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mardi 28 avril 2009

La culture classique 1

Il faut se rendre à l'évidence, la littérature s'achève. Qu'est-ce que vous voulez qu'on y fasse. Elle ne demeure en place que par des institutions faites de professionnels et de fonctionnaires au salaire de misère qui lisent parce que c'est leur travail et la fonction qui leur donne un pseudo-rôle social.

C'est donc par désespoir de me rendre compte que la passion pour la littérature est rendue à zéro que j'ai décidé de vous monter un petit programme de lecture. Je vais donc dans les prochaines semaine recommander des textes en ligne et les accompagner d'un petit commentaire destiné à raviver la flamme de ce couple en péril, c'est-à-dire la littérature et vous, lecteurs de blogs gavés de jeux vidéo, de cinéma de genre, de téléréalité, de LOLCats et de clips de monde qui se bêche en bicycle.

Je voulais d'abord faire un espèce de top 100 des incontournables à lire, mais c'est le genre de liste qui ne sert qu'à remplir les bibliothèques, à nous faire dire "ah ça je l'ai lu et ça je l'ai pas lu et ça je suis pas d'accord et tiens il a oublié celui-là et comment est-ce qu'il a pu l'oublier", etc., et finalement ça fait pas lire plus. Alors ce sera bien arbitraire mais intéressant je l'espère. Et puis je me suis forcé pour faire un petit design spécial pour chaque auteur, on en fera peut-être des t-shirts un jour.

Et puis vous aurez pas l'excuse d'être trop vedge pour aller à la bibliothèque ou à la librairie parce que tout ce dont je vais parler est disponible gratis en ligne et à la fin je vais même donner le lien.

Alors on commence par le début: L'Odyssée d'Homère.


Peu de gens le savent mais la grande bataille qui a décidé de la forme de la littérature occidentale a été celle qui a opposé Homère à Hésiode. Et manifestement, c'est Homère qui a gagné parce que Les travaux et les jours, c'est pas souvent monté au TNM. Et pour cause: Les travaux et les jours c'est un recueil de morale, qui nous convainc des bienfaits du travail de la terre et qui décrit la joie de vivre honnêtement parce que la démesure et les excès nous font tout perdre. Les seuls qui ont pu se reconnaître là-dedans, c'est les romanciers du terroir du 19e siècle et plus personne se souvient d'eux et c'est pour le mieux.

Dans L'Odyssée, il y a des batailles, des naufrages, on se fait séduire, on se fait transformer en cochons, on arnaque les cyclopes niaiseux et à la fin on tue tout le monde.
Hésiode est donc à Homère ce que Driving Miss Daisy est à Total Recall. On pourrait faire un autre parallèle entre Ulysse et Douglas Quaid incarné par un Schwarzenegger monolithique: il n'y a aucune psychologie nulle part, seulement des passions et des dieux qui jouent sur les nerfs des hommes. C'est la même chose dans le théâtre grec, c'est la même chose partout: on se trouve tellement déstabilisé par l'impénétrabilité des personnages qu'on finit comme malgré nous par leur en attribuer une. Mais on ne devrait peut-être pas: les personnages grecs ne sont que des ombres pour les dieux comme pour les hommes, il n'y a rien derrière. Et nous nous retrouvons plus seuls encore que les Grecs face à ce spectacle, parce que nous n'avons même plus les dieux pour remplir ce vide immense qu'est l'univers. Nous restons seuls devant l'écran du récit au moment où Ulysse dit au cyclope : "Mon nom est Personne. Mon père et ma mère et tous mes compagnons me nomment Personne." Et puis là c'est très drôle parce que le cyclope est vraiment con: "Ô amis, qui me tue par ruse et non par force? Personne."

