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mardi 17 mars 2015

Natalie Thibault et Sina Queyras


Comme un papillon avec une aiguille dans le cœur. C'est de même. Poèmes et collages. Rien que ça et pourtant on tient entre nos mains quelque chose de l'intérieur. C'est doux, c'est trash c'est là. Ça t'habite avant même de savoir que t'avais ça en dedans de toi, cet "abri Tempo/ où la tempête/ arrête de vivre".

Natalie Thibault, Comme un papillon avec une aiguille dans le coeur, L'Oie de cravan, 2014. 




M x T. Ce recueil est rempli de références historiques et artistiques et de formules mathématiques mais rien ne rachète la mort. "I emphathize with that stuck feeling/I understand bitter./I love the old question." Pleins de photographies parcourent ces poèmes, souvent elles ne sont pas prises sur le champ et avec des deuils alternatifs, des circuits qui conduisent aux émotions ou ceux qui brisent, M x T est un recueil de la survivance. C'est le quotidien mêlé de sublime, le poème et la merde, et tout sentiment vient de la mémoire et du temps.

Sina Queyras, M x T (Feeling= Memory + Time), Coach House Books, 2014.

samedi 14 mars 2015

Martin Sirois, Conception d'éclairage pour diverses adaptations théâtrales

Ces dernières années, beaucoup de textes contemporains qui n’ont pas été écrits pour le théâtre ont trouvé leur chemin sur la scène. Pour y parvenir, il faut à chaque fois briser le lieu, libérer la scène de l'unité d’espace, de temps et d’action pour donner la place au matériau langagier. Ces textes ont eu différents metteurs en scène, différents comédiens, mais Martin Sirois était de la plupart de ces productions. Son travail de conception d'éclairage permet de sortir la littérature actuelle des petites scènes confidentielles où elle est confinée d’ordinaire. La lumière qu’il organise, souvent très crue, tranche l’espace et permet de briser le lieu de l'identité, dirigeant l’oeil du spectateur  vers le corps et la voix des comédiens plutôt que sur des personnages, ce qui briserait quelque chose de l’apparition du texte sur la scène.


Vu d’ici, L’homme invisible, TestamentNombreux seront nos ennemis, Attentat.

vendredi 13 mars 2015

Steve Savage, Nathalie



Le nom de Nathalie est au cœur de chacune des phrases du livre de Savage, mais il n’évoque pourtant rien. Il est le centre vide autour duquel s’agglomèrent des milliers de phrases glanées en ligne au fil des années par Savage. L’effet d’accumulation correspond à ce à quoi on pourrait s’attendre de ce genre d’écriture procédurale : des hasards tantôt drôles, tantôt étonnamment touchants. Mais la surprise du projet vient plutôt de ce qui se passe lorsqu’on cherche à retourner au texte-source. En effet, les morceaux de textes glanés par Savage disparaissent rapidement, donnant déjà la possibilité de lire Nathalie comme une sorte de rapport de fouille archéologique répertoriant des fragments de l’intime, de cette génération où les Nathalie abondaient.


Steve Savage, Nathalie, Le Quartanier, 2014

jeudi 12 mars 2015

Éditions Rodrigol, Coffret typo

Photo : Mathieu Poirier

Ce coffret présenté dans une galerie de Trois-Rivières apparaît au premier abord comme un ensemble de livres déjà publiés chez Rodrigol. Mais la tranche et la couverture révèlent déjà la particularité du projet: toutes les lettres de chaque livre ont en effet été remplacées par les lettres comprises dans « RODRIGOL » jusqu’à rendre les textes illisibles. Par ce geste, les éditeurs parodient en quelque sorte le préjugé répandu selon lequel l’éditeur laisse une marque incontournable sur les textes qu’il publie. Cette marque, nous dit Rodrigol, s’apparente au code génétique mais ce code, en même temps, ne dit rien d’autre que son appartenance à la maison d’édition. Tautologie malicieuse qui rorr rrrorrr rrrlrrr rrorr dr lr rir drr idrologir rr roirr dr rrirr rrrrir r rirr.


