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dimanche 16 décembre 2012

Les 10 choses qui font de Goldorak une série à part (en collaboration avec Vincent Giard)

Illustration: Vincent Giard L'impensable s'est produit: on vient de sortir Goldorak en coffret DVD, d'où vient le nom de Doctorak. Pour ceux qui ne la connaissent pas, c'est une série culte à plus d'un égard. D'abord parce que ce fut un événement télévisuel. Au milieu des années 70, les Français voulant développer le marché de l'animé en France principalement parce que les licenses d'exploitation étaient plus abordables que les séries américaines, achètent et adaptent Grendizer, un spin-off de Mazinger Z, une série à succès qui avait plus ou moins été un échec commercial au Japon. La première diffusion de Goldorak en 1978 crée petit à petit un effet boule de neige qui fera en sorte que la série obtiendra à un certain moment le taux improbable de 100% d'écoute en France. Goldorak fera pour cette raison la couverture de Paris Match. Mais ce succès sera accompagné d'une réaction intense de la part de parents horrifiés par la violence de la série et le style plus réaliste et téléromanesque, résolument éloigné du caractère bon enfant et fantaisiste des dessins animés américains et des séries pour enfants françaises. C'est un peu plus tard que Goldorak sera diffusée au Québec, sur le réseau Télé-Métropole, où elle déclenchera les mêmes passions et les mêmes déchirements (je beurre épais, han!). Goldorak deviendra le canal de déchaînement de tout le moralisme télévisuel d'une génération de parents inquiets et on fera rapidement interdire la série. On la rediffusera en France dans les années 90, mais jamais au Québec. Qui plus est, un coffret DVD a bien été mis en vente au début des années 2000, mais il fut interdit et saisi dans la semaine ayant suivi sa parution pour violation des droits d'auteurs. Énorme succès interdit parce que trop à l'avant-garde de la sensibilité de son époque, Goldorak est demeuré introuvable durant toutes ces années à cause de problèmes judiciaires et n'a circulé que sous le manteau en version piratée.
Tout cela a fait en sorte que Goldorak est devenu une série culte. Mais peut-être pas pour les bonnes raisons. Car sa production est déficiente. La série est loin d'être bien écrite, elle est répétitive et souvent mal calibrée. Mais à cause de ces maladresses et parce qu'on voudrait souvent y trouver plus que ce qui s'y trouve, son écoute peut devenir une expérience kitsch et intense qui ne ressemble à rien. C'est la raison pour laquelle, au moment de sa grande sortie en coffret DVD, j'ai cru bon de préparer vos petits yeux en dressant la liste des....

10 choses qui font de Goldorak une série à part
Dessins de Vincent Giard 


1- Actarus, le personnage principal, est un gros ass.
La série est construite autour d'Actarus et son combat intérieur: il s'est réfugié sur Terre après la destruction de sa planète, mais il a en même temps apporté la menace des forces de Véga qui ont détruit Euphor et menacent maintenant d'envahir la "planète bleue". Mais c'est ici que s'arrête l'empathie qu'on peut avoir pour le prince d'Euphor parce qu'après dix épisodes, on voudrait lui péter la face. Il est d'abord paternaliste et méprisant à l'endroit d'Alcor, lui interdisant systématiquement de sortir combattre les golgoths et quand il lui sauve la vie, ce qui arrive souvent, il lui réitère que c'était trop dangereux au lieu de le remercier convenablement. Dans une émission pour enfants dans laquelle on l'érige en figure d'autorité, c'est jusse pas mal winner. D'autant plus qu'Actarus est ouvertement sexiste et même misogyne par moments, n'hésitant pas à remettre les femmes à leur place quand sonne l'heure du combat. Il est souvent navrant de voir aller la pauvre Vénusia, qui aime Actarus et l'adule comme une adolescente, se faire rejeter froidement sans aucuns égards pour ses sentiments. Lorsqu'elle se montre trop étourdie dans "Le déluge des nouveaux mondes", il la gifle si fort qu'elle en perd conscience. Il en profite alors pour la dénuder (parce que ses vêtements sont mouillés et qu'elle pourrait attraper froid), et on est gêné de constater la profonde déception de Vénusia à son réveil. Mais Actarus, lui, n'est jamais trop étourdi. Sur les 74 épisodes que compte la série on le voit rire aux épisodes 25 et 47, fanfaronner à l'épisode 43 et s'amuser AU POINT DE DANSER à l'épisode 9. Quel joyeux drille. C'est ce que doit penser Alizée, protagoniste de "L'ours polaire", quand il la gifle pour l'encourager à prendre un sédatif. Un gros ass, je vous dis.

Illustration: Vincent Giard 2- Du gros mélodrame!
On ne parle pas ici de ce qu'on voit d'ordinaire dans les émissions pour enfants, du genre se faire péter son jouet par le voisin ou des parents qui se séparent, mais du vrai gros mélodrame digne des animé des années 70. L'épisode le plus cruel à ce titre: "Du sang sur la neige" où une petite fille voit ses parents mourir dans une avalanche la veille de Noël. Si ce n'était que ça... Lorsque les amis d'Actarus la recueillent, elle est paralysée et aphasique à cause du choc qu'elle a subi. La petite fille s'enfuit ensuite du centre et on la voit fouiller la neige de ses mains gelées pour tenter de retrouver une trace de ses parents sous l'avalanche. L'épisode se termine par une sorte de féerie dans laquelle la petite fille voit apparaître Alcor déguisé en Père Noël sur une soucoupe traînée par des reines en bois qui l'emmène dans le ciel voir la nacelle de Goldorak transformée en "château dans les nuages". Les yeux de la fillette s'illuminent un instant, l'épisode se termine et plus jamais on ne la revoit. La vraie magie de Noël, c'est bien que l'épisode ne tire jamais cette conclusion: une féerie n'a jamais résolu un traumatisme. Et on ne sait pas non plus ce qui est arrivé à la petite fille parce que la semaine suivante, on est passé à autre chose et on n'en reparlera plus jamais. J'avoue mal comprendre qu'on ait fait interdire Goldorak sous prétexte que c'était une série violente quand ce genre de scénario est à mon sens tellement plus troublant pour un enfant que vingt minutes non stop d'explosions de robots.

3- Les méchants aussi vivent des situations complexes.
Par exemple, Hydargos, le général extra-terrestre, essuie un revers après l'autre et la pression de ces échecs fait en sorte qu'il se met à boire! On le constate au fil des épisodes, Hydargos n'y croit plus, à cette folle aventure de l'invasion de la Terre. L'armée de Véga s'enlise et entretient une obsession de plus en plus maladive à l'endroit de Goldorak pour ne pas s'avouer que rien ne fonctionne plus sur les autres fronts. Hydargos n'abandonne pas pourtant, par allégeance et soutien pour ses frères d'armes et pour ne pas perdre ce poste de général pour lequel il a tout sacrifié. On ne pourrait mieux exposer les drames que vivent les cadres de la classe moyenne japonais (les salarymen) sur le déclin à des enfants de 8 ans qu'en la transposant sur une armée de monstres repoussants. Très souvent aussi, les rivaux d'Actarus sont des personnages plongés dans des dilemmes cornéliens, attaquant contre leur gré Goldorak qu'ils savent du bon côté de la justice mais qu'ils combattent tout de même pour sauver une soeur, une mère, une planète. Ils finissent par le dire, pleurent de rage et se suicident la plupart du temps. Amers, désabusés, mais soulagés de pénétrer dans la mort avec leurs convictions retrouvées, ils rendent l'âme dans les bras d'Actarus qui maudit une fois de plus Vega et ce noir destin qui est le sien.
La palme des situations matures revient cependant à Horos, le général qui remplace Hydargos. Dans "Tel père, tel fils", Horos voit avec horreur et impuissance son fils mourir en soldat face à Goldorak. Dans un génial retournement de position, Horos et Actarus essaient de décourager le fils de se battre, car son sacrifice serait vain, mais le fils, intégriste de Véga, ne veut rien entendre. L'épisode se termine sur la douleur de ce général ennemi qui n'est plus ni général ni ennemi à cet instant, seulement un père étrivé par la souffrance de devoir survivre à son propre fils. La dernière scène montre cette lettre qu'Horos lui écrivait au début de l'épisode et que son fils ne recevra jamais. Goldorak, c'est pas juste du kitsch spatial.