Lien vers L'Odyssée d'Homère.

samedi 25 avril 2009

Vie, doctrine et sentences de Wittgenstein

Wittgenstein, je l'ai pas beaucoup lu mais assez pour savoir que c'est le plus excentrique des philosophes analytiques. Toute sa pensée est motivée par une sorte de haine exaltée contre les imperfections du langage et de la pensée. Comme paradoxalement, il ne travaille qu'à partir du langage, il ne peut jamais s'en sortir, et à un moment donné on ne peut plus savoir si c'est sa pensée qui engendrait le mépris qu'il avait de ce qu'il faisait ou si c'est carrément de son profond mépris de soi que provenait toute la violence destructrice de son analyse enragée. C'est ce mouvement de folie engendré par la raison la plus aride qui fait de Wittgenstein le logicien le plus intéressant de tout ce courant. Pierce, Carnap et Frege à côté, c'est des fonctionnaires qui ont juste passé leur vie à se demander si Socrate était effectivement mortel et s'il valait mieux se coucher de bonne heure ou se lever tôt pour regarder Vénus. Pendant ce temps, Wittgenstein se demandait à quel moment précis on peut dire "maintenant je peux continuer" tout en encourgeant ses étudiants de philo à tout lâcher pour aller travailler sur la construction. Et la vie de Wittgenstein est pleine de ces moments de folie, ce qui en fait d'une part l'antithèse de Kant, dont la plus grosse dérape de sa vie a consisté à rater une fois sa marche quotidienne (c'est Thomas de Quincey qui le dit) et d'autre part un des philosophes les plus bizarres depuis au moins Diogène de Synope (ça fait genre deux mille ans entre les deux). Il méritait donc quelque chose de spécial pour cet accomplissement, quelque chose comme un film aussi rigoureux que farfelu et c'est Derek Jarman qui l'a tourné. Et, tchecke ça, il est depuis quelques jours en ligne sur UBUWEB.

Il s'agit en fait d'un téléfilm très dépouillé sur un fond noir qui illustre parfaitement l'espace dans lequel évolue la pensée de Wittgenstein: un espace vide dans lequel seuls quelques objets sont invités pour y être scrutés et mis en relation. Mais cet espace est aussi totalement fragmentaire, sans continuité, et c'est là que toute la folie de Wittgenstein se déploie, car elle fait en sorte qu'il est incapable de placer le monde à portée de sa réflexion. Et ça, le montage le rend bien. En plus, dans le téléfilm de Jarman, c'est plein d'enfants, d'extra-terrestres, de rhinocéros sous les tables et, tchecke ça, tout ça vient complètement à point pour mettre en scène le détail de la pensée de Wittgenstein. Rien non plus n'a été oublié des anecdotes de la vie de Wittgenstein, comme la fois où il a fréquenté la même école primaire qu'Adolf Hitler ou la fois où il a tout abandonné pour aller enseigner dans une école de rang et où il a fini par piquer des crises aux petits enfants parce qu'ils ne comprenaient rien à la logique, ou encore la fois où c'était sa soutenance de thèse à Cambridge et où il a fini par se lever en disant aux examinateurs du comité "je perds mon temps, vous comprenez rien à rien".

À un autre moment, j'aurais éclaté de joie et j'aurais même peut-être pleuré un peu d'émotion parce que ce téléfilm est vraiment vraiment rare et que j'ai couru après pendant des années. Ils l'avaient à la Boîte noire mais la cassette marchait mal et l'image était vraiment laide. Or, si je n'ai pas éclaté de joie, c'est parce que l'année passée j'ai fait venir le DVD d'Angleterre et qu'il m'a coûté à peu près 60$. Je me dis qu'au moins j'ai les sous-titres, ce qui est vraiment pas de trop étant donné que l'accent anglais, je suis pas trop familier avec, et c'est ce qui m'empêche de pleurer un peu sur les 60$ que j'aurais pu économiser si j'avais compris plus tôt qu'UBUWEB était le Père Noël et qu'un jour il allait mettre dans mon petit soulier la totalité des cassettes rares que j'aie jamais désirées.

Lien vers Derek Jarman, Wittgenstein, 1993.

mercredi 22 avril 2009

Commentaire croisé de La forêt de la malédiction et du Manoir de l’enfer

Un peu au hasard de quelques titres trouvés en usagé, je suis retombé il y a quelques temps dans les livres dont vous êtes le héros. Au salon du livre de Rimouski, mon père me promettait à chaque année de m’acheter le livre que j’avais choisi (je prenais trois jours complets à le sélectionner méticuleusement); or, pendant deux ou trois ans, les livres dont vous êtes le héros chez Folio Junior était LA raison pour laquelle j’attendais le salon du livre. J’avais tellement rêvé de La Couronne des rois, mais il était trop cher. Vingt ans après, le Mathieu adulte a fait son cool, il a sorti les 8$ nécessaires pour l’acheter au petit Mathieu pauvre de 12 ans que j’étais. Merci mon gars.