Collectif Rodrigol, Coffret Typo, Exposition  EXPOTYPO, Trois-Rivières, 2014.

mercredi 11 mars 2015

Jacob Wren, Polyamorous Love Song

Photo: Sophy Bernier


Polyamorous Love Songs est sans compromis quant au projet qu'il se donne de penser l'art actuel. Et si les personnages de ce roman sont plus allégoriques que réalistes, c'est parce que seules des allégories en mouvement pouvaient travailler cette définition la plus actuelle possible de l'art que propose Wren, une définition fondée entièrement sur les interactions humaines. Car lorsqu'il n'y a plus ni institution ni objets pour le définir l'art n'est que cela: création de rapports humains parfois imperceptibles comme une paranoïa discrète, parfois conceptuels comme ce cinéma qui ne se déroulerait que dans l'existence d'un cinéaste sans caméra menant sa vie selon un scénario qu'il improvise à mesure. L’art ne produit plus d’artistes mais des oeuvres humaines.

Jacob Wren, Polyamorous Love Song, BookThug, 2014

mardi 10 mars 2015

David Turgeon, Le magnétophone de Yoko


Photo : Sophy Bernier


Le magnétophone de Yoko rassemble plusieurs essais de David Turgeon sur la bande dessinée. Pas cette bande dessinée highbrow des romans graphiques, mais plutôt cette production commerciale, souvent banale, des années 70 et 80 avec laquelle il a grandi. Les séries de Yoko Tsuno, du Scrameustache, des Petits Hommes, de Spirou ou de Sibylline n'ont pas toujours l'ampleur des classiques du canon de la bande dessinée franco-belge, mais Turgeon sait y trouver un détail    intrigant qu'il développe de la manière la plus spirituelle. C'est ce qui rend ce recueil d’essais si touchant : Turgeon l'adulte rend une sorte d'hommage à sa fascination d'enfant, sans pourtant la fétichiser. Elle demeure, enrichie par sa sensibilité qui a grandi avec lui.


David Turgeon, Le magnétophone de Yoko, Colosse, 2014

lundi 9 mars 2015

Daphné Cheyenne, Snif. Poème de Single Ladies


Photo: Catherine Cormier-Larose

Daphné Cheyenne travaille avec son fanzine Snif –Poème de single ladies le sujet déjà saturé de la peine d’amour et pourtant le ton, la manière de foncer sur le sujet plutôt que de simplement l’effleurer, le fait de s’y positionner comme l’activiste de son propre malheur renverse les rôles ou plutôt les juxtapose et rend la démarche si singulière. On aime le ton assumé, les poèmes écrits à la main, plusieurs fois « le moment d’ouvrir un fichier Word et de parler de ses larmes ». Travaillant également en vidéo de poésie, Daphné Cheyenne se positionne comme une incontournable des scènes underground et de la poésie hors des sentiers battus; bouleversante.
(Texte de Catherine Cormier-Larose)

  
Daphné Cheyenne, Snif, Rexpizza, 2014.

dimanche 8 mars 2015

Poésie d'espionnage


Les poètespions M., S. et V. sont les commissaires d'une série de transcriptions de conversations parfois banales, parfois niaiseuses, captées furtivement dans les lieux publics. Jusqu'ici rien de différent des innombrables "entendu à" ou "spotted" qu'on trouve ailleurs. Mais derrière son côté divertissant, le travail de mise en vers de ces paroles permet à Poésie d'espionnage de poser une question à la poésie et au récit. Le vers rend cette parole comme étrangère à elle-même , la décontextualise et met l'accent sur sa matéralité langagière. Face à l'impasse d'une jeune poésie plus conventionnelle qu'on institutionnalise incroyablement rapidement, cette autre poésie plus documentaire, qui refuse ou rejette la métaphore et l'image, cette poésie faite de scènes et de matériaux trouvés offre une alternative joyeuse mais au potentiel sérieux.