Illustration: Vincent Giard 4- Néanmoins, les méchants généraux ont des plans ridicules.
L'essentiel des épisodes est consacré à trouver la planque de Goldorak en le faisant sortir par tous les moyens imaginables. Et ces moyens impliquent généralement de kidnapper quelqu'un ou de tout détruire. C'est d'ailleurs l'objet de "l'opération Tous Azimut" de l'épisode "L'île de la peur".
Extrait de dialogue:
Minas: Déclenche l'opération Tous Azimut
Hydargos: Tous Azimut?"
Minas: Exactement! La seule façon de faire sortir Actarus de son trou, c'est de tout détruire. Alors là, il sera bien obligé de se montrer.
Hydargos: C'est une idée géniale. [sic]
Minos: C'est en effet un plan qui peut réussir.
Cette idée n'est pas géniale finalement. Elle sera un échec sur les deux plans: le gens de Véga ne détruiront par TOUT, et n'apprendront pas où se cache Goldorak.
Tout cela sans compter qu'il y a de gros problèmes dans la chaîne de commandement. L'armée de Véga finit véritablement par nous paraître pathétique et ses échecs gênants, surtout quand on se rend compte que leurs défaites répétées tiennent un peu d'un mauvais concours de circonstances. Déjà que sur le front anti-Goldorak, ça stagne pour ne pas dire plus, l'approvisionnement en ressources se tarit après l'effondrement de l'étoile Dynamo et l'explosion des mines de lasernium (j'adore ce mot!) qui provoque la destruction de la civilisation végane. Et, comble du malheur, tout ce qui reste de cette civilisation se replie sur le camp de la Lune noire tenu à ce moment par Minos et Horos, double tête de commandement aussi incompétente que paranoïaque. Non seulement incapables de se faire obéir à des moments-clés, ils complotent aussi lorsque leurs postes sont menacés par des nouveaux venus. Tout cela implante petit à petit dans la série l'idée que Goldorak et Actarus ne sont peut-être pas si héroïques et compétents que ça finalement pour défendre la Planète bleue. Ils se battent contre une armée en déclin et en déroute.

5- Les personnages secondaires ne savent pas se tenir. 
 Banta... Le "moment de détente" comique de l'émission, c'est ce voisin mexicain pataud et gueulard. Mais il commet à plusieurs reprises des actes de harcèlement sexuel à l'endroit de Vénusia. Et ce n'est pas de la surinterprétation. Dans "Attaque sur Perlépolis", on le voit explicitement pogner une boule à Vénusia lorsque leur autobus est aspiré par l'engin de Véga. De son côté, Rigel, le père de Vénusia et de Mizar, est une sorte de vieux cinglé. Bien qu'il soit lui aussi posé comme "comic reflief", son inclusion dans la trame plutôt réaliste et dramatique fait en sorte qu'il apparaît souvent comme un dérangé navrant que tout le monde tolère parce qu'il fait partie de la famille. Il tire sur ses enfants à la carabine à un moment pour leur montrer qu'il sait viser et se saoule tellement à la fête du Nouvel An qu'il s'endort sur la table, devant son fils de 10 ans qui a lui aussi les joues rouges d'ivresse. Tout cela, sans aucunes conséquences morales, ce qui, soit dit en passant, arrive souvent aux Fêtes même dans les meilleures familles. Des comportements navrants sans conséquences, on ne voit pour ainsi dire jamais ça à la télé ou au cinéma. Goldorak: 1, HBO: 0


Illustration: Vincent Giard 6- Venusia et Phénicia. 
 Vénusia fait partie, avec quelques ennemis de Goldorak, des seuls personnages crédibles de la série. La série devient brièvement à travers elle une sorte de roman d'apprentissage qui la voit quitter l'adolescence pour entrer dans l'âge adulte, la complexité des émotions et les conflits intérieurs. Dans l'arc qui la voit devenir pilote au sein de la "patrouille des aigles", Vénusia fait face à une opposition qui met mal à l'aise tellement elle nous place face à des préjugés machistes qui ne sont pas toujours traités comme tels dans le cours du récit. Ce type de récit de la femme qui s'affiche dans un rôle non conventionnel était déjà assez progressiste au milieu des années 70, mais ce qui place la figure de Vénusia à part, c'est la manière frontale avec laquelle sont présentés le sexisme et la misogynie auxquels elle doit faire face. À cette occasion, le professeur Procyon, Alcor, Riguel et bien sûr Actarus, des personnages qui sont partout ailleurs des figures positives, sont ici des vrais beaufs qui cherchent à tout prix à démolir le moral de Vénusia, à la rabaisser, à la ridiculiser. Qu'on ait choisi de présenter de cette manière le récit de Vénusia indique à quel point, pour cette période, dans la mentalité japonaise, cette question du féminisme a pu faire l'objet d'un véritable déchirement, car même si elle s'impose à la fin, la pureté morale des autres personnages prend discrètement un bon coup de fulguropoing. Voilà assurément un bel exemple de polyphonie bakhtinienne: Go Nagai et les scénaristes de Goldorak sont manifestement des conservateurs, mais ils laissent néanmoins s'affirmer à travers le récit une volonté progressiste propre à l'atmosphère de l'époque sans la critiquer ni la démolir. Attention les profs: un petit coup de Goldo au lieu des Possédés de Dostoïevski, ça te redynamise un cours sur Bakhtine le vendredi après-midi. Utiliser avec parcimonie.
Mais Venusia n'est rien en regard de Phénicia, la soeur d'Acatarus qui apparaît au dernier tiers de la série dans un retournement absurde et improbable. Elle se souvient ou pas de son enfance? C'est pas clair, c'est pas clair. On lui pardonne cependant car elle vient complètement redynamiser la série. C'est un personnage flamboyant, aristocrate comme son frère, mais insoumise. En être supérieur, elle réussit dans tout sans efforts et considère ridicule le moralisme et l'obéissance organisée qui règnent au sein de la Patrouille des aigles que dirige Actarus. Qu'est-ce que Phénicia sinon le plus grand personnage nietzschéen de l'animé japonais des années 70? Phénicia, c'est Lou Andrea Salomé à côté de laquelle Actarus n'est rien sinon le dernier homme méprisé par Zarathoustra. Vous pouvez trouver que je pousse l'interprétation, mais comment expliquez-vous alors l'amalgame aigle et serpent cybernétisés qui constitue Golgoth 54, précisément les deux animaux de compagnie de Zarathoustra? Han? Comment vous expliquez ça, Golgoth 54? Comment? 54? Han?
Illustration: Vincent Giard
7- Les amis d'Actarus vivent leur fantasme de science-fiction à fond.
Comme si opérer des robots géants qui combattent des extra-terrestres ne suffisait pas, tout est constamment prétexte à orner le discours des personnages d'expressions technoscientifiques fleuries. C'est à un point où dans l'épisode "Les continents submergés", Actarus court à la pharmacie chercher un flacon de "cosmocilline" pour sauver un cheval, et quand on voit la boîte à l'écran, elle est clairement identifiée "pénicilline". Mais il faut comprendre les personnages. Nous les voyons par la lorgnette de la SF, mais pour eux, c'est la réalité plate d'un présent égal à lui-même qui donne plus un feeling "ingénieur de pointe" que l'impression de vivre dans le futur. Je ferais pareil si j'étais par exemple ingénieur à l'Agence spatiale canadienne. À la cafétéria, j'insisterais sûrement pour qu'on me serve des spatiopatates avec mon pain de viandanium thermolaserisé. Il faut d'ailleurs sur ce point saluer l'adaptation française de Michel Gatineau qui a fait époque et permis à cette série de garder toute sa fraîcheur kitsch. Cet homme avait intimement compris ce qui faisait buzzer les petits garçons qui jouent à l'espace dans une cour d'école.

8- Le farouest du Japon.
Les amis d'Actarus logent à l'improbable "Ranch du bouleau blanc", une propriété située à quelques heures de route de Tokyo, où on vit son idéal de farouest jusqu'au bout. C'est, entre deux attaques de golgoths, le gros plein air, soigner les chevaux, rentrer du foin à la fourche, cavaler en plein orage, recevoir la visite de son voisin Mexicain et cacher des soucoupes volantes dans la grange. Une thématique environnementaliste imprègne fortement l'animé des années 70, on peut comprendre l'idée d'installer les personnages dans un environnement bucolique représentant tout ce que la "planète bleue" peut offrir de mieux.  Mais pourquoi le farouest en plein Japon dans une émission de robots géants et d'extra-terrestres? Parce fucking que.