Mon plaisir nostalgique de relire ces livres a cependant vite cédé la place à un véritable intérêt pour la structure formelle de ces romans, d’où l’idée de vous embêter aujourd'hui avec mon…


Commentaire croisé de La forêt de la malédiction et du Manoir de l’enfer intitulé « Le gestionnaire et le cartographe »


J’ai choisi ces deux livres principalement parce qu’ils sont caractéristiques du style de deux des auteurs principaux du courant, Ian Livingstone et Steve Jackson, mais aussi parce qu’ils permettent chacun de penser un rapport au possible, au virtuel et à la représentation qui me semble très actuel.

Qu’est d’abord un livre dont vous êtes le héros? On les présente avant tout comme des jeux. Le joueur devrait lancer des dés pour établir les caractéristiques de son personnages, puis jouer le jeu en effectuant les combats, en notant les dommages subis, les accessoires trouvés, etc. Cependant, il faut reconnaître d'emblée que ces règles et ces procédures, sont inefficaces parce que le joueur se retrouve finalement seul avec le livre sans personne pour lui faire respecter les règles, ce qui fait qu'à chaque fois qu'il doit « tenter sa chance » il serait bien stupide de risquer de ruiner la progression du récit seulement parce que les dés ne sont pas de son côté. La volonté de puissance du lecteur qui le fait persister dans le récit ne peut faire en sorte que de le faire tricher aussi souvent que possible.

On s’imagine mal abandonner le récit simplement parce qu’une suite de mauvais lancers contre un troll insignifiant a fait mourir notre personnage. La vanité de l’existence se prête mal à la figure du héros épique.


Le gestionnaire

Or, cet état de fait, Ian Livingstone n'en tient pas du tout compte dans sa manière de structurer ses récits. Ses livres apparaissent pour le moins linéaires : le récit bifurque à quelques moments mais il consiste principalement en une ligne droite sur laquelle s’embranchent des événements auxquels le lecteur peut choisir ou non de participer. Cette linéarité de la progression prend tout son sens si on « joue » le jeu jusqu'au bout. Ainsi, La cité des voleurs ne nous apparaît comme une frénésie de magasinage sur une rue commerçante que lorsque le lecteur refuse de considérer un nombre de pièces d'or limité. De la même manière, La forêt de la malédiction perd tout son sens lorsque le nombre virtuellement infini de point d'endurance et la capacité de gagner tous les combats en se rendant directement au paragraphe de victoire font s'arrêter le lecteur à tous les arbres où quelque chose a l'air de se produire. Quand l'habileté et l'endurance sont limitées, chaque arrêt devient le sujet d'une réflexion sur la dilapidation de sa puissance, il doit choisir à un moment donné de ne pas s'arrêter au risque de tout perdre. Tout ça uniquement s'il suit les règles à la lettre. Ce que ne fait honnêtement aucun lecteur de livres dont vous êtes les héros.

Or, l’expérience qu’on peut faire en « jouant le jeu » est d’un ordre particulier. Le but n’est peut-être pas tant de se rendre à la fin et de voir triompher son héros (parce qu’en trichant on s’y rend facilement) que de faire l’expérience intime du héros limité par ses moyens et ses capacités. Tout l’intérêt de La forêt de la malédiction se trouve là : expérimenter la méfiance par rapport à ses propres forces et le risque que la prochaine rencontre tourne mal. On croise un homme pris dans un piège à loup, devrait-on l’aider ou non? Ou devrait-on risquer de se faire tuer en interromant une querelle entre deux gobelins? À cet égard, La forêt de la malédiction est un roman lucide de l’individualisme conservateur qui, dans un monde sans structure sociale, cherche à protéger ses intérêts d’abord en même temps qu’il doit aussi s’impliquer dans certaines rencontres s’il souhaite avancer dans sa quête (pour gagner, il faut trouver deux morceaux d’un marteau, c'est un peu sans but). L’expérience de lecture que propose Ian Livingstone ne correspond donc pas tout à fait au genre épique mais tout à fait au genre dramatique bourgeois en ce qu’il incorpore une dimension économique à l’aventure, faisant du lecteur un gestionnaire raisonnable du héros et de son histoire.


