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jeudi 14 janvier 2010

Qu'est-ce qui joue de bon à Radio Spirale? 2

Alain Farah vous lit et vous parle en même temps.
Dans le travail de Farah, on passe sans s'en rendre compte de l'autobiographie à la fiction, de la réalité au texte cité puis au texte inventé. L'exploit de cette lecture de Farah est d'avoir su transposer cette ambiguïté ludique en performance. Farah, singulièrement élégant, posément assis à une table, interrompt constamment sa lecture de commentaires autobiographiques sur les événements réels à la source de son texte et sur les circonstances de la rédaction et puis imperceptiblement il retourne à sa lecture, transposant parfaitement ce mouvement qui fait toute la force de son écriture. Et puis quelle atmosphère détendue il y avait ce soir-là, ça donnait franchement le goût de liquider de son agenda toutes ces soirées littéraires guindées où personne s'amuse, toutes ces lectures de poésie qui ont l'air d'hosties de messes où tout le monde a seulement le goût que ça finisse pour qu'on puisse se saouler en disant des niaiseries. Anytime, Farah.

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Les émotions au Moyen-Âge - Une histoire des émotions est-elle possible ?
Est-ce que les émotions ont toujours existé dans la forme qu'on leur connaît? Une nouvelle discipline est en train d'émerger, l'histoire de l'affectivité, et ça torche sur un christ de temps. "Christ de temps" en effet que celui du Moyen Âge chrétien où les émotions n'avaient à peu près rien à voir avec tout ce qu'on connaît aujourd'hui. La componction, l'amitié, les larmes, toutes ces émotions étaient codées par le religieux, par la béatitude et le péché, et n'appartenaient qu'aux élites. Ce courant est fascinant parce qu'il présuppose que toute émotion est d'abord un codage culturel et n'est pas appréhendable hors de ce codage. Alors fuck la psychologie et les neurosciences qui cherchent à poser une universalité physiologique des émotions, tout est historique et même au plus mal, même dans le délire de la souffrance émotive on émet des signes, on écrit à même le réel dans une langue qui possède son étymologie propre. Et puis Piroska Nagy est hots, hypercharismatique avec un sujet d'une élégance rare. Juste pour vous montrer, il faut écouter dans la discussion qui suit la causerie ce chanteur lyrique de répertoire médiéval qui vient lui demander pourquoi les textes médiévaux joyeux sont chantés sur un mode mineur, donc triste pour nous, et inversement. Alors une médiéviste vient au micro pour parler d'un texte où Saint-Augustin parle de sa manière d'écouter la musique. Il y a des jours où on voudrait tout quitter pour aller s'enfermer dans la section des livres rares des bibliothèques du monde entier pour ne plus jamais en sortir.

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Entretien avec Joséphine Bacon.
Joséphine Bacon est avant tout une documentariste innue qui a connu les pensionats indiens et qui a vécu le renouveau de la culture autochtone des années 70. Depuis quelques années elle s'est mise à écrire des textes sur des napkins et "en arrière des cartes de bingo". Et franchement, c'est une personne extraordinaire d'une paix intérieure qui donne le goût de pleurer. Elle parle de son livre "bâton de parole" mais aussi de toutes sortes de sujet, comme les "rêve de tambour". Je sais pas de quoi a l'air ce tambour, ni dans quel contexte on obtient le droit de le frapper, mais c'est une des plus grandes marques de respect qu'une communauté puisse te faire. Mais pour pouvoir avoir le droit d'y toucher, il faut y avoir rêvé trois fois dans sa vie. Et quand tu fais le rêve du tambour, tu le sais. Je suis franchement jaloux de cette culture des rêves depuis que j'ai entendu Joséphine Bacon se remémorer le bonheur d'avoir fait son premier rêve de tambour. Et puis entre deux déclaration d'une profondeur émouvante, elle fait le clown et soudainement tout le monde voudrait être son petit-fils ou sa petite-fille.

3 commentaires:

Patrick a dit…

Merci pour ces "manchettes" en forme de table de matière! Ça me rappelle qu'il y a plein de trucs intéressants sur RS.

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Aimée V. a dit…

Joséphine Bacon est une personne extraordinaire, au sourire lumineux et aux yeux magnifiques. Tu as raison, on voudrait tous être ses petits-enfants. Je ne savais pas qu'elle avait fait cette entrevue! Merci de nous tenir au courant!

Diomede a dit…

L'élite des époques antérieures ont toujours cherché à codifier et à structurer un peu tout; Que ce soit le rite du thé au Japon ou encore la loi de la bienséance dans la bourgeoisie Anglaise du 18ème siècle,toutes les processions sociales ont été un jour où l'autre sous le coup d'une tentative de raideur et d'instrumentalisation. On peut penser à Euripide qui tenta de codifier la tragédie selon des règles très strictes contrairement à Sophocle ou Eschyle, ce qui lui valu les applaudissements d'Aristote et une dose de reproches sous forme de venin par Nietzsche dans la naissance de la tragédie: "ohh cruel Eurypide, qu'as-tu donc fait".
Un autre très bel exemple littéraire se retrouve dans le nom de la rose d'Umberto Eco lors de la discussion entre l'ex-inquisiteur Guillaume de Baskerville et du vieux moins Jorge sur la question du rire, avec toutes les implications issues de ces divergences.
Est-ce que parceque l'élite tente à sa façon de réduire quelque chose d'irréductible et d'en dessiner grossièrement les contours que cette histoire existe? JE ne crois pas: le peuple qui souffrait et qui pleurait le faisait de la même façon qu'aujourd'hui, ils ignoraient ces étranges règles et ces codes hors de portée, ils le faisaient spontanément comme tu l'as fait lors de ce concert de Mano Solo, gratuitement sans retenue.
De cet aspect, il est nettement exagéré de cracher sur les spécialistes de la biométrie et de la neurologie dont les modèles aujourd'hui s'avèrent plus souvent qu,autrement extrêmement saisissant et efficaces. Ne te trompe pas, cher Doctorak, je ne dis pas que nous devons leur donner le monde sans concession mais il serait un peu imprudent et insensé de rejeter leurs recherches du revers de la main, surtout que dans bien des cas, leurs modèles sont prouvés et fonctionnent à merveille.