Illustration: Vincent Giard
9- Les chansons pendant les combats.
Le supposé climax de tous les épisodes est un combat de robots. Mais on ne peut sincèrement être dedans 74 fois en ligne pour la même forme de climax, sans compter qu'il ne serait pas réaliste de s'attendre à ce que les scénaristes arrivent à chorégraphier chaque semaine un combat impliquant émotionnellement. Les combats qui tombent à plat, on en trouve surtout dans la première partie de la série, avant que ne se réveille la blessure cancéreuse au "lasernium" d'Actarus qui deviendra le dramaticus ex machina de la série, le ressort dramatique mécanique mais efficace qu'on ressort inévitablement quand le combat final manque de piquant. Néanmoins, avant l'histoire de la blessure, c'est le spectacle de variétés qui prime dans les intrigues plus faibles, car la production a cru bon de mettre des chansons pendant les combats les moins intéressants. Le son coupe soudainement, la chanson part et le combat devient un vidéoclip qu'on regarde avec détachement, car du point de vue dramatique, il ne se passe franchement rien: on sait que Goldorak va gagner, il faut seulement attendre que son adversaire explose en mille mardes. Mettre une chanson pour suppléer à l'absence d'implication émotionnelle, voilà un geste d'une lucidité étrange. Ce qui n'est pas le cas des paroles des chansons, glorieuses et martiales qu'on dirait sorties du dix-neuvième siècle:

Va combattre ton ennemi
Il est moins vaillant que toi
Goldorak pour notre vie
Je suis sûr que tu vaincras

Toi, le prince de l'espace
Le champion de la Terre
Tu vas sauver notre race
Nous redonner la lumière

"Notre race"! On dirait Basile Routhier. Notre jeunesse meurtrie par des années d'excès de rectitude politique ne se tannera jamais de l'aspect frontal et démodé de ces paroles. ET Goldorak, comme de bien entendu, sauve notre race en faisant tout péter à la fin avec la régularité d'un fonctionnaire de l'agence des services frontaliers.

10- Inceste en vue! 
 La finale est étrange. Apprenant que finalement leur planète d'origine s'en est mieux sortie qu'ils pensaient, Actarus et sa soeur Phénicia décident de quitter la Terre et leurs amis pour aller "reconstruire leur planète" à ce point dévastée qu'il n'y a même plus de végétation. Que dire alors des animaux, des Euphoriens? Comment reconstruire la race? Ils partent tous les deux, sans personne d'autre... hum. Actarus avait bien quelque chose avec Vénusia, et Phénicia, avec Alcor. Dans cette scène finale, on voit pleurer les amis terriens d'Actarus et Phénicia alors qu'ils s'envolent vers l'infini, et on se demande si certains ne pleurent pas de gêne.
Les adieux sont aussi ridiculement courts. Dès que tout a explosé, on pose les astronefs, on se fait la bise et on repart avant que le soleil ne se couche. Euphor, ça n'attend pas. Cette dernière rebuffade de la part d'Actarus à l'endroit de ses amis révèle peut-être finalement l'origine du malaise qui parcourt toute la série: Actarus est au fond de lui un aristocrate, d'une classe sociale irrémédiablement différente de celle des paysans du ranch ou des scientifiques qu'il a connus sur Terre. Lorsqu'il apprend que sa planète est peut-être toujours habitable, il repart peut-être moins pour la repeupler que par attachement pour cette distinction qui lui donne son caractère supérieur. Du premier au dernier épisode, Actarus aura donc été un ass qui a peut-être chanté la "planète bleue" mais ne l'a jamais considérée que de haut, depuis la perspective d'un aristocrate déchu. Il ne l'aurait probablement jamais adoptée si la destruction d'Euphor par Véga avait fait en sorte de préserver les structures sociales qui lui donnaient sa distinction. Bon débarras, prince de l'espace.
Illustration: Vincent Giard Merci encore à Vincent Giard pour les dessins déjantés! Merci aussi à Goldotriomphe dont les analyses épisode par épisode ont accompagné mon écoute.

jeudi 15 novembre 2012

Chronique dans Liberté: se souvenir des années 70

Je suis maintenant chroniqueur dans la nouvelle mouture de Liberté, qui passe au format magazine-highbrow-contemporain. Il s'agit du premier changement de format de publication de toute l'histoire des 50 ans + de la revue Liberté. C'est big. Ou ça ne sera pas, il est encore trop tôt pour savoir.
Mais ce qu'on sait, c'est qu'on est définitivement loin de l'époque désemparée du Liberté des années 80 et 90 qui glanait des miettes de pensée dans un terreau intellectuel québécois dévasté par la stupeur postréférendaire. Le nouveau Liberté, on ne sait pas encore de quoi il aura l'air intellectuellement, ni s'il survivra longtemps à la révolution conservatrice, mais on sait déjà à quoi la revue ressemble visuellement: un peu à Nouveau Projet et beaucoup à OVNI. C'est même, genre, OVNI², le même esprit dans le design, le même genre de collaborateurs.
Et moi je suis un petit malin. Quand on m'a approché pour collaborer, j'ai demandé de pouvoir publier simultanément mes chroniques sur mon blog. Parce que quand je publie une note ici, les gens peuvent s'échanger le lien, et que plus de gens peuvent ainsi me lire que quand il faut se déplacer pour aller acheter la revue. Et quand plus de gens me lisent, plus de gens trouvent que je fais pitié de n'être ni riche, ni prof, ni personnalité médiatique, ni président de quoi que ce soit. Et alors plus de gens me commandent des t-shirts avec les sous desquels je peux acheter ma maigre pitance quotidienne et les quelques allumettes que je pourrai revendre lorsque la Noël sera venue. Je craquerai alors celles qu'il me restera pour réchauffer mes petits doigts tout bleuis par le froid cruel du mois de décembre.
Moi en train de regarder les stats de Doctorak, GO! à partir de mon ipod.
P.S. Oubliez pas non plus d'acheter Liberté aussi. Parce que la revue est belle, que les autres chroniques sont excellentes et parce qu'il y a déjà trop d'intellectuels dans les rues à vendre des allumettes. Je veux pas perdre de parts de marché.

Se souvenir des années 70


Je me souviens des années 70. À mesure que le temps passe et que mes interlocuteurs rajeunissent, cette déclaration frappe, amuse et intrigue de plus en plus. De quoi est-ce que je me souviens? Je me souviens bien sûr de Goldorak et des Tannants, des shorts adidas, des minibars de sous-sol et du tapis brun à poil long, de tout ce que la culture populaire a essayé de préserver comme décor authentique d’une décennie. Ce sont les souvenirs de tout le monde, même de ceux qui sont nés après. Mais j'ai aussi des années 70 des souvenirs de personne parce qu’ils ne se sont jamais retrouvés nulle part dans une série télé ou un film d’époque, des souvenirs qui ont néanmoins une portée qui dépasse ma petite anecdote biographique. J’ai en effet grandi en marge d’un milieu littéraire qui ne s’est jusqu’ici retrouvé nulle part dans les récits historiques. J'ai en effet passé mon enfance dans le milieu culturel rimouskois. Je courais dans les allées du salon du livre en ramassant des signets, en lisant des albums des Schtroumpfs et en étant tout excité de voir Passe-Partout en personne. Je jouais avec mes bonshommes de la ferme Fisher Price sur le plancher de bois franc du musée régional de Rimouski pendant les lectures du Regroupement des auteurs de l’Est du Québec, que mon père, qui n’a jamais écrit que des chansons, accompagnaient à la guitare.
Je me rappelle surtout de ce milieu littéraire une figure contre-culturelle, un poète ami de mon père qu’il avait connu parce qu’il était voisin de mes grands-parents dans un rang de Saint-Gabriel-de-Rimouski. Bien avant d’être poète, Jean-Marc Cormier a été pour moi cet ami de la famille, qui venait chez nous répéter avec mon père pour Tel Quel, leur duo de chansonniers, chez qui j’allais pour jouer avec ses enfants du même âge que moi. Dans ce milieu familial où Passe-Partout côtoyait les soirées de pratique de Tel Quel autour de la table de cuisine, les chansons de « pepa pis Jean Marc » avaient autant de valeur que tout ce qui se trouvait sur mes vinyles de comptines. À 5 ans paraît-il, ma mère m’a même trouvé dans le carré de sable, concentré sur mes camions, en train de chanter « Quand j’ai monté pour poser du bardeau / parce que le toit coulait pis que la grange prenait l’eau », mais ce n’est que 30 ans plus tard que j’ai porté plus attention à l’œuvre de Jean-Marc.
Jean-Marc Cormier nettoyant une bouse de vache dans laquelle a pilé Mathieu A. Crédit photo: Jacqueline Chénard

Je ne souhaite pas ici dénoncer une soi-disant injustice historique et opérer une réhabilitation en règle. Ma lecture a, plus humblement, déniché un petit truc amusant mais significatif que je voudrais partager.
À part quelques exemplaires encore disponibles sur les rayons des bibliothèques universtaires, le recueil, Poème d'amour (EDITEQ, 1982) est aujourd'hui pratiquement introuvables. Cependant, c'est un recueil fascinant, d'une intensité peu commune et d'un style qui a étonnament bien vieilli, et qui rappelle Straram et Francoeur pour la quantité des références pop, Vanier aussi pour sa rage et Louis Geoffroy pour son ironie engagée, comme ici:
quand un Québécois fourre un Québécois
c'est un trip de misère
mais quand un Québécois
baise AVEC un Belge un Chinois ou un Russe
les frontières tombent
Ce poème est un incipit à une suite poétique "pour parler du pays". Écrite sans doute peu de temps après le référendum de 1980, la suite conserve l'emportement du militantisme poétique des années 70, mais le retourne contre la petitesse du peuple québécois, son immobilisme, sa soumission pour en faire une sorte d'anti-"speak white" qui possède cette beauté violente et cynique auquel fait écho Pea Soup de Pierre Falardeau.
Mais Poème d'amour contient une autre suite poétique qui s'appelle "Le salut sans drapeau". Ce texte est, par la plus étrange des coïncidences, un plagiat sans équivoque de "Salut à toi" de Bérurier noir, groupe punk français légendaire des années 80, à savoir une longue litanie où le poète salue les peuples opprimés de la Terre. Vous pouvez juger par vous-même de l'improbable concordance des deux textes:
"Salut à toi" de Bérurier Noir commence ainsi:
Salut à toi ô mon frère
Salut à toi peuple khmer
Salut à toi l'Algérien
Salut à toi le Tunisien
Salut à toi Bangladesh
Et le texte de Jean-Marc Cormier commence quant à lui de cette manière:
salut cajuns et acajuns
salut frères noirs d'Haïti battus par Duvalier
salut gens du Cambodge
salut morts-nés du Bengladesh
Alors voici le plus étrange. Il est à toute fin pratique improbable que ces deux textes aient été rédigés séparément, sans qu'aucun des auteurs n'ait eu connaissance du texte de l'autre. Mais en même temps, du strict point de vue factuel, il est encore plus improbable qu'il y ait effectivement eu contamination du texte de l'un par l'autre. Le texte de Jean-Marc Cormier a été publié le premier, en 1981 dans la revue Urgences, une revue publiée de Rimouski qui n'a connu qu'une distribution restreinte au Québec. Mais sa publication précède de deux ans la formation définitive de Bérurier noir, et de quatre ans la sortie de "salut à toi" sur le maxi "Joyeux merdier". On ne trouve pas non plus de performance de "Salut à toi!" sur les bootlegs qui précèdent cette époque, il est donc à toute fin pratique impossible que la chanson ait été rédigée avant cette période, comme il est hautement improbable que des jeunes punks parisiens aient pu mettre la main sur ce numéro 1 d'Urgences entre 1981 et 1985. Mais si c'était effectivement le cas, Jean-Marc Cormier obscur poète du Bas-Saint-Laurent, obtiendrait cet incommensurable mérite d'avoir inspiré le plus grand succès du plus grand groupe de punk français de l'histoire.
Nous avons peut-être plutôt à faire ici avec un authentique cas de plagiat par anticipation, dont même Pierre Bayard ne donne pas d'exemple plus probant dans le livre qu'il consacre à ce phénomène de glitch historique. Le plagiat par anticipation, explique-t-il, nous place dans une temporalité historique où l'objectivité des faits cède définitivement la place à la puissance de l'interprétation qu'on peut leur donner. Ainsi, des textes particulièrement influents reconfigurent complètement l'histoire culturelle où ils apparaissent et font réapparaître d'un seul coup toute une constellation de petits faits qui n'ont eu jusqu'à ce moment aucune importance. Plus encore, le plagiat par anticipation représente une intensifcation de ce bouleversement lorsque, comme ici, le texte important apparaît en plagier un autre sans pourtant qu'il soit seulement possible que l'auteur du deuxième texte ait eu connaissance du premier. Le plagiat apparaît alors avoir été fait comme par anticipation, comme si l'auteur du premier texte avait voyagé dans le temps pour revenir composer l'oeuvre obscure qui sera répétée quelques années plus tard. C'est l'histoire retournée sur elle-même et on ne peut comprendre ce genre d'incohérence dans notre manière de comprendre le fonctionnement rationnel de l'histoire qu'en lorgnant du côté de ce territoire de la pensée que l'épistémologie et l'histoire des idées n'ont jamais réussi à formaliser de manière convaincante, qu'elle appelle parfois "l'esprit d'un époque" ou comme, Foucault en donne une version actualisée, "l'épistémè", à savoir le territoire de l'ensemble des énoncés possibles pour une époque dans un champ donné. On peut sans doute imaginer qu'à l'échelle de la francophonie, la poésie engagée du tournant des années 80 pouvait, avec son bagage lyrique et pour manifester sa solidarité humaniste, reprendre la forme du Salut au drapeau dont on trouve un écho dans l'hymne national du Togo; on peut aussi imaginer que les actualités de l'époque ont pu organiser l'ordre des salutations. Mais le plus intéressant reste que ces pistes d'interprétation n'enlèvent rien à la fascination que génère cette incohérence du plagiat par anticipation. Même après avoir dit cela, "Le salut sans drapeau" continue de précéder "Salut à toi" et les faits, même menteurs comme ici, reprennent vite la puissance qu'on leur attribue. C'est plutôt en vertu de cette puissance des faits que l'histoire elle-même qui devient comme son propre simulacre, parodie énigmatique d'elle-même dans laquelle un obscur poète québécois oublié de tous se fait plagier par un groupe punk français qui en fait son plus grand succès. Et le tout, sans la moindre injustice.
Je me souviens donc des années 70, mais de ces années 70 qui ont, de la manière la plus improbable, plagié les années 80, anticipant le cri urbain du punk depuis le fond d’un rang de l’Est du Québec. Je me souviens d’une scène littéraire oubliée, d’un poète obscur, qui n’ont rien changé au cours des choses mais qui d’une manière perverse, font imperceptiblement perdre aux événements historiques leur caractère authentique et fondateur. Et maintenant, quand je me retrouve dans une manifestation avec Raymond Bock et son fils de trois ans, ou quand je vois jouer ceux de Catherine Cormier-Larose ou de Pascal Angelo Fioramore jouer avec leurs Princesses Disney et leurs bonshommes des Avengers sur le plancher de bois franc du Port de tête pendant un lancement, je me demande bien quel renversement d’histoire culturelle ces gens pourront bien opérer lorsqu’ils lanceront un jour un « je me souviens des années 10 » à des jeunes dans la vingtaine qui les trouveront alors fabuleusement vieux.
On peut lire "le salut sans drapeau", publié dans Urgences no1, sur Erudit, où se trouve une version scannée du numéro inaugural de la revue.

Mise à jour: l'UQAM possède un exemplaire du livre de Jean-Marc sur les rayons. De même que la BANQ. Je gagerais qu'ils n'ont pas été empruntés plus de deux fois depuis 30 ans. Faites-y attention, c'est une rareté.

dimanche 16 septembre 2012

J'ai fait un fanzine avec Julie Doucet

Cet été, pendant que personne ne regardait, j'ai fait un fanzine avec Julie Doucet. Oui, oui! La vraie Julie Doucet, celle qui a réalisé Dirty Plotte et qui fait partie de ceux et celles qui ont mis le Québec sur la mappe de la scène mondiale du zine. En fait, le fanzine qu'on a confectionné est une initiative du théatre Aux Écuries, une jeune institution théâtrale qui a décidé d'en finir avec les dépliants de programmation annuelle qui se ressemblent tous, ennuient tout le monde et s'empilent avec les autres dans les cafés et les entrées de bibliothèque, et de faire à la place un petit recueil broché d'images et de textes qui tournent autour des spectacles présentés cette saison au théâtre. Julie et moi avons été recrutés pour produire le contenu, et nous sommes arrivés finalement avec ce petit fanzine. Au programme:
- une lettre de madame fâchée qui comprend rien;
- un paragraphe de texte en train de s'écrouler dans l'abîme étouffant du bas de la page, un texte qui parle de la mort de Dieu, évidemment;
- un fauteuil des années 60 transpercé par des lignes énigmatiques;
- une nouvelle sur l'ordinateur sale du metteur en scène de Hamlet est mort - gravité zéro;
- un photoroman sur le thème du bondage pour une série de performances qui s'appelle J'arrive en morceau dans dix valises;
- un femme de qualité décapsulée par une grosse main au nom du spectacle Papercut;
- un mot caché rigolo.

Et vous savez ce qui est bien? Le fanzine est gratuit. Il s'appelle AARGH et il a l'air de ça:


Il faut seulement le trouver dans la pile des programmations annuelles ennuyantes des autres théâtres à l'entrée d'un café ou d'une bibliothèque de votre choix.