Le cartographe


Ce qui nous amène à cette conception complètement opposée qu'on peut retrouver chez Steve Jackson. Quant à elle, elle incorpore d’emblée l’idée qu'on puisse tricher en aménageant plusieurs dispositifs qui ne reposent plus sur l’honnêteté supposée du lecteur. Par exemple, si on trouve une clé, il risque d’y avoir gravé dessus un chiffre qu’on devra soustraire au numéro du paragraphe dans lequel il nous sera demandé de nous en servir; on trouve aussi beaucoup de culs-de sac « en grappes », où un certain paragraphe mène éventuellement à une série d'impasses d'une manière qui rend difficile le retour en arrière qu’on vient naturellement à pratiquer d’ordinaire en retenant du doigt la page du paragraphe d'où on arrive.

Si l'expérience de lecture de Ian Livingstone correspond à l'incorporation de l'économie dans le récit, faisant du lecteur un gestionnaire raisonnable de l'histoire, la structure des romans de Steve Jackson fait du lecteur un cartographe qui pour s'en sortir doit établir une carte des possibilités de récit pour ensuite reconstituer morceau par morceau le chemin qui le mènera à la fin. Le récit de Jackson est donc totalement virtuel au sens où la linéarité de son actualisation, c'est-à-dire la « solution » (le walkthrough) on ne la retrouve que lorsque toutes les possibilités ont été évaluées, pesées, et remises dans le bon ordre. Ainsi chez Steve Jackson l'aventure n'attend pas le lecteur au détour d'un paragraphe, elle ne se trouve pas dans l'issue aléatoire d'une bataille, elle se trouve plutôt littéralement dans le travail non linéaire de reconstruction du fil des événements. Dans Le Manoir de l’enfer, sorte de maison lovecraftienne dans laquelle le héros se retrouve malgré lui après avoir manqué d’essence, la séquence des événements ne se reconstitue que petit à petit qui nous mène à trouver le poignard malais dans une pièce secrète qui seul pourra terrasser le majordome du Comte de de Brume. Si gagner chez Ian Livingstone c'est arriver à mener un personnage imparfait du paragraphe 1 au paragraphe 400, chez Steve Jackson au contraire, gagner c'est décoder la véritable histoire du livre en reconstituant la séquence abstraite des paragraphes et des événements qu'ils enchaînent.

À cause de la solitude souveraine du lecteur devant le roman qui ne voit pas la pertinence de suivre pour lui-même des règles imposées de l'extérieur et sans réelles conséquences négatives, le livre dont vos êtes le héros n'est jamais arrivé à placer ces deux expériences de lecture à égalité. Mais ces problèmes se posent aujourd'hui avec autant de pertinence dans les jeux vidéo, et encore plus avec l'apparition des émulateurs qui permettent facilement la sauvegarde et la reprise de jeu à n'importe quel endroit. Le jeu jusque-là linéaire et induisant des comportements de gestionnaire (en évitant de plus en plus de coups d’éclat à mesure qu’on s’éloigne du point de sauvegarde), devient à ce moment une aventure cartographique qui cherche à inventorier les possibilités de récit. Là-dessus, le livre dont vous êtes est encore supérieur au jeu vidéo dans la mesure où l'expérience de l'échec, de la mort du personnage fait en complément de programme un sujet de recherche tout aussi intéressant que le parcours véritable. Les virtualités sans issue du récit font elles aussi partie du monde que celui-ci déploie. On prend ainsi le plus grand plaisir à ouvrir toutes les portes du Manoir de l’enfer pour voir quel scène sanguignolente pourrait s’offrir à nos eux ébahis (!). Mais cette conception du monde comme espace à cartographier est aussi celle de la curiosité et du savoir en général, qui nous fait souvent négliger notre propre intérêt au profit d’une expérimentation sans limite de tout ce dont la réalité est consituée. C'est peut-être la raison pour laquelle je me retrouve à trente-deux ans sans grand avenir professionnel, mais m’intéressant encore à tout : j'ai toujours préféré saouler le bossu et soustraire 10 dans l’escalier de la cave que de me demander si je devrais ou non passer mon chemin devant cette stupide querelle de gobelins.

