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vendredi 14 mai 2010

Le concours de propagande de Radio-Canada

J'étais, genre, tu sais, chez nous là, j'étais en train de souper tout seul devant tou.tv, j'écoutais, genre, full un affaire sur la propagande avec des nazis qui détournaient la réalité pour faire des films chocs. À un moment donné, ils ont passé un truc sur l'élimination des handicapés et des attardés mentaux, les premières victimes des chambres à gaz et après c'était des saletés de films terribles sur les Juifs où on disait qu'ils étaient pas mieux que des rats et des affiches de gros Juifs sales avec des parasites dégueulasses et là j'étais, genre, #plustropavoirfaim.

La série documentaire est pas trop mal, mais un peu problématique dans la mesure où on sent que l'équipe de production est parfois un peu... comment dire... Pas assez intelligente pour le sujet qu'elle voulait honnêtement traiter. Pour eux, la propagande c'est tantôt une entreprise de désinformation, tantôt une campagne de publicité gouvernementale à grande échelle, et tantôt toute campagne de marketing immorale au sens où elle s'éloigne des idéaux de l'humanisme. Et je trouve ça très dangereux, genre #pasdrôlepantoute.

La preuve: à la fin de l'émission, la madame a s'adresse à nous autres les jeunes en nous invitant à participer à... que quoi?!? un grand concours de propagande. Je niaise pas, elle dit ça juste après les images de camps d'extermination, c'est à 42m38 exactement:
Depuis deux mois nous proposons un concours national sur le thème de la propagande. Le défi: imaginer de nouvelles oeuvres de propagandes sur des sujets qui vous passionnent ou vous révoltent, ou sur des choses que vous voulez changer dans le monde.
Et là je suis genre sérieusement #plustropavoirlegoûtdevivre.

Parce qu'après nous avoir servi des exemples flagrants de dérapages médiatiques et de manipulations évidentes de l'opinion publique, on invite le jeune à s'investir de la puissance des médias pour faire passer le message qui lui tient à coeur. On l'invite à se connecter avec le petit dictateur qui dort au fond de lui. À partir de là, qu'est-ce qui empêche de produire une oeuvre de propagande sur des sujets qui les révoltent comme "les hosties d'Arabes" ou "those whining Quebecers"? Ok, ça peut paraître grossier, mais des sujets comme "les malades chroniques coûtent trop chers à notre système de santé" ou "rétablissons la peine de mort pour les délinquants sexuels" sont aussi intolérables, mais genre "intolérables softs". Ces sujet sont peut-être moralement douteux mais ils sont tout à fait acceptables selon la proposition de définition ouverte et pluraliste que l'équipe de production vient tout juste de mettre de l'avant.

Le problème de la propagande, ce n'est pas l'immoralisme ou son antihumanisme, c'est celui de la pensée étouffée par le design graphique. On pourrait un instant accorder aux organisateurs de concours le (eurk) bénéfice du doute et mettre comme eux entre parenthèses l'idée que la propagande est en toute circonstance une pratique consternante. On peut imaginer l'équipe recevoir les (eurk) oeuvres de propagande et se mettre à les juger. Qu'est-ce qui se passe alors? Est-ce qu'il y aurait une seule petite chance pour qu'ils se disent "mm, le discours de cette affiche antisémite est rhétoriquement plus efficace que cet ennuyeux dessin environnementaliste qui reprend tous les poncifs du discours écologiste"? Hein? Une chance? Non. Alors, à quoi sert ce concours? À faire de la morale. Car même en mettant hypothétiquement entre parenthèses la connotation négative de la notion de "propagande", encourager la créativité en invitant à créer des oeuvres de propagande ne peut uniquement se justifier que dans une perspective moralisante fondée elle-même sur une logique d'exclusion: on invite moins à faire prendre conscience du pouvoir médiatique qu'à se servir du pouvoir médiatique du point de vue de la morale dominante. Et ceux qui échouent à s'intégrer dans cette morale, ces pauvres ados mésadaptés à moitié cinglés qui auraient l'idée de faire une belle affiche néo-nazie auraient plus de chances de recevoir un téléphone ou un petit message démotivant que de gagner le beau concours de propagande radio-canadien. Et le pire, c'est qu'ils ne se verraient pas écartés du concours et de la vie en général parce qu'ils pensent moins aux conséquences de leur révolte que les autres ados vertueux qui font des beaux ti-dessins de "la guerre c'est pas beau". Parce que, eux non plus, ces princes et princesses de la morale proprette, on ne les encourage pas à penser, ni à former leur jugement, mais à adopter des opinions socialement acceptables. Finalement on n'encourage personne à penser! Même les producteurs de Amour, haine et propagande ne savent plus ce que c'est penser! Ils sont tellement noyés dans l'espace médiatique qu'ils en sont venus à croire qu'il y a une bonne et une mauvaise propagande, une qui serait morale et une autre qui serait immorale, sans même se rendre compte que dans l'actualité, sans recul historique ou médiatique, tout message de propagande a nécessairement l'air vertueux, moral, conforme à la réalité. Voilà de quoi a l'air la vie intellectuelle à l'ère du conservatisme: penser, ce n'est plus réfléchir aux fondements de nos actions collectives ou individuelles, c'est exclusivement un exercice visant à déterminer les limites de la morale dominante, à l'intérieur desquelles les opinions, même contraires, même opposées, seront recevables, et ce, même à défaut d'être représentées politiquement. On peut ainsi être pour ou contre la guerre, c'est même quioute d'être contre la guerre quand ton pays est au front, mais ça ne changera rien parce qu'il n'y a pas d'espace pour penser ce que tuer un autre être humain pour des considérations nationales veut dire. Et ça veut dire beaucoup de choses.