Et puis j'étais là chez moi et j'attendais que le fanzine sorte. Je jouais à Tony Hawk Pro Skater 3 pour tenter d'oublier mon été de marde, pour essayer d'arrêter de faire autre chose que dormir pour fuir la réalité. Et là j'ai appelé le bonhomme que je me suis créé Julie Doucet parce qu'elle portait des lunettes qui ressemblaient à celles de Julie. Et pendant que je lui faisais faire des Gymnast Plant to Varial Invert de 10 secondes sur le ponton d'un bateau de croisière, je me disais: wow, c'est une de mes idoles, j'ai travaillé avec elle, et là elle est en train de faire genre un combo de 500 000 points et je vais enfin avoir mon Sick Score sur lequel je bûche depuis une heure. Non mais, pourriez-vous juste penser à une seule chose que vous auriez faite dans votre été qui pourrait ne serait-ce qu'accoter ça?

jeudi 6 septembre 2012

Top 5 des jeux vidéo québécois

Comme chacun sait, la culture québécoise a inspiré des dizaines de jeux vidéo, certains vraiment mauvais mais quelques-uns qui valent vraiment le détour. Car les perles existent bien, c'est ce que nous fait oublier le défilé des trop nombreux navets du genre Guitar Hero: Steve Hill, Les Chevaliers d'émeraude Online ou Call of Duty: Un dimanche à la piscine à Kigali. Pour s'y retrouver un peu mieux, j'ai décidé de vous présenter aujourd'hui mon top 5 personnel. Veuillez noter que les jeux sont dans le désordre, je n'arrivais pas à choisir le meilleur!


1-Le ciel de Bay City

En tant que jeu de patin à roulettes, Le ciel de Bay City n'a peut-être pas la fluidité de gameplay de la série des Tony Hawk, mais est nettement sauvé par l'atmosphère étouffante qui y règne et contraste violemment avec le côté décontracté des objectifs à atteindre. C'est donc sur un fond de ciel mauve et menaçant et à travers un brouillard de cendres que le joueur devra exécuter ses combos, perfectionner ses grinds et débusquer dans l'aire de jeu les lettres qui formeront les mots "juive", "holocauste" ou "culpabilité". L'intrigue est aussi captivante que les défis à relever. Comment oublier le fantôme des grands-parents, cette maison familiale qu'on ne peut quitter, la finale déroutante?




2-La bête lumineuse




Se positionner au bon endroit, viser, tirer, "pas dire un christ de mot", rien n'est simple dans ce jeu de chasse à l'arc où les bonnes prises sont rares. Mais les mini-jeux au camp de chasse (callage, calage, pleumage, etc.) qui ponctuent les aventures en forêt sauvent amplement la mise. On ne se lassera pas des meilleures missions : attraper les pintades, unlocker Laurier pour construire la table, lire le poème écrit sur le papier même de notre aliénation. L'idée de remplacer la trame sonore par les dialogues du film était une excellente intuition: leur répétition au fil des quelques 30 heures nécessaires pour terminer le jeu n'est jamais lassante. Attention de ne pas tirer Bernard!

3-François Marc Gagnon's SimArt moderne

On n'a aucune idée de la difficulté de se doter d'une véritable tradition d'art moderne avant de jouer à ce sublime simulateur historique. Gérer ensemble les artistes qui s'exilent en France, les galeries et les manifestations d'art public réprimées par les autorités de même que les réticences à implanter des postes en art québécois dans les facultés d'histoire de l'art s'avère une entreprise ardue mais qui en vaut nettement la chandelle: la carte de Montréal qui scintille de toutes les galeries qu'on aura réussi à implanter de même que de voir exploser la carrière internationale de ces peintres qu'on aura créés est une expérience inoubliable. Le générateur aléatoire de tableaux automatistes est également une addition ingénieuse.

4-Le vaisseau d'or

Ce RPG recèle tout ce qu'on peut attendre d'un grand classique et même plus. Que ce soit le combat épique contre la déesse Gretchen la pâle dans sa forme définitive du démon de marbre, l'énigme à résoudre du Clair de lune intellectuel qui ouvre l'accès au Cloître noir, ou la terrible et sourde descente au fond de l'abîme dans l'épave du vaisseau d'or où la confrontation finale aura lieu, les moments mémorables ne manquent pas.


 
5-Le Paon d'émail 

Un jeu vidéo peut-il être meilleur que le livre qui l'a inspiré? Les exemples sont rarissimes et l'exception qui confirme la règle est sans contredit l'extraordinaire Paon d'émail, adaptation du recueil de poèmes de René Chopin. Sorti sur PC au début des années 2000, Le Paon d'émail est souvent cité, avec Myst, ICO et quelques autres, parmi ces jeux qui arrivent à se hisser au niveau de l'expérience artistique. Tout ici est soigné: la qualité des décors moyen-orientaux, l'atmosphère doucereuse et embrumée du rendu. Touche finale à ce chef-d'oeuvre: la musique procédurale créée à partir d'un algorithme complexe qui intègre les règles de composition de la modernité musicale du début du vingtième siècle et évoque parfaitement, sans jamais pourtant les citer littéralement, les Ravel, Fauré et Debussy. Seul bémol à ce parcours autrement sans fautes: les puzzle eux-mêmes, qu'il est nécessaire de résoudre pour avancer dans le jeu, sont souvent difficiles et alambiqués, et le jeu est, globalement, trop bref. Une suite était originalement prévue, Le Nigog, beaucoup plus ambitieux, mais le projet semble perdu dans un development hell depuis si longtemps que peu de gens gardent encore espoir d'y jouer un jour.

Mention spéciale. Il faut finalement accorder une mention spéciale à Super Ducharme 2000 dont la plus grande qualité est sans nul doute d'exister pour vrai. J'ai quand même passé quatre heures l'automne dernier à essayer de passer le level "Gros mots".

ATTENTION: Comme ce top 5 n'engage que mon opinion personnelle et laisse peut-être injustement certains classiques dans l'ombre, Doctorak, GO! aimerait recevoir vos critiques et publier les meilleures. Lâchez-vous dans les commentaires.


MISE À JOUR: Jean-Philippe Morin, alias Darnziak, m'a fait parvenir cette critique du jeu d'aventure Voyage en Irlande avec un parapluie. Comment ai-jeu oublier ce jeu? Où avais-je donc la tête?


Mon jeu québécois préféré est Voyage en Irlande avec un parapluie de Sierra Online, un vieux jeu d'aventure à interface texte. Le joueur incarne Louis, jeune Québécois en route pour l'Inde après une rupture amoureuse. L'atmosphère pluvieuse et sombre, les graphismes dépouillés, les descriptions textuelles limpides font écho à ce classique de l'autofiction. Certains puzzles sont hallucinants de difficulté parce qu'ils sont trop simples : je suis resté des semaines coincé à Cork, j'ai dû acheter le roman de Louis Gauthier et m'en servir comme hint book afin de débloquer. Indice : le parapluie, dans votre inventaire, vous sera très utile. À l'époque j'ai tout tenté pour réussir l'histoire d'amour avec Kate la belle rouquine irlandaise - revisiter chaque écran dix fois, combiner tous les items - avant de réaliser que le jeu, et c'est toute sa beauté, ne peut se terminer que sur un échec, un peu comme dans Loom de Lucasarts où on n'est pas certain d'avoir sauvé le monde quand Bobbin se transforme en cygne et s'envole avec ses compagnons en transportant la trame du monde.   

lundi 3 septembre 2012

La rentrée macarons doctorak.co

Nous avons aussi maintenant des macarons à vendre en ligne. Vous pouvez cliquer sur l'image pour vos rendre sur la page de la boutique. Il faut cependant en acheter un minimum de trois, ou en commander avec un t-shirt un paquet de cartes.


La rentrée mode Doctorak.co

C'est la grande rentrée mode Doctorak.co! Que tu sois prof, étudiant ou travailleur culturel, doctorak co. a LE look qui convient à TA culture savante. Tous ces nouveaux modèles sont en vente dès maintenant sur le site et sont accompagnés de petits textes farfelus. Vous n'avez qu'à cliquer sur l'image pour vous rendre sur la page de la boutique.

vendredi 24 août 2012

Reprise de Vu d'ici

Pour ceux qui l'avaient manqué en 2008, Christian Lapointe et le Théâtre Péril reprennent la semaine prochaine Vu d'ici. Il faut voir Jocelyn Pelletier, seul sur scène, travailler le texte, occuper l'espace, s'adresser directement au public, éclairé par des écrans de télé qui diffusent en direct RDI, LCN, TVA.



Avoir été joué au théâtre, c'était déjà tout un honneur. Mais que la pièce soit reprise quatre ans après... Je suis tout seul dans mon salon et je joue à être un genre de mini-Michel Tremblay.