dimanche 19 avril 2009

Poésie et formule 1

Go Team Malavoy Racing!
Lire les abîmes, retourner chaque vague les vents les galops, modeler le drapeau à damier, finir premier.
Ça faisait longtemps que je me cherchais une idée pour un design de coton ouaté style village des valeurs. En hommage aussi à ce mois que j'ai passé à travailler dans une shop de t-shirts sérigraphiés dans St-Henri à l'été 1997. Je me suis levé à 5h tous les matins pendant un mois pour me rendre compte à la fin qu'une fois les déductions de prêts et bourses retranchées, je me faisais chier autant pour à peu près 2$ de l'heure.

vendredi 17 avril 2009

Le Saint Grill Cheese


Devant l'engouement spontané pour le Saint Grill Cheese (voir les commentaires de la note précédente), je m'offre pour prendre les commandes de groupe pour le Holy toast maker. Alleluia, long live the King, on va sauver sur le shipping!

mercredi 15 avril 2009

Un simulacre de fantôme: un cas de pareidolie au cube

Titre ronflant de communication de colloque savant + sujet un peu farfelu mais discuté intelligemment = Wouhou!

Attention amateurs de l'occulte et du surnaturel, il circule présentement sur le Net un extrait troublant du combat de 1974 entre George Foreman et Mohammed Ali dans lequel on peut clairement voir dans la foule passer un instant le visage d'un spectre. C'est à 5m45 exactement:


Ce visage, c'est celui de Michael Jackson, mais du Michael Jackson des années 90. Si vous l'avez manqué, le site Forgetomori qui a déniché l'histoire, a compilé une séquence au ralenti qui permet de le voir plus distinctement.

Il s'agit manifestement ici d'un cas de pareidolie du visage, c'est-à-dire d'une hallucination visuelle provoquée un emballement de la zone du cerveau consacrée à l'interprétation des expressions faciales. Lorsqu'elle dérape, cette capacité d'interprétation voit des visages là où il n'y en a pas.

La pareidolie est un générateur puissant d'inquiétante étrangeté et constitue une des dernières explications rationnelles de beaucoup de photos de fantômes une fois qu'ont été écartées toutes possibilités de canular et de manipulations d'image. Comme cette petite fille qui est apparue sur la photo d'un incendie en 1995 et que personne n'avait vu sur les lieux le soir même:
Le corps se confond avec les barreaux de la rampe et la tête elle-même est trop alignée par rapport à elle. Mais hou, ça fait peur quand même.

La pareidolie possède cependant aussi son potentiel trivial, car elle permet de projeter sur le monde un voile d'anthropomorphie, qui rend les objets sympathiques ou antipathiques, comme on peut le voir ici pour se barbecue très frustré de l'hiver:
Ce qui est amusant dans l'extrait du combat Foreman/Ali où le visage de Michael Jackson apparaît, c'est qu'il nous place dans un espace à la fois comique et inquiétant. La forme de cette apparition est bien conforme à celle des histoires de fantôme: un visage spectral, désincarné et disproportionné apparaît après-coup dans un espace où personne ne l'avait remarqué, fixant le spectateur d'une manière énigmatique. Mais toute l'inquiétante étrangeté se retourne complètement sur elle-même en parodie d'histoire de fantôme: le visage n'est pas celui d'un mort mais d'un vivant, ne vient pas du passé mais de l'avenir des images tournées en 1974. Encore plus drôle, au lieu de l'associer à un récit troublant et localisé, comme une histoire de massacre, de meurtre ou de suicide qui aurait eu lieu sur les lieux même où ont été pris les images, le visage est rabattu sur une figure décrédibilisée et délocalisée par les journaux à potin qui font circuler le visage de Michael Jackson.

