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mercredi 23 septembre 2009

Khan Gourou - Il est venu le temps des claques s'a yeule (1999)

Tout au long du mois de septembre, Patrimoine PQ en collaboration avec Doctorak, Go! vous présentent un survol de la musique underground québécoise en 10 albums.

Jamais un projet musical n'aura été aussi vindicatif et aussi consciemment contre-culturel. Le projet de Khan Gourou est ni plus ni moins d'invectiver, de dénoncer et de discréditer dans son entièreté l'industrie culturelle québécoise, à commencer par la musique elle-même.

Du point de vue musical, ce projet de destruction de l'industrie culturelle musicale est sans compromis. Il s'ancre musicalement dans le terreau irrécupérable ici de la musique techno, le hardcore le plus brut. Il ne s'agit pas ici d'une posture ironique sensée ridiculiser le showbusiness pour mieux l'investir, comme l'a fait par exemple Numéro# avec son premier album. Le hardcore de Khan Gourou est à la limite du supportable. Les rythmes de DJ Mutante dépassent souvent les 220 bpm, une limite où la musique n'est plus dansable. Mais ce rythme exagérément speedé permet au phrasé de Bazzoka Gilles (Pat K) de se libérer de toute contrainte de rythme et de versification propre à la chanson ou au rap. Complètement libre, ce phrasé s'ouvre à une prose pamphlétaire qui trouve son efficacité dans la rhétorique plus que dans le rythme et fait basculer par là la musique pop dans un espace où tout peut être remis en question. Et Bazooka Gilles, en même temps qu'il découvre cette puissance d'invectiver, accomplit aussi la logique du pamphlet, la pousse jusqu'à sa limite.

Le discours assassin de Khan Gourou apparaît avec une nouveauté fulgurante dans le champ de la musique qu'il investit. Mais l'argumentaire violent qu'il adresse à la culture québécoise, il le tire (probablement inconsciemment mais néanmoins de la manière la plus évidente) de toute une filiation essayistique encore très peu connue qui inclut des figures marquantes de notre histoire littéraire du dix-neuvième et du début du vingtième siècle, comme Octave Crémazie, Arthur Buies et Jules Fournier. Cette tradition pessimiste et radicale opérait ce constat terrible concernant notre culture, qu'elle n'est peut-être pas viable hors d'un système institutionnel où s'exerce une mainmise d'autorités qui n'ont finalement rien à faire de la valeur esthétique des oeuvres produites.

Comme au dix-neuvième siècle et pour une bonne partie du vingtième, la littérature était déformée par la préséance de l'idéologie chrétienne ou nationale sur la qualité des oeuvres littéraire, Khan Gourou dénonce aujourd'hui la mainmise de l'idéologie patrimoniale sur les oeuvres musicales qui impose une histoire et un canon à la musique populaire récente indépendamment de sa valeur esthétique. Luc Plamondon est la première victime de cette critique radicale, dont le répertoire devient pour Khan Gourou l'exemple de l'imposture d'un système qui accorde après-coup une valeur esthétique arbitraire à une oeuvre qui ne doit son succès qu'au dopage par les fonds publics du succès commercial. Le roulement sur les radios commerciales légitimant supposément un engouement d'une majorité du public québécois, ce succès commercial devient alors la soi-disant confirmation que cette oeuvre parle au nom du public. C'est du thème de la "fierté" dont parlent "Il est venu le temps des claque s'a yeules" (la pièce-titre de l'album) et "Notre tonne de pourris", une fierté usurpée, pur effet sans fondement des manipulations cosmétiques du capitalisme culturel:
Je tiens à remercier mon gynécologue ainsi que mon chirurgien plastique d'avoir fait de moi une grande vedette qui peut passer toutes les semaines à salut bonjour et lire la météo. Je prépare un album solo et ça va sûrement passer à la radio, mon agent me l'a dit. [...] Et nous autres on a eu des subventions pour sortir des belles grosses chansons pour faire un album et mener notre carrière.
Ce projet de dénonciation radicale du showbusiness se double aussi d’une charge sans compromis contre la génération précédente du baby boom qui se décline le plus intensément dans « Un fucké en Alaska », une fable métaphorique construite autour d’un fétichiste scatophile qui remercie sarcastiquement ses parents de l’avoir humilié, battu et rendu fucké :
Tous les jours, je me lève, à tous les matins, je me rase tout le corps et je me dis : pourquoi je suis fucké de même? Bien je pense que je vais appeler mon père. Pis mon père il me dit de manger de la marde, ça fait que je mange de la marde au propre comme au figuré. Oui je suis bien fucké, je le sais.
Le texte improvisé est encore une fois rendu sur un fond de hardcore hyperviolent.

Il faut cependant ajouter que malgré la nouveauté et la violence singulière de la posture de Khan Gourou, Il est venu le temps des claques s’a yeules se montre parfois inégal. Des pièces comme « Y faut que tu fumes du pot », « Power to the mongols » ou « Fuck le chien » sont incapables de trouver un moyen de dépasser cette posture radicale de l’aliénation culturelle et finissent par tourner en rond dans une sorte de lamentation désespérée.

La profonde singularité de cette démarche artistique fait cependant de cet album une œuvre majeure de l’underground musical québécois. En alliant hardcore techno et une harangue hargneuse complètement libre, Khan Gourou installe sa critique radicale de la culture hors de la chanson dans un espace imprenable, imparable, irrécupérable dont ne peuvent que rêver ces autres grands critiques de la culture que sont et qu’ont été Mononc’Serge ou Plume Latraverse qui, faute d’avoir pu trouver une forme musicale radicalement marginale, finissent inévitablement dans l’ironie et le cynisme amusé. Le temps d'un album, même mal produit et même imparfaitement composé, Khan Gourou a défriché un espace critique qui reste encore aujourd'hui à occuper. Un espace dont nous avons présentement cruellement besoin.


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