Préparé par Bruno Roy, ce livre enrichi des oeuvres visuelles de Diane Dufresne invite à la redécouverte des plus beaux textes de la chanson québécoise qui, dans sa diversité et sa qualité, témoigne d'une richesse patrimoniale exceptionnelle dont la valeur universelle ne fait plus de doute.Plus beaux textes... richesse patrimoniale... Valeur universelle... ne fait plus de doute... On se croirait dans un dépliant touristique. Étonnamment, je ne voudrais pas me mettre encore à chiâler sur le sujet du canon musical. Non. En fait, ce qui m'interpelle dans ce livre, c'est son titre. Plus spécialement l'utilisation qu'on fait du mot "beau". Un rapide parcours de n'importe quelle librairie en ligne vous donnera une idée de quelle littérature annonce un titre qui commence avec "les plus beaux":
Les plus beaux chiens du monde; Golf, les plus beaux parcours au Québec; Les plus beaux villages de France; Les plus beaux poèmes d'amour; Les plus beaux autocollants de la nature; Les plus beaux treks du monde; Les plus beaux sites du monde; Les plus beaux chevaux du monde; Les plus beaux contes zen; Les plus beaux contes de Grimm; Les cent plus beaux poèmes québécois; Les plus beaux contes de Perrault; Les 20 000 plus beaux prénoms du monde; Les 100 plus beaux musées du monde; Les plus beaux concept cars; Les plus beaux sites de plongée; Noël: les plus beaux contes & légendes; Les plus beaux voiliers du monde; Les plus beaux sommets du monde; Les plus beaux prénoms pour votre enfant, Les plus beaux 4x4 du monde.
Etc.
Mais qu'est-il donc arrivé à la beauté? Il semble qu'elle ait définitivement quitté le domaine de l'esthétique philosophique pour s'établir dans un domaine de littérature à cadeaux de Noël, celle qu'on donne à son père qui ne lit pas mais qui aime le plein air et les voitures, ou à son filleul de neuf ans qu'on veut initier aux contes, ou à sa grand-mère à qui on sait jamais quoi donner mais qui a l'air d'aimer ça, la belle poésie.
Tout de même, ce problème de la beauté qui a déserté la critique est franchement intéressant. Nous ne pouvons plus sincèrement dire qu'une chose est belle qu'en secret, dans l'intimité d'une conversation, ou au fin fond de la nature quand on tombe avec sa blonde sur une chute d'eau ou un petit vallon charmant et qu'on essaie de se faire croire que le monde est simple et que nous sommes des enfants naïfs émerveillés devant sa beauté. Mais ça, on ne pourra le dire publiquement à personne et encore moins l'écrire. Car notre époque est loin du romantisme, et que la beauté est restée prisonnière du romantisme. Ça, ça peut toujours aller, on ne va quand même pas commencer à pleurer parce que les choses sont "jolies" ou "sympathiques" à défaut d'être belles. Mais le corollaire en est qu'on se trouve aussi loin de Platon et de l'idée de Beau. Et ça, c'est un problème. Où sommes-nous donc? Et surtout, comment pouvons-nous parler des oeuvres d'art si l'idée de beauté nous est présentement interdite? Le problème est immense, et il touche notre rapport à l'art. Car ce rapport s'est constitué à partir de l'idée de contemplation du Beau chez Platon. La contemplation était ce qui permet à l'âme de s'élever dialectiquement vers le Bien et le Vrai, de rejoindre l'Idée. Et d'un certain point de vue, si on doit continuer d'entendre le beau ainsi, les 100 plus belles chansons du Québec devraient nous permettre de nous élever vers l'idée immuable de notre identité, prouvée par la richesse et fixée par son universalité. Mais on n'y croit plus, on ne peut plus y croire parce qu'on n'est pas trop certain si les 100 plus beaux concept cars doivent logiquement nous mener à l'idée immuable du concept car, et ainsi de suite pour les voiliers, les chiens, les prénoms, les contes de Perrault et les parcours de golf. Parce que l'idée de beauté comme le présente ce genre de compilations ne mène qu'à l'instrumentalisation de l'idée qu'elles mettent de l'avant.
Je pourrais à ce moment continuer à rire des passionnés de 4x4 ou de trekking et dire à la fin qu'on vit dans le flou et que c'est tant pis pour nous, les littéraires. Et puis nous, les littéraires critiques de tout qui ne trouvons jamais rien beau, on serait bien contents parce que nous, les littéraires, au moins, on a arrêté de se conter des salades au sujets des 100 plus beaux concepts de l'histoire de la critique ou des 25 plus beaux personnages du "nouveau nouveau roman" ou des 50 plus belles pages de la poésie formaliste québécoise. Je pourrais le faire, mais je ne le ferai pas. Pourquoi? La suite dans quatre jours.
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