Les récits de fantômes pour les enfants mettent souvent en scène des parodies de fantôme, c'est classique, où finalement, comme dans Scooby-Doo, le spectre trouve son explication rationnelle. Mais ici nous sommes en présence d'autre chose de très rare, d'un simulacre de fantôme, pour lequel l'explication rationnelle ne suffit pas dissiper le caractère fantômatique de l'illusion sans pourtant ajouter rien à l'irrationnalité de l'événement, à la suspension du jugement qui ferait basculer dans la superstition. On pourrait même affirmer que cette image crée pour les histoires de fantôme l'équivalent de la pareidolie pour la surcapacité cognitive à percevoir les visages: notre sensibilité littéraire est tellement formée à reconnaître la forme d'une histoire de fantôme qu'elle en trouve là où il n'y en a pas. Et du coup, ce n'est plus nous qui jouons à nous faire peur, c'est la culture elle-même à travers nous. Et peut-être nous sentons-nous alors à son égard comme ces enfants dont l'étourderie a fait peur un instant à leur parents sans qu'ils comprennent exactement la nature de cette peur... Mais disant cela, ne serais-je pas moi-même en train de donner un visage humain à la culture, établissant un troisième degré de pareidolie par-dessus le deuxième degré du simulacre de spectre... BEU!

Comme je l'ai dit, l'histoire vient du site Forgetomori qui présente, comme toujours, une analyse d'une grande qualité. Le lien est ici.

Mise à jour: Aimée V. (la cinquième Ghostbuster!) a semé le doute dans mon esprit au sujet de la probabilité que la photo du fantôme de la petite fille soit à classer dans les cas de pareidolie. J'ai retrouvé l'article que j'avais lu là-dessus et je me suis fourré: malheureusement des doutes ont été émis puisque le grain du visage de la petite fille serait différent de celui du reste de l'image. Alors j'ai cherché un meilleur exemple, et celui que j'ai déniché est encore mieux avec des jeunes qui explorent une maison abandonné et deux images fugitives d'enfants qu'ils n'ont découvert qu'après-coup. L'histoire est trop parfaite, regardez pas ça avant de vous coucher (là je m'adresse plus spécialement à ma soeur: clique pas là-dessus Marie-Anne, tu vas le regretter). Si vous avez cependant eu le malheur de le faire, lisez l'analyse qui conclut: on s'attend tellement à voir des fantômes que notre cerveau s'emballe et finit par éliminer toutes les autres possibilités.

dimanche 12 avril 2009

Le cauchemar climatisé de Dubai

C'est assez rare que je suis bouleversé par une lecture, mais là je viens de tomber sur un reportage du quotidien britannique The Independent intitulé The dark side of Dubai par Johann Hari. On y apprend que cette ville, modelée comme un pastiche excessif et kitsch des grandes villes américaines, le journaliste construit un portrait infernal de Dubai comme mirage idyllique construit sur du sable. Des tours à bureaux aussi somptueuses que monstrueuses, des centres d'achat climatisés complètement vides comme le désert qui entour la ville et les rues sont désertées parce que la crise a fait fuir les investisseurs. Il ne reste que les travailleurs étrangers, les Dubaïais et ceux qu'on appelle les "expatriés". Les travailleurs étrangers des pays en développement, on les attire en faisant miroiter des salaires faramineux, les employeurs saisissent leur passeport dès leur arrivée et ils vivent dans une situation d'esclavage technique. Ils se tuent littéralement à l'ouvrage à l'érection de projets immobiliers complètement dénués de sens. Les Dubaïais aussi vivent une existence absurde. Fonctionnaires de l'état pour l'immense majorité, ils vivent le rêve désincarné de l'Amérique des chaînes, des centres d'achat et de la surconsommation et ils nient l'esclavage et la crise, chacun répétant au journaliste que son grand-père s'est battu toute sa vie pour avoir accès à l'eau potable, sorte de justification décadent et débile du self-made man américain. Ceux qu'on appelle les "expatriés" finalement constituent la version moderne des excès du colonialisme. Européens ou Américains, eux aussi saoulés au luxe et à la société des loisirs:
I find myself snapping: doesn't the omnipresent slave class bother you? I hope they misunderstood me, because the woman replied: "That's what we come for! It's great, you can't do anything for yourself!" Her husband chimes in: "When you go to the toilet, they open the door, they turn on the tap – the only thing they don't do is take it out for you when you have a piss!" And they both fall about laughing.
Ils exploitent des esclaves philippins en se plaignant de la qualité de leur travail.

Dubaï devient finalement une sorte de parodie excessive du capitalisme américain où les rapports de domination mondialisés apparaissent naïvement au grand jour sur une scène de carton-pâte en plein désert. Sans passé, sans avenir, sans histoire, Dubaï est le mirage d'un mode de production tout aussi insensé.