Et socialement, ce qui est choquant, c'est que présentement on n'arrête par de nous matraquer que les pauvres pis les malades ça coûte don cher, que l'école ça coûte don ben don cher, que la culture, c'est beau mais seulement quand ça sert à quelque chose comme générer des revenus ou attirer du touriste, et que les SEULS débats qui se font sur la place publique concernent la capacité de payer de la population et non pas les fondements de ce que "coûter cher" veut dire à l'égard de l'égalité des chances et du bien-être du plus grand nombre (et non pas de la "majorité"). Les seuls débats qui se font concernent les limites morales à l'intérieur desquelles coûter cher est une idée recevable ou non pour la majorité démocratique.

Alors moi j'étais genre tout seul chez nous et j'ai fait mon beau ti-dessin, j'ai dessiné des parasites full dégueus et puis je me suis genre full appliqué dans Paint pour que les lignes soient super belles pis que les couleurs soient pas connes pis que la typo soit genre méga fesse dedans. Ça m'a pris genre toute ma soirée, là, j'ai même pas eu le temps de rien tweeter de TOUTE LA FUCKING SOIRÉE. Et puis là je l'ai envoyé à radio-canada et puis là ç'a sonné à la porte et ma mère a braille pis l'autre madame de la dpj que je connais pas dit que ça va bien se passer dans ma nouvelle famille. Fa que inquiétez-vous pas pour moé, #toutevabinaller.

mardi 4 mai 2010

Duplessis a refait la voirie du Québec

Encore une fois tiré des archives de l'Office du film du Québec, Duplessis a refait la voirie du Québec est un film important, un document d'une rare éloquence pour comprendre ce que notre histoire populaire nomme "La Grande Noirceur". Duplessis a refait la voirie du Québec est un pur film de propagande aux forts accents de fascisme tellement son mépris sans scrupule de l'intelligence des électeurs est grand. La rhétorique électoraliste est grossière et patente, et le discours lui-même fait montre d'une naïveté qui révèle son profond cynisme. On voit d'abord comment tout est littéralement ramenée à Duplessis lui-même, tout seul (c'est Duplessis qui a refait la voirie, et la photo de sa face en fondu à la fin rappelle même les films staliniens). On voit aussi comment sa politique reconfigure la géographie du territoire québécois en connectant les "biens épars" des richesses naturelles avec le capital américain. L'Union nationale, contrairement à ce qu'on dit souvent, n'était pas opposée au progrès. Elle avait une vision de la modernisation du Québec, mais sa vision du progrès était exclusivement économique et ne concernait que la réaffirmation, l'accroissement et l'enrichissement des pouvoirs en place, ne laissant pour le peuple qu'une "route magnifique" menant au sanctuaire de Sainte-Anne de Beaupré. Dans ce film, on ne trouve aucune représentation de citoyen. On ne voit que des ouvrier, de la machinerie, des automobiles, des richesses naturelles. Et la route. 



Il est quand même rare que le pouvoir en place en arrive à une telle suffisance qu'il se dévoile aussi crûment. Duplessis a refait la voirie du Québec s'adresse aussi pour cela intimement à notre époque qui n'a peut-être jamais été aussi réactionnaire depuis les années 50. Le mépris de l'intelligence des citoyens est aujourd'hui si admis dans les moeurs politiques, autant au fédéral qu'au provincial, que la suffisance et la naïveté des partis de droite fait de nouveau apparaître au grand jour la domination qu'ils exercent. Les scandales répétés de corruption et de collusion font de mieux en mieux apparaître ce régime de gouvernance insoutenable où depuis des années on nationalise les dettes des entreprises en même temps qu'on détourne les fonds publics vers le privé. Mais comme les organes de propagande et de censure actuels - car il y en a - contrôlent encore suffisamment leurs gloussements de mépris et leur cynisme, il importe absolument d'interpréter des films comme Duplessis a refait la voirie du Québec pour ce qu'ils révèlent de la domination, non seulement pour l'époque d'où ils proviennent, mais pour toutes les époques. Car le capitalisme peut bien changer de forme, les prises de contrôle du pouvoir économique sur les appareils démocratiques, elles, ne changent pas.

C'est pour cette raison que Duplessis a refait la voirie du Québec devrait nous servir aujourd'hui de petit apologue pour mieux appréhender ces pulsions politiques réactionnaires qui sont les nôtres et que la Révolution tranquille n'aura pas su erradiquer complètement.

Ceci dit, le film est tellement con qu'il est pissant. Un hostie de film qui commence comme une mauvaise dissertation par "depuis la nuit des temps!" "La fabrique portative d'ALSPHATE"! Et les gros chiffres! À partir de maintenant, pour dire que ça fait beaucoup, on devrait toujours dire: quarante-deux mille cinq cent soixante-dix-huit mille mille mille.

Lien vers Duplessis a refait la voirie du Québec.