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samedi 27 avril 2013

Lecture publique du prochain livre de Vickie Gendreau


Cela se passait il y a deux mois. Vickie m'appelait pour me dire que sa tumeur était revenue. Tous ses amis, nous étions abattus. Nous savions ce que ça voulait dire: tellement, tellement moins de temps. J'ai interrompu la plupart de mes activités, j'ai fait le vide autour pour prendre le temps de digérer la nouvelle. Ce fut salutaire, sérieux.

Les médecins l'avaient prévenue que la chimio serait violente, qu'elle serait dure. Mais on n'est jamais vraiment préparé à ça. La médication qui empoisonne, qui donne l'air moribond. Au pire des traitements, plus rien ne fonctionnait. Le moral n'était plus là. Les textes que Vickie m'envoyaient étaient d'une noirceur désespérée et les symptômes de la tumeur ne semblaient pas vouloir repartir. C'est là, au pire des traitements, que les médecins ont décidé de les interrompre. À la mi-février, on lui avait donné un pronostic de 5 mois dans le pire des cas. À la fin mars, on évoquait maintenant quelques semaines.

Après qu'elle m'ait annoncé cela, j'ai dit à Vickie que je passerais chez elle préparer la suite. Je prendrais le contenu de son disque dur sur une clé USB, je ferais en sorte qu'on puisse construire plusieurs livres avec ça. Je lui ai dit qu'à la fin elle serait une grande auteure, qu'elle n'aurait pas à s'inquiéter de ça. J'irais chez elle, je remplirais la clé, on réglerait les détails plates et après on pourrait recommencer à chiller comme d'habitude, en écoutant une niaiserie, en dansant assis sur le divan, en regardant des gifs animés.

Nous avons fait exactement ça. Et c'est là sur ce divan que Vickie m'a demandé : "Peux-tu finir mon livre? Moi je suis pu capable. J'ai pu de concentration et il reste tellement de choses à faire." Ce livre, c'est son deuxième sur lequel elle travaillait depuis l'été. Elle m'a montré le travail : la moitié semblait prête. Le reste : des fragments épars. Je lui ai dit que j'écrirais le moins possible par-dessus ce qu'elle avait fait, que ce ne serait qu'un montage et que je ferais l'impossible pour ne pas trahir son écriture. Ce serait son livre à elle du début à la fin.

Je me suis lancé dans ce projet dès le lendemain. J'ai travaillé d'un trait. Quinze heures en deux jours. Il y avait des papiers partout dans la chambre, des piles de "finis", de "pas finis", de "à classer", de "peut-être". Je ne pense pas avoir déjà reçu un privilège aussi grand : pouvoir vivre aussi intimement dans l'imaginaire non seulement d'une écrivaine que j'admire profondément mais avant tout de ma meilleure amie, l'approcher cet imaginaire, en saisir peu à peu le mouvement, puis lui donner sa forme. Vers la fin, les fragments trouvaient d'eux-mêmes leur place, c'était exaltant. Et j'ai pu terminer le manuscrit. Presque pas l'air rabouté. Tout était déjà là. Un texte moins tragique que Testament, souvent drôle, avec des moments vraiment cons et des pages parmi les plus fortes qu'elle ait écrites.

Mais ça ne s'est pas terminé là. Oh non.

Je suis retourné quelques jours plus tard chez Vickie avec le manuscrit. Je voulais qu'on le regarde ensemble pour qu'elle l'approuve, pour ne rien avoir sur la conscience. Et je me suis retrouvé à le lui lire au complet. Toute la journée. Une des plus belles journées depuis des semaines. Les effets poison de la chimio s'estompaient, et de voir ainsi une sorte de premier jet qui se tenait... Vickie s'est remise à écrire. En une semaine elle a presque doublé le texte. Une sorte de miracle inespéré, comme l'été dernier avec Testament. Plus personne ne l'attend et paf la magie. La fucking magie. Elle s'est réappropriée complètement le manuscrit que j'avais monté. Dehors le raboutage, dehors la noirceur étouffante, balancée par plein de nouveaux morceaux fantaisistes qui ont trouvé leur chemin. Le dernier mois a peut-être été le pire physiquement pour elle, mais je peux dire que je l'ai vue heureuse. Peut-être pour la première fois de sa vie. Oui. Quand j'y pense, je ne retrouve pas de souvenirs d'elle heureuse à ce point.

"C'est mon vrai livre, Mathieu! Là je sais que je suis une vraie écrivaine! Avant on me le disait mais je le réalisais pas. Mais là! C'est meilleur que Testament parce que je suis vivante dedans! Je suis vivante!"

Peu d'oeuvres répondent à une véritable nécessité. On écrit souvent sans savoir pourquoi, parce que c'est encore ce qu'on fait de mieux. Mais le travail littéraire de Vickie répond, lui, à une nécessité: fourrer la mort en restant vivante malgré qu'elle soit toujours imminente, imprégner dans l'urgence ses propres souvenirs, sa saveur, son mouvement dans l'imaginaire des autres dans l'espoir de durer au-delà de sa propre existence. Faire en sorte qu'à la fin cette existence réelle et trop courte compte moins que cette existence écrite. Un backup sur Dropbox à 10% de batterie quand ton fil de recharge est pété.

Vickie sait qu'elle ne verra pas son lancement. Ni la réaction de ses lecteurs. Mais elle n'y pense pas. Elle prépare un autre livre. Avec des flamants roses et des danseuses. Elle disait qu'elle voulait écrire dix livres en dix ans. Maintenant c'est dix livres en dix jours. On verra.

Cependant, elle a eu une idée: une lecture publique. Comme c'est une princesse qu'un voile sinistre mais beau enveloppe, elle peut obtenir tout ce qu'elle désire. Elle a trouvé une directrice de production, des comédiens et même une salle. Tout le monde a accepté gracieusement de tout interrompre pour monter cette lecture publique dans un délai improbable.

Drama Queens sera donc présenté ce mardi à l'Espace libre, à 11h du matin. C'est tôt, une drôle d'heure pour du théâtre, mais c'est parce que Vickie y sera, pour une rare sortie publique. Tout le monde est invité. C'est gratuit, mais une contribution volontaire serait appréciée pour transformer les bénévoles en artisans. Elle voudrait une salle pleine. Qu'une salle pleine découvre Drama Queens. Pour ceux qui pensent que ce sera lourd, détrompez-vous, ce sera d'une beauté sans limite, je pense.

Drama Queens de Vickie Gendreau
Mardi, 30 avril 2013
Espace libre
1945 rue Fullum
11h (retardataires non admis)
Entrée gratuite (contribution volontaire)

Nous étions encore une fois sur le divan. C'était quelques jours après qu'elle ait terminé le manuscrit. On chillait, tout était correct. Puis elle s'est mise à pleurer. "Je laisse un héritage. Je suis heureuse."