Lien vers l'article: Johann Hari, The dark side of Dubai, The Independent.

mercredi 8 avril 2009

Pour t'évader je te propose une Superpauses



Au début, tu l’écoutes parce que c’est cocasse. Et après tu te dis : il y a quand même peu d’exemples aussi flagrant de la vision utilitariste que le capitalisme peut avoir des artistes : faire vendre un truc douteux avec un chanson minable par un chanteur qui doit faire le mieux possible semblant que c’est pour lui la chose la plus intimement -personnellement-intérieurement extraordinaire avec laquelle il soit jamais entré en contact. Et après t’es là à te dire que Michel Louvain, il devait quand même avoir une vie de marde pour être obligé de faire ça. Et puis là t’es chez vous et tu te mets à chanter « Superpauses, c’est un jeu, c’est si facile! » avec les mouvements en imaginant ton salon paqueté de chars neufs et l'autobus de l'âge d'or qui applaudit dans la cuisine à la fin parce qu’il y a rien eu de plus extraordinairement orchestral-disco-kitsch dans toute l'histoire du Québec.

Et après... Quatre… Quatre jours après, t’as encore l’hostie de « Superpauses, c’est un jeu, c’est si facile! » qui te tourne dans la tête sans arrêt que t'es tellement tanné que ça te fait même plus rire. Les chars neufs ont disparu du salon, l'autobus de l'âge d'or est reparti. Il reste juste ce monde pourri où le seul espoir des artistes c'est soit viser la finale de Star académie soit passer le restant de ses jours à s'abrutir tout courbé, les yeux petits, devant des demandes de bourses qui n'en finissent plus. Et tout ce que tu voudrais faire, c'est t'en aller le plus loin possible, partir d'ici au plus vite. C'est alors que « pour t'évader je te propose une Superpauses »... Et ça recommence! Et c'est comme ça depuis quatre jours!

Mais tout ce que j'aurais voulu moi, c'est ne pas m'en faire et danser...

dimanche 5 avril 2009

Plaidoyer pour Comic Sans

"Maudit sois-tu Vincent Connare et ta descendance pour cent générations!"

Car la police Comic Sans, dont Connare est le concepteur, s'est peu à peu répandue comme la peste sur les vitrines des coiffeurs, sur les flyers de ventes de garages et sur les menus de restaurants (et parfois même les restaurants à 50$ la table). Comic Sans, c'est la police "funnée" la plus racoleuse, la plus facile et la moins recherchée à utiliser. Aussi est-elle est devenue aux années 00 ce que les bas blancs étaient aux années 90 et le country aux années 80. Certains la pourchassent et voient dans ce combat la grande croisade de notre génération contre le mauvais goût. Si c'est le cas, le site Ban Comic Sans en est le porte-étendard.

Mais on se tanne assez vite de ce genre de dénonciation, parce que la distinction qu'on peut en retirer sur la masse des graphistes amateurs se répand aussi vite que la menace elle-même, de sorte qu'il y a fort à parier que d'ici deux ans, même mon mononcle banlieusard qui comprend jamais rien à rien va avoir son petit mot à dire contre Comic Sans.

C'est peut-être la raison pour laquelle le site Ban Comic Sans a joué d'audace en présentant sur sa page d'accueil une petite vidéo qui se porte à la défense de la police honnie. Comic Sans de Samantha Pagan et Anita Brown est amusant autant que nuancé dans la démonstration qu'il fait de la pertinence de de la typo pour certains usages. Le film s'ouvre sur une citation du malheureux Vincent Connare dont le statut de paria dans le monde du design semble lui avoir procuré une certaine sagesse:
If you love it, you don't know much about typography. If you hate it, you don't know much about typography either and you should get another hobby.
Pauvre gars. Il n'a pas voulu ça.

Il faudrait aussi remarquer qu'en matière de soutien à Comic Sans peu de pays ont autant mis la main à la pâte que le Canada : un 25¢ commémoratif de 2004 l'a immortalisé dans un acier qui perdurera pour des milliers d'années.

Comic Sans! Crocs! Don Cherry! Têtes à claques! Bravo le Canada, le plus raffiné pays du monde!

mercredi 1 avril 2009

Orgueil et préjugés et morts-vivants II: le zombie Artaud

Ma dernière note sur Pride and Prejudice and Zombies a bien marché, et comme il me reste des choses à dire sur le sujet, ben je vais finir.

Dès que j'ai compris le projet à la source du livre, j'ai pensé à un autre texte, d'Artaud celui-là, qui demeure un de mes préférés. Il s'agit de "L'Arve et l'Aume, tentative anti-grammaticale contre Lewis Carroll" (1943) qui est construit un peu de la même manière, par ajouts impromptus de fragments originaux au sein d'un texte ancien, le chapitre de Through the Looking Glass où Alice rencontre Humpty Dumpty. À cette exception qu'Artaud ne recopie pas le texte de Carroll, il le traduit. Mais il le traduit avec beaucoup d'honnêteté, sauf à quelques moments où les attaques se produisent, non pas de morts-vivants, mais de glossolalies cette fois. Le moment le plus drôle - d'un humour dont seul est capable la folie d'Artaud - se trouve dans cet ajout violent qui ne se trouve pas dans le texte de Carroll:
«Vous semblez vraiment très calé, monsieur, dans le dépouillement du sens des mots, dit Alice. Voudriez-vous être assez bon pour me dire ce que signifie le poème intitulé:
NEANT OMO NOTAR NEMO
"Jurigastri Gabar Uli
Oltar Ufi
Sofar Ami Momar Uni Gonpar Arak -
Solargultri Barangoumti Sarangmumpti Tantar Upti Septfar Esti. Alak Elit."
- Si vous vous décidiez à choisir votre titre, dit Dodu Mafflu. Et puis quant à inventer des mots il faut au moins qu'ils se rapportent par quelque côté à quelque chose. Ceux-là ne se rapportent absolument à rien.
- Je croyais au contraire qu'ils se rapportaient à beaucoup de choses, dit Alice.
- Pas pour moi et pas aujourd'hui, une autre fois peut-être. - Le poème maintenant. Je peux expliquer tous les poèmes qui furent jamais inventés, et un bon nombre de ceux qui l'ont été jusqu'ici.»
(Le texte original donne: 'You seem very clever at explaining words, Sir,' said Alice. 'Would you kindly tell me the meaning of the poem called "Jabberwocky"?' 'Let's hear it,' said Humpty Dumpty. 'I can explain all the poems that were ever invented—and a good many that haven't been invented just yet.')

Ce type de violence faite au classique par Artaud le mène aussi à une réflexion sur la propriété des textes. Il écrit en 1947:
J'ai eu le sentiment, en lisant le petit poème de Lewis Carroll sur les poissons, l'être, l'obéissance, le « principe» de la mer, et dieu, révélation d'une vérité aveuglante, ce sentiment, que ce petit poème c'est moi qui l'avais et pensé et écrit, en d'autres siècles, et que je retrouvais ma propre œuvre entre les mains de Lewis Carroll.
Une telle réflexion n'est pas incompatible avec l'idée d'un texte libre de droit. Ce texte, même s'il est associé à un auteur, ne lui appartient plus en propre au sens où il n'a plus de droits acquits sur lui. Si Artaud revendique une propriété sur sa traduction, il ne revendique pourtant pas la propriété du texte de Carroll. Il dit plutôt que la pensée de ce texte n'est pas appropriable, qu'elle est collective au sens où tout le monde peut la reprendre. En s'insérant dans le texte, il amorce en fait le démontage de l'idée de propriété intellectuelle. Les oeuvres littéraires apparaissent ainsi comme de la matière plutôt que comme des productions culturelles, une matière certes fragile, mais néanmoins malléable et appropriable.

Et comme pour Pride and Prejudice and Zombies, la glose d'Artaud s'insère dans le texte et non pas en son retrait comme commentaire. L'Arve et l'aume m'apparaît lui aussi relever de cette époque encore à venir où la transmission du fonds livresque a abandonné l'idéal fétichiste de conservation des textes pour accepter que leur survie passe d'abord par leur diffusion d'un copiste à l'autre, avec les pertes et les modifications qu'un tel mode de transmission implique.

Donc Pride and Prejudice and Zombies et L'Arve et l'aume, c'est la même chose. À cette exception que le premier texte est d'un comique franchement débile écrit par un dude, et que l'autre est d'un comique inquiétant écrit par un monument. D'avant-garde s'il en fut.