Poètespions M., S. et V., Poésie d'espionnage, Facebook et fanzine, 2015

samedi 7 mars 2015

Richard Suicide, Chroniques du Centre-Sud

Photo: Sophy Bernier


Comme le trait un peu propre et « Yipster » de Michel Rabagliati convient tout à fait aux façades et aux rues du Plateau Mont-Royal, seul peut-être un bédéiste issu de la contre-culture des années 90 comme Richard Suicide pouvait rendre d'une manière aussi fidèle un portrait du quartier Centre-Sud. Le désordre, la saleté et la dérive de ses habitants y sont plus foisonnants que désolants. La perspective de Suicide écrase tout au niveau du sol où les ordures et les bébelles cheaps du Dollarama et les projets qui n'aboutissent pas s'accumulent. Dans Centre-Sud, il n'y pas de ciel, pas de ligne droite, pas d'avenir, mais ça ne manque à personne. 
Richard Suicide, Chroniques du Centre-Sud, Pow Pow, 2014

vendredi 6 mars 2015

Carl Ling, Chroniques littéraires

Les premières critiques de Carl Ling sur Goodreads n'avaient au premier abord rien de différent des autres parodies de critiques amateurs: un utilitarisme terre à terre, une attention exagérée au sens supposément crypté de la couleur des couvertures, aux tailles de polices de caractères et une lecture en dérapage constant qui peut faire prendre un recueil de poésie pour un roman. Mais petit à petit des éléments complètement singuliers se sont dégagés et sont venus tisser des fictions déroutantes à partir d'éléments des textes. On n'est plus alors tout à fait dans la parodie, mais dans un collage hybride et schizophrénique qui n'a aucun équivalent. Jusqu'à Carl Ling, la critique-fiction n'était jamais allée beaucoup plus loin que la construction d'hétéronymes et de personnages destinés à illustrer un point de vue divergent. C'est comme si elle venait véritablement au monde. Une démarche aussi singulière pourrait assurément valoir pour elle-même puisque rien ne ressemble aux textes de Carl Ling. Mais elle pointe vers quelque chose de plus important. Nous vivons un moment étrange de l'histoire de l'écriture. Même si les textes de fiction foisonnent ils sont tout de même noyés par la communication écrite et perdent par là le pouvoir qu'ils ont déjà eu. Et la critique consciencieuse a en même temps presque complètement disparue, disparue des journaux, reléguées à des plateformes qui n'arrivent pas à durer. Mais la singularité de l'expérience de lecture reste. Nous sommes constamment marqués par des lectures sans toujours trouver le moyen de partager cette singularité. C'est peut-être ce chemin que cherche la critique de Carl Ling, à travers une création qui aurait trouvé un lopin littéraire abandonné entre les ouvrages de fiction et leur critique. Une critique qui ne raconterait pas l'expérience de lecture, mais transcrirait son intensité dans un langage singulier, baroque.

Carl Ling, Chroniques littéraires, sur goodreads.com et poemesale.com

jeudi 5 mars 2015

Pierre Demers, La bouette

Photo: Fabrice Tremblay


Là où se trouvait jadis le village de St-Jean-Vianney, il n'y a plus aujourd'hui qu'un lac de bouette et chaque dimanche des mécaniciens amateurs amènent les monster trucks qu'ils ont patentés pour se pogner dedans. Lorsque la réalité est si singulière, elle n'a besoin ni d'être mise en forme par un recit ni d'être relevée par l'appareil rhétorique du langage poétique. Seule peut-être une poésie dépouillée, une poésie à caractère ethnographique, peut arriver à la saisir. Une poésie terre à terre, faite avec la même bouette que l'épreuve à laquelle sont soumis ces camions retournés à l'état sauvage.

Pierre Demers, La Bouette, Trois-Pistoles, 2014.