Vu d'ici
Une production du Théâtre Péril à la Salle Multi de Méduse
Du mardi 28 août au samedi 1 septembre 2012 à 20h00


mardi 14 août 2012

Une photo de chat dans un triste été

Je sors de mon silence pour une bonne cause. Un genre de bonne cause, oui. Je passe un été triste. Vickie Gendreau, ma meilleure amie, dont l’énergie me déborde dessus, avec qui j’ai fait tant de conneries amusantes, mais dont j’ai aussi été le mentor littéraire impitoyable depuis deux ans, Vickie qui travaille si fort pour réaliser son rêve de devenir une écrivaine, une vraie, a été diagnostiquée d’une tumeur au cerveau. Inopérable. De celles dont on ne guérit pas. Les traitements ont eu l’air de fonctionner jusqu’ici, lui donnant un répit qu’on n’imaginait pas au départ, et elle a pu terminer un premier manuscrit, Testament, un livre dur et sans compromis que je ne pourrai probablement jamais relire dans son entièreté tant me bouleverse cette jeune narratrice qui contemple la mort droit dans les yeux. J’ai passé beaucoup de temps avec Vickie depuis juin. Nous avons partagé des émotions que personne ne voudrait partager et nous avons désespérément cherché l’énergie pour continuer de nous amuser et de faire en sorte que le quotidien reste un terrain de jeu verbal, une fête champêtre avec du champagne et des brillants dans le fond des coupes. Nous y sommes arrivés.
Mais pendant ce temps, Sophy, que j’aime tant, notre amie, n’a pas eu cette force. Abattue par cette nouvelle, elle qui est si joyeuse et « gnéseuse » d’habitude s’est petit à petit refermée sur elle-même et s'est retrouvée prise dans une suite de crises de panique qui ont fait en sorte qu’au bout d'un moment, elle n’a plus été capable de sortir de chez elle. C’est à ce moment que sa chatte de 17 ans, la petite Po, sa seule vraie bouée qu’elle a à ses côté depuis son enfance, est tombée malade. Elle s’en sortira, mais Sophy n’a pas les moyens de payer les 1000$ que lui auront coûté son hospitalisation et ses traitements, auxquels s’ajoutera ensuite une facture mensuelle qui ajoute à l’extrême pauvreté dans laquelle Sophy se trouve plongée présentement. Même si elle pourrait en venir à ne plus se payer de luxe d'aucune sorte, ni téléphone, ni Internet, même si elle pourrait arrêter de manger pour que Po continue sa vie de chat en santé, Sophy ne demandera pas la charité. Elle a plutôt décidé de célébrer la « chatte gériatrique la plus belle du monde » en faisant des t-shirts, des macarons et des cartes postales qui lui permettront peut-être d’éponger ses dettes, de recommencer à respirer financièrement et de remonter enfin la pente. Elle ne vous le dira jamais comme ça, bien sûr, car elle veut que la vie reste une chose légère et farfelue. Elle veut faire de Po plus qu’une rock star, une sorte d’icône presque religieuse qu’elle distribuera à tout le monde. C'est une image qui rappelle le Che, c'est pourquoi nous, on l’appelle le Cha. Le Cha Guevara. Le projet de Sophy est de faire de Po le patron des vieux animaux de compagnie, ceux qu’on n’abandonne pas tant qu’ils gardent une qualité de vie décente, ces animaux grisonnants fragiles et dignes, dont on connaît les moindre caprices et traits de caractère, et dans les yeux desquels nous pouvons voir nos propres angoisses de vieillir sans être abandonnés, à défaut des leurs, car ces yeux demeurent irrémédiablement silencieux.
Mes amies et moi, nous trébuchons parfois mais nous sommes forts. Nous sommes épuisés mais nous n’abandonnerons pas. Nous ne céderons pas à la tristesse qui est venue de tous les côtés cet été.
Sophy prend les commandes sur sa boutique Etsy, et vous pouvez suivre ses aventures sur son blogue, Lorazepam. Et pour Vickie... surveillez bien ce qui va se passer cet automne. Ça va être "plus malade qu'elle", comme elle dit.

dimanche 3 juin 2012

Pour ne pas qu'advienne la dictature tranquille


Je n'aime pas du tout faire de la politique-fiction, mais l'époque m'y contraint. La dystopie est démoralisante, on aime mieux l'utopie, mais il est parfois nécessaire d'y jeter un coup d'oeil pour anticiper ces coups durs qui pourraient mettre à terre le soulèvement enthousiaste d'une génération. Sonder l'horreur de ce qui, il y a peu, était encore impensable, permet d'éviter le traumatisme et les réactions inconsidérées. La profonde nouveauté de ce printemps québécois a d'ailleurs jusqu'ici été celle-ci: le soulèvement s'est fait de la manière la plus mesurée.
Ce genre d'expérience de pensée constitue aussi une sorte d'ironie renversée où, au lieu de dire le contraire de ce qu'on pense en mimant la position inverse pour en faire apparaître l'absurdité, on fait aboutir dans une fiction du pire ce que cette position inverse a de potentiellement tragique. Il arrive qu'à certaines périodes, une société se trouve dans un état si malade que l'ironie ne fonctionne plus, car la violence des propos des suppôts du pouvoir ne peut plus être débusquée, amplifiée, démasquée. Elle apparaît au grand jour et, surtout, devient imperceptiblement acceptable pour une opinion publique en plein dérapage idéologique. Dans ces moments terribles, le cynisme devient la norme pour un présent qu'il devient de plus en plus difficile de dénoncer et l'ultime recours est encore d'anticiper, de projeter dans l'avenir le germe de ce qui pourrait demain devenir, tragiquement, la norme.

La dicature tranquille

J'affirmais récemment qu'une politique totalitaire canadienne était subitement devenue pensable. Qu'elle soit devenue seulement pensable, qu'elle ait ouvert cet espace dans notre imaginaire politique, restera peut-être avec le recul la seule chose que nous retiendrons de ce gouvernement libéral. Il aura rendu possible, même seulement possible, la dictature tranquille, et sa possibilité constitue un événement tragique sur la scène politique. Comme la révolution tranquille dont elle est la contrepartie, la dictature tranquille ne se ferait pas dans la violence et dans le sang, mais par un système d'amendes et d'une conception de l'"illégalité tolérée" qui donnerait au peuple l'impression que le seul parti au pouvoir est magnanime dans sa volonté de préserver la liberté d'expression et d'association. La dictature tranquille se ferait en préservant toutes les apparences de l'exercice démocratique et surtout, son discours, son langage, son vocabulaire. Elle n'est encore qu'au stade de l'expérience, mais les éléments se mettent en place pour assurer sa relative pérennité, notamment dans la population.

Ce qui a malheureusement commencé d'apparaître depuis quelques semaines, et qui est aussi terrifiant que les politiques du seul parti libéral, c'est ce qu'on pourrait appeler le "fascisme dédiabolisé" au sein d'une population que la hausse des frais de scolarité indifférait jusque là, mais qui se radicalise en réponse à la radicalisation des opposants au parti libéral. Nous nous ravissons présentement devant le retour triomphant de la pensée de gauche dans l'espace public, mais nous n'avons pas encore commencé à prendre la mesure de sa contrepartie qui se trouve présentement aspirée dans une spirale délirante de haine et de mépris qui lui fait en appeler au meurtre des opposants au régime en place, même s'ils se contenteront à la fin de leur humiliation publique. Ces néofascistes, parce qu'il convient de les nommer ainsi, sans emphase rhétorique, survivront aux prochaines élections, quel que soit le résultat. Ils trouveront des appuis dans les classes supérieures de la société qui les financeront et, pire encore, nous devrons fort probablement nous résigner et apprendre à vivre avec eux, comme l'Europe a dû apprendre à vivre avec les partis d'extrême-droite. L'exception en est cependant que ces néofascistes canadiens ne ciblent pas l'immigrant comme menace, mais bien le "gauchiste", c'est-à-dire, arbitrairement, toute personne soupçonnable de délit d'opinion. L'ère de la délation a commencé, on prendra acte de sa terrifiante logique dès le retour en classe, car la loi 78 invite explicitement à la délation en milieu scolaire.

La Charte des droits et libertés continuera en apparence de protéger ces citoyens, mais on peut déjà voir par les mesures mises en place comment la charte pourrait être contournée et son application reportée. Le régime en place pourrait ainsi retirer son financement ou ses crédits d'impôt, dont l'attribution se fait déjà au cas par cas, aux entreprises et aux individus qui auront pris position contre le régime en invoquant différents prétextes sans lien avec la liberté d'expression. La contestation, encore possible au départ, deviendrait de plus en plus difficile à mesure que le régime nommera les juges et les arbitres chargés de trancher sur les questions, abolissant ainsi subrepticement la séparation entre le pouvoir judiciaire et l'exécutif.


La première mesure de la dictature tranquille pourrait bien être une idée du genre d'aller en élection sur un projet d'abolir les cégeps pour les arrimer aux commission scolaires. La loi 78, qui empêche toute manifestation ou toute opposition à l'intérieur ou à proximité des établissements d'enseignement, rend pensable ce projet. L'élection la reconduirait indéfiniment pour permettre une soi-disant "modernisation du système d'éducation" qu'une bonne partie de la population, excédée par  les manifestations des derniers mois, pourrait applaudir le projet. Une telle idée, grossière, ignoble, aurait pour effet d'enrager instantanément tous les opposants au parti libéral sur ce sujet, qui utiliserait cette rage à son avantage et pourrait faire oublier les scandales de corruption.
La véritable visée d'un tel projet serait bien sûr de retirer de manière permanente à tous les étudiants du collégial leur liberté d'association et d'expression. Elle pourrait donner aux néofascistes l'humiliation publique dont ils rêvent, et assoirait un peu plus la pensée de la répression à tout prix des opposants au régime. Pis encore, la réélection du parti libéral donnerait un minimum de légitimité à cet appareil de collusion pour en officialiser le fonctionnementà travers une révision de l'idée de partenariat public-privé à laquelle le parti n'a jamais véritablement renoncé.

Tout ça, évidemment, n'est encore que du domaine de la politique-fiction, mais cet espace de l'imaginaire s'est ouvert depuis la mise en place de la loi 78, et ses opposants ont présentement cette responsablilité lourde, dramatique, d'envisager tous les moyens possible pour empêcher toute actualisation de cette dystopie de la dictature tranquille qui n'en est encore qu'à l'état de virtualité dans l'espace politique. La mobilisation inespérée de centaines de milliers de citoyens doit pour cette raison se poursuivre, festive et optimiste comme elle a commencé à l'être, ouverte sur l'espace de pensée que la rue a aussi ouvert en même temps dans l'espace politique québécois.

Quelle serait la meilleure réponse à  ce coup fourré du parti libéral? J'en ai aucune idée. J'avoue que je suis plus porté au tragique qu'à la stratégie.

Image: Ryoji Ikeda, Datamatics [prototype-ver.2.0]2

lundi 21 mai 2012

Comment utiliser Twitter comme source d'information


Je discerne depuis quelques jours quelque chose comme un mouvement vers Twitter en tant que média d'information et je réalise que beaucoup de gens ne connaissent pas encore le média, alors aujourd'hui je vais faire, platement, un peu de cyberéducation citoyenne.

Il suffit d'y suivre un soir de manif et de comparer le lendemain avec ce qu'en racontent les médias de masse pour voir à quel point deux perspectives peuvent diverger pour un même événement. Par exemple, ce que pouvait faire circuler TVA/canoe hier au sujet de ce qui se passait relevait pratiquement de la désinformation: ils rapportaient en boucle des gestes isolés de casse en refusant obstinément de rapporter aucun détail de l'opération policière. Même le Twitter du spvm, sans être critique, était à tout le moins plus objectif en ce qui concerne le travail des policiers. Et je ne fais pas d'amplification rhétorique, là.

L'information sur Twitter n'est régie par aucun organe de presse, elle n'est donc pas objective, journalistiquement parlant. Mais il en va comme de tout en ligne: il appartient au lecteur de faire lui-même sa synthèse et de former son propre jugement concernant les faits à partir de ce qu'il peut capter des flux d'information. Les flux demandent aussi à être eux-mêmes remis en perspective: suivre une manif ou tout autre événement de l'intérieur et en direct sur Twitter nous donne parfois une image amplifiée de l'événement en question. Par exemple, hier j'hésitais à sortir, ayant lu que des arrestations de masse avaient lieu au coin de Coloniale et Prince-Arthur (à 30 secondes de chez moi) et j'étais resté avec l'impression que des cordons policiers contrôlaient tout le centre-ville quand, dans les faits, ils contrôlaient et arrêtaient tout le monde dans un périmètre beaucoup plus restreint. Une journaliste a été brièvement détenue, mais s'est fait dire entretemps qu'on se "calissait" du fait qu'elle était journaliste, une policière a aspergé sans motif apparent un manifestant, une voiture de police a vraisemblablement tenté d'écraser un piéton. Voilà des fait. Il appartient au lecteur de demeurer critique quant au contexte et à l'interprétation qu'on peut leur donner.

Alors voici comment suivre un événement.
Il vous faut un compte Twitter, la procédure d'inscription est gratuite et, au contraire de facebook, Twitter n'utilise pas de dossier secret qu'il aurait compilé depuis des années pour informer vos amis que vous venez d'apparaître sur le réseau.
Ensuite, il n'y a qu'à chercher ce qu'on appelle des hashtags, par exemple: #manifencours. C'est un mot précédé d'un dièse que les utilisateurs utilisent pour faire s'agglomérer les messages. C'est ce qui distingue Twitter de Facebook: pas besoin d'avoir des amis pour suivre des conversations.

Le flux de #manifencours est immense lors des événements, on ne peut pas tout lire, ce n'est pas tout qui est pertinent, mais une information y circule qu'on ne retrouve nulle part ailleurs.

Si vous souhaitez suivre les manifestations, vous pouvez aussi vous brancher sur CUTV, la webtélé communautaire qui diffuse en direct lors des événements. La couverture est intermittente, la police du spvm s'enfarge souvent malencontreusement dans la caméra ou dans l'animatrice qui se met à crier ou arrêter et on reste de nombreuses minutes à se demander si c'est grave.

ah!
TVA Le Journal de Montréal
big deal
mais pour vous dire
l'éternité d'un soir de manif
pour raconter
une vie de peuple-concierge
mais pour rentrer chez nous le soir
à l'heure où le soleil s'en vient crever au-dessus des ruelles
mais pour vous dire oui que le soleil se couche oui
chaque jour de nos vies à l'est de vos empires
rien ne vaut un hashtag de #manifencours
notre parlure pas très propre
tachée de cambouis et d'huile

samedi 19 mai 2012

La fois où j'étais d'accord (sur un point) avec Mathieu Bock-Côté

J'ai déjà dit des choses dures à l'égard des positions que prend parfois Mathieu Bock-Côté dans les médias de masse. Mais parce que je critiquais ce qui, à mon sens, m'apparaissait comme une compromission de la figure de l'intellectuel à laquelle il tient, je me dois aussi pour cette raison souligner lorsqu'il prend la parole en tant qu'intellectuel pour défendre les humanités et dénoncer l'état policier qui rend impossible la liberté de les enseigner.
Nous avons sans doute peu de choses à nous dire, peu de points de discussion sur lesquels nous pourrions nous entendre, je ne suis pas non plus complètement d'accord avec plusieurs des positions de Bock-Côté dans ce texte, mais sur ce point, je ne peux que joindre ma voix à la sienne.

Attention, voici un lien que vous ne verrez probablement plus jamais sur ce blog: une chronique de Mathieu Bock-Côté. C'est dire si depuis quelques jours, tout est en train de basculer. On sait plus où y a la tête et où y a les pieds.

vendredi 18 mai 2012

Nous avons testé pour vous: un totalitarisme à la canadienne

Le gouvernement libéral a entamé hier une expérience politique dont personne ne peut encore mesurer les conséquences. Il teste, pour l'avenir du Québec mais aussi pour l'ensemble du Canada, un totalitarisme à la canadienne. Cela est clair: le gouvernement conservateur qui ignore le Québec, regardera ailleurs, se gardera d'intervenir politiquement en invoquant sarcastiquement l'exception culturelle, mais prendra bien note de ce qui est en train de se passer, pour voir quelle est la limite de la population en matière de totalitarisme.

Il ne faudra pas compter sur la scène fédérale, il ne faudra pas compter sur la cour suprême, il ne faudra pas non plus compter sur la scène internationale contre laquelle fera barrage le Canada.

Nous avons été abandonnés de toute part.

Il n'est plus désormais impensable que la liberté d'expression soit complètement abolie. L'escouade politique qui sera mise sur pied pour traquer les organisateurs de manifestations en ligne pourrait avant longtemps élargir son mandat et considérer toute critique à l'endroit du gouvernement comme une incitation à manifester, à troubler la paix sociale et, possiblement, à inciter à craindre un acte terroriste. Ce pas a déjà été franchi lorsque les quatre personnes accusées d'avoir déclenché des fumigènes dans le métro ont également été accusées d'incitation à craindre un attentat terroriste.

Il n'est plus désormais impensable que les élections soient suspendues. Invoquant un climat social instable, le Parti libéral pourrait reconduire indéfiniment sa loi spéciale et ne promettre des élections qu'à la condition que soit revenue la paix sociale selon les conditions qu'il aura lui-même fixées.

Il n'est désormais plus impensable que les partis d'opposition soient neutralisés ou interdits. Si le port du carré rouge devient aux yeux de la loi spéciale une incitation au désordre social, le Parti québécois et Option nationale pourraient se voir interdire l'accès à l'Assemblée nationale, ou encore être tenus responsables de la reconduction ad infinitum de la loi spéciale, et faire en sorte que des élections ne pourront être tenues. Québec solidaire pourrait tout à fait être assimilé à un groupe terroriste, car la rhétorique du Parti libéral ne fait aucune distinction entre désobéissance civile et acte criminel organisé. Il pourrait en outre se voir retirer son statut de parti officiel. La structure de la CLASSE, semblable à celle de Québec solidaire, se voit constamment dénier son statut d'organisation par le discours du gouvernement libéral depuis le début de la crise. Si les choses en arrivaient là, le seul parti d'opposition légitime serait la CAQ, petit parti qui n'aurait aucune chance de prendre le pouvoir, mais demeurerait néanmoins la caution de façade au maintien d'un semblant de démocratie.

J'espère de tout coeur que le peuple québécois saura mettre fin rapidement et avec l'élégance dont il est capable à cette expérience politique terrifiante. J'avais depuis des années perdu confiance en lui, les derniers mois m'ont redonné un peu d'espoir. Je ne voudrais pas d'une autre génération perdue. Il en va de l'avenir du Québec et, paradoxalement, de l'avenir du Canada.

mercredi 9 mai 2012

À Québec en fin de semaine pour le Salon Nouveau Genre

Attention Villequébécois, j'aurai un kiosque ce samedi et dimanche au Salon Nouveau Genre à Québec. J'aurai les cartes d'auteur, des dizaines de macarons littéraires ainsi que des tonnes de t-shirts. Plus besoin d'imprimer et de découper des agrandissement de captures d'écran pour savoir si Louis Ferdinand Céline Dion ou Fuck le tact vous ferait bien, vous pouvez venir l'essayer en personne.
But wait, there's more! J'aurai aussi des primeurs, des nouveaux t-shirts et si vous achetez un paquet de cartes, je vous tirerai aux cartes d'auteur et y lirai votre avenir littéraire. Eh oui, chez doctorak co., on est vraiment prêt à faire n'importe quoi pour pas finir dans le trou avec nos voyages promotionnels.



Événement facebook
À l'église Saint-Jean-Baptiste
470, rue Saint-Jean
entrée gratuite

mardi 1 mai 2012

La 20 vs. la 132

Je viens tout juste de publier un article de fond dans le dernier numéro de Liberté intitulé "Ruralité trash", un essai sur ce qui m'apparaît être un authentique courant littéraire actuel, porté par des poètes comme Alexandre Dostie, Marjolaine Beauchamp et Erika Soucy. Je me suis donné à fond parce que c'est à mon sens un petit événement dans l'histoire littéraire québécoise.
Je mets ici un extrait de cet essai qui, incidemment, ne parle pas de ces oeuvres mais du type de paysage dont elles parlent et où elles s'ancrent.

Le regard et l'oubli

Il est étonnant que le tourisme, pourtant fondé sur l’expérience sensible, sur la nécessité de se rendre physiquement sur place pour avoir la pleine expérience de l’espace et du paysage, travaille pourtant dans le sens d’une éclipse du regard qu’on peut avoir sur le territoire. Le tourisme en effet travaille le regard, organise la visibilité rurale, cachant certains paysages pour en montrer d’autres, façonnant les attentes du vacancier de manière à ce que les détails du trajet qui ne correspondent pas à ce que l’on désire lui montrer ― ces paysages romantiques et les poncifs environnementaux qu’on y associe ―, lui demeurent imperceptibles. On donnera ainsi à voir les productions du terroir plutôt que les grands espaces d’exploitation industrielle, la fermette d’alpagas plutôt que les mégaporcheries, les sentiers aménagés, mais pas les routes dangereuses des compagnies forestières, etc.
La construction de l’autoroute 20 dans les années 1960 est historiquement significative de ce point de vue. Sur cette autoroute, il n’y a à proprement parler rien à voir. Les paysages qui la bordent ne sont pas faits pour qu’on s’y arrête. Construite pour le transport des matières premières, elle sert surtout de nos jours à transporter les matières transformées des grands centres vers la périphérie, et, durant les mois d’été, les touristes à qui on ne présente que les territoires aménagés à leur intention, guère plus. Entre Montréal et la Gaspésie, où elle devrait aboutir dans une avenir rapproché, cette autoroute ne traverse aucune ville sinon le quartier industriel de Drummondville et une frange de banlieues satellites autour de Québec. La route est droite, bordée de boisés dépouillés de tout signe qui en permettrait la singularisation, et ce n’est que tout au loin qu’on devine des villages sans nom, sans identité, et quelques éléments géographiques, comme les Appalaches, l’île d’Orléans, que l’on distingue à peine, comme dans un engourdissement pâteux. La 20 a été conçue, comme toutes les autoroutes, dans un souci fonctionnaliste qui ne cède rien à l’imaginaire.
La route 132, qui longe l’autoroute et fait le tour de la Gaspésie est plus engageante pour le regard du touriste. On y frôle des maisons, on peut apercevoir les entrées, les cours arrière, on traverse les villages, et c’est seulement dans ce bref moment qui sépare le lieu de départ de la destination programmée pour le touriste que la campagne laisse voir un instant le territoire habité.
Ce sont ces espaces que nous donne à voir une suite poétique impressionnante de Marie-Josée Charest parue dans la revue Jet d’encre, au printemps 2011. Quiconque a porté un jour attention à ces paysages jouxtant la 132 y reconnaîtra la justesse du regard de Charest : elle aligne les vers comme défilent les terrains le long de la route, sorte d’écotone dérangeant qui expose aux regards anonymes des automobilistes la vie privée des habitants.

caps de roue
camion de la ville
main sur le volant
poubelle bleue
chaises de patio
téléphone public
sapins arrachés lancés sur le bord de la route
maçonnerie
coupole
et un banc de bois
placé pour regarder la route
et nous
car nous sommes ce qui défile
(« mais la terreur surgit de nulle part », p. 125)

Ces espaces ruraux du Québec, espaces de campagne, de petites villes et de villages, apparaissent comme des non-lieux pour notre société postindustrielle, des terrains en friche, laissés dans un semi-abandon par cette économie mondialisée qui n’en a pas besoin. Sur ce territoire en trop ne règne à perte de vue que la misère ordinaire des régions. On trouve bien des fermes, des scieries, quelques usines de première transformation, mais elles exploitent à des prix dérisoires des ressources trop peu abondantes pour soutenir durablement l’économie locale. En complément à ces maigres apports économiques, des bureaux gouvernementaux, de chômage ou de « gestion de la ressource », des hôpitaux, des hospices et quelques commerces de première nécessité forment l’essentiel du tissu économique régional. Le reste n’est que désœuvrement et tentatives d’y échapper, et, sur ces routes qui ne sont pas destinées aux touristes, entre les maisons abandonnées, les granges désarticulées et les cours à scrap de fortune, des bungalows et des terrains bien entretenus apparaissent, fragments d’une banlieue égarée en pleine campagne, où des individus jouent comme ils le peuvent à la classe moyenne. On y tond une pelouse d’un vert émeraude artificiel, entourée de boisés de conifères vert profond ; on y attend le jour où l’eau de la piscine montera enfin à 80 °F, en retirant sans relâche à l’épuisette les feuilles et les brindilles qui flottent à la surface.


Le reste de l'article se trouve dans Liberté, no 295.

PS. Je retranscrivais ces trucs sur la 20 et ça m'a rappelé cette parodie de pub de RBO.

vendredi 20 avril 2012

Le sublime contre la droite


Le 19 avril 2012 a été une journée terrifiante pour la démocratie québécoise. Des droit qu'on croyait inaléniables ont été bafoués par la force à l'Université du Québec en Outaouais, nous rapprochant un peu plus d'un véritable état policier, qui retire arbitrairement ses privilèges à une classe de la population.
Une des manifestantes arrêtée à ce moment a pu livetweeter le détail de son arrestation et de son incarcération, un privilège que n'auront peut-être pas les prochaines victimes de la répression policière constante en cours.
Car depuis quelques semaine, chaque geste d'intolérance et d'abus de la part des autorités policières et politiques réduit cet écart historique entre notre époque et l'impensable loi sur les mesures de guerre d'octobre 1970 (maintenant "loi des mesures d'urgence") et fait en sorte que ce traumatisme sociopolitique qu'a vécu toute une génération de militants devient chaque jour chaque jour un peu plus probable, réel, terrifiant. Qui d'entre nous fera prochainement l'objet d'un mandat d'arrêt, de perquisition? Qui verra sa connexion internet surveillée, suspendue? J'espère sincèrement que les étudiants et les professeurs qui ont courageusement résisté le 19 avril ne deviendront pas les héros et les martyrs de la société concentrationnaire de demain.
Voici une conversation que j'ai eue avec Lorazepam sur Twitter pour l'occasion. Cliquez sur l'image pour lire le détail, et merci infiniment Godspeed you! Black Emperor, merci pour tout!

Voici le lien CE concert de Godspeed... Légal et gratuit, avec l'intro qui explique le lien avec la CLAC.