En allant niaiser chez Chapter's il y a deux jours, nous nous sommes attardés un peu dans la section littérature métal (en fait, c'est un seul rayon d'une seule étagère, mais elle est là). Pourquoi parler de littérature métal? Parce que depuis deux ans, elle donne lieu à des publications audacieuses et amusantes qui s'expliquent par la maturité à laquelle est parvenue ce public qui a passé son adolescence à en écouter.
Il y a dix ans chez Chapter's, c'était la littérature punk qui décollait. Je me souviens entre autres d'un livre de lettres de fans de moins de dix ans écrites à Henry Rollins. On retrouvait dans cette littérature la même insolence sarcastique, mais aussi la même volonté de construire un espace marginal et communautaire de création artistique. Aujourd'hui, la littérature punk ne fait plus que célébrer les belles années du CBGB'S et de la première tournée britannique des Sex Pistols en photographies noir et blanc artsy prises à l'époque par des punks bourges de fin de semaine dont le seul rêve était d'entrer aux Beaux-arts.
La littérature metal de maintenant n'est pas dans ces questions d'authenticité marginale. Son problème est de trouver un sens aux gestes de profanation symbolique intenses mais mal dégrossis auxquels le metal a donné lieu. À 15 ans, on pouvait comprendre les textes déicides de Slayer, mais à 30, on doit vivre avec le malaise d'y avoir cru et avec l'imposture de ne plus y croire. Mais la littérature metal exploite aussi cette mise à distance du matériau culturel dont était tout simplement incapable la littérature punk en le considérant comme un matériau d'archive qui se répertorie, s'archive et se détourne joyeusement.
Beaux livres, suggestions de lecture, qu'avez-vous déniché aujourd'hui Doctorak, pour le plaisir alangui de nos sens innervés et avides des joies de la lecture et de la découverte? C'est Lorraine Pintal qui parle. Elle ajoute après: "Comme tout cela est très théâtral, Doctorak!
Peter Beste, True Norwegian Black Metal, Vice Books, 2008, 208 page, autour de 40$
Peter Beste a passé huit années à photographier la scène black metal norvégienne et présente dans ce beau livre grand format des images complètement halucinantes. Le matériau est peut-être grossier, mais il est esthétiquement cohérent et le photographe prend plaisir à lui donner un contexte qui sait le mettre en valeur, comme dans cette image, peut-être une des plus célèbre et emblématique du black métal norvégien, qui oppose l'église en haut et un personnage black metal typique en bas, présence inquiétante et suspecte.
Il s'en détourne et, s'en détournant, lui retire sa pérennité monumentale, comme si elle pouvait prendre feu d'une seconde à l'autre. La temporalité figée de la photo l'installe dans ce moment suspendu où l'avenir de l'église - mais aussi de l'Église - est comme pour toujours incertain, menacée qu'elle est par les forces païennes et telluriques d'un sous-sol définitivement terrestre (le maquillage ressemble d'ailleurs à des ronces et des racines autant qu'à du sang).
On peut entendre Peter Beste et voir quelques unes des ses photos ici, dans une petite présentation faite à NPR, la chaîne de radio la plus intelligente des États-Unis. Et quelqu'un chez American Apparel a fait une vidéo dans laquelle le livre est feuilleté page par page en quatrième vitesse, c'est complètement ridicule comme vidéo, mais en même temps c'est pratique.
Du sang, des cabanes faites pour des tueurs en série, des paysages de camps de la mort, des photos de show de Gorgoroth où on voit des têtes d'agneau fraîchement décapité empalées sur des pieux de bois: cédez à la tentation et pénétrez par l'image dans la douce folie du black metal norvégien. (Lorraine Pintal est un peu blême à ce moment-là. Elle essaie de penser à des affaires qui la calment, comme Yves Desgagnés ou Denis Bernard, mais ça vient pas. L'image des têtes de mouton est trop forte.)
Dan Nelson, All known Metal Bands, McSweeney's, 2008, 300 pages, autour de 20$.
De Aaaaaaaargh! à ZZ Bottom (littéralement), Dan Nelson a apparemment compilé la totalité des noms de groupes de métal ayant jamais existé. Et après avoir passé dix minutes à feuilleter frénétiquement son répertoire en essayant de le planter, je dois lui donner raison et avouer que l'exhaustivité de son travail d'archiviste m'échappe autant que sa manière de procéder. Calvaire, même Liva, le groupe du frère de mon amie Alex, même Necrotic Mutation de Rimouski... Même - et c'est là que j'ai juste complètement calice freaké - Lord Mortis de Rimouski qui a duré un an (1995-1996) et qui a jamais fait un hostