin la pente. Elle ne vous le
dira jamais comme ça, bien sûr, car elle veut que la vie reste une chose
légère et farfelue.
Elle veut faire de Po plus qu’une rock star, une sorte d’icône
presque religieuse
qu’elle distribuera à tout le monde. C'est une image qui rappelle le Che, c'est pourquoi nous,
on l’appelle le Cha. Le Cha Guevara. Le projet de Sophy est de faire de Po
le
patron des vieux animaux de compagnie, ceux qu’on n’abandonne pas tant
qu’ils gardent
une qualité de vie décente, ces animaux grisonnants fragiles et dignes,
dont on
connaît les moindre caprices et traits de caractère, et dans les yeux
desquels
nous pouvons voir nos propres angoisses de vieillir sans être abandonnés, à défaut des leurs, car ces yeux demeurent irrémédiablement
silencieux.
Mes amies et moi, nous trébuchons parfois mais nous sommes forts. Nous
sommes épuisés mais nous n’abandonnerons pas. Nous ne céderons pas à la
tristesse qui est venue de tous les côtés cet été.
Sophy prend les commandes sur sa boutique Etsy, et vous
pouvez suivre ses aventures sur son blogue, Lorazepam. Et pour Vickie... surveillez bien ce
qui va se passer cet automne. Ça va être "plus malade qu'elle", comme elle dit.
dimanche 3 juin 2012
Pour ne pas qu'advienne la dictature tranquille
Je n'aime pas du tout faire de la politique-fiction, mais l'époque m'y contraint. La dystopie est démoralisante, on aime mieux l'utopie, mais il est parfois nécessaire d'y jeter un coup d'oeil pour anticiper ces coups durs qui pourraient mettre à terre le soulèvement enthousiaste d'une génération. Sonder l'horreur de ce qui, il y a peu, était encore impensable, permet d'éviter le traumatisme et les réactions inconsidérées. La profonde nouveauté de ce printemps québécois a d'ailleurs jusqu'ici été celle-ci: le soulèvement s'est fait de la manière la plus mesurée.
Ce genre d'expérience de pensée constitue aussi une sorte d'ironie renversée où, au lieu de dire le contraire de ce qu'on pense en mimant la position inverse pour en faire apparaître l'absurdité, on fait aboutir dans une fiction du pire ce que cette position inverse a de potentiellement tragique. Il arrive qu'à certaines périodes, une société se trouve dans un état si malade que l'ironie ne fonctionne plus, car la violence des propos des suppôts du pouvoir ne peut plus être débusquée, amplifiée, démasquée. Elle apparaît au grand jour et, surtout, devient imperceptiblement acceptable pour une opinion publique en plein dérapage idéologique. Dans ces moments terribles, le cynisme devient la norme pour un présent qu'il devient de plus en plus difficile de dénoncer et l'ultime recours est encore d'anticiper, de projeter dans l'avenir le germe de ce qui pourrait demain devenir, tragiquement, la norme.
La dicature tranquille
J'affirmais récemment qu'une politique totalitaire canadienne était subitement devenue pensable. Qu'elle soit devenue seulement pensable, qu'elle ait ouvert cet espace dans notre imaginaire politique, restera peut-être avec le recul la seule chose que nous retiendrons de ce gouvernement libéral. Il aura rendu possible, même seulement possible, la dictature tranquille, et sa possibilité constitue un événement tragique sur la scène politique. Comme la révolution tranquille dont elle est la contrepartie, la dictature tranquille ne se ferait pas dans la violence et dans le sang, mais par un système d'amendes et d'une conception de l'"illégalité tolérée" qui donnerait au peuple l'impression que le seul parti au pouvoir est magnanime dans sa volonté de préserver la liberté d'expression et d'association. La dictature tranquille se ferait en préservant toutes les apparences de l'exercice démocratique et surtout, son discours, son langage, son vocabulaire. Elle n'est encore qu'au stade de l'expérience, mais les éléments se mettent en place pour assurer sa relative pérennité, notamment dans la population.
Ce qui a malheureusement commencé d'apparaître depuis quelques semaines, et qui est aussi terrifiant que les politiques du seul parti libéral, c'est ce qu'on pourrait appeler le "fascisme dédiabolisé" au sein d'une population que la hausse des frais de scolarité indifférait jusque là, mais qui se radicalise en réponse à la radicalisation des opposants au parti libéral. Nous nous ravissons présentement devant le retour triomphant de la pensée de gauche dans l'espace public, mais nous n'avons pas encore commencé à prendre la mesure de sa contrepartie qui se trouve présentement aspirée dans une spirale délirante de haine et de mépris qui lui fait en appeler au meurtre des opposants au régime en place, même s'ils se contenteront à la fin de leur humiliation publique. Ces néofascistes, parce qu'il convient de les nommer ainsi, sans emphase rhétorique, survivront aux prochaines élections, quel que soit le résultat. Ils trouveront des appuis dans les classes supérieures de la société qui les financeront et, pire encore, nous devrons fort probablement nous résigner et apprendre à vivre avec eux, comme l'Europe a dû apprendre à vivre avec les partis d'extrême-droite. L'exception en est cependant que ces néofascistes canadiens ne ciblent pas l'immigrant comme menace, mais bien le "gauchiste", c'est-à-dire, arbitrairement, toute personne soupçonnable de délit d'opinion. L'ère de la délation a commencé, on prendra acte de sa terrifiante logique dès le retour en classe, car la loi 78 invite explicitement à la délation en milieu scolaire.
La Charte des droits et libertés continuera en apparence de protéger ces citoyens, mais on peut déjà voir par les mesures mises en place comment la charte pourrait être contournée et son application reportée. Le régime en place pourrait ainsi retirer son financement ou ses crédits d'impôt, dont l'attribution se fait déjà au cas par cas, aux entreprises et aux individus qui auront pris position contre le régime en invoquant différents prétextes sans lien avec la liberté d'expression. La contestation, encore possible au départ, deviendrait de plus en plus difficile à mesure que le régime nommera les juges et les arbitres chargés de trancher sur les questions, abolissant ainsi subrepticement la séparation entre le pouvoir judiciaire et l'exécutif.
La première mesure de la dictature tranquille pourrait bien être une idée du genre d'aller en élection sur un projet d'abolir les cégeps pour les arrimer aux commission scolaires. La loi 78, qui empêche toute manifestation ou toute opposition à l'intérieur ou à proximité des établissements d'enseignement, rend pensable ce projet. L'élection la reconduirait indéfiniment pour permettre une soi-disant "modernisation du système d'éducation" qu'une bonne partie de la population, excédée par les manifestations des derniers mois, pourrait applaudir le projet. Une telle idée, grossière, ignoble, aurait pour effet d'enrager instantanément tous les opposants au parti libéral sur ce sujet, qui utiliserait cette rage à son avantage et pourrait faire oublier les scandales de corruption.
La véritable visée d'un tel projet serait bien sûr de retirer de manière permanente à tous les étudiants du collégial leur liberté d'association et d'expression. Elle pourrait donner aux néofascistes l'humiliation publique dont ils rêvent, et assoirait un peu plus la pensée de la répression à tout prix des opposants au régime. Pis encore, la réélection du parti libéral donnerait un minimum de légitimité à cet appareil de collusion pour en officialiser le fonctionnementà travers une révision de l'idée de partenariat public-privé à laquelle le parti n'a jamais véritablement renoncé.
Tout ça, évidemment, n'est encore que du domaine de la politique-fiction, mais cet espace de l'imaginaire s'est ouvert depuis la mise en place de la loi 78, et ses opposants ont présentement cette responsablilité lourde, dramatique, d'envisager tous les moyens possible pour empêcher toute actualisation de cette dystopie de la dictature tranquille qui n'en est encore qu'à l'état de virtualité dans l'espace politique. La mobilisation inespérée de centaines de milliers de citoyens doit pour cette raison se poursuivre, festive et optimiste comme elle a commencé à l'être, ouverte sur l'espace de pensée que la rue a aussi ouvert en même temps dans l'espace politique québécois.
Quelle serait la meilleure réponse à ce coup fourré du parti libéral? J'en ai aucune idée. J'avoue que je suis plus porté au tragique qu'à la stratégie.
Image: Ryoji Ikeda, Datamatics [prototype-ver.2.0]2
Inscription à :
Articles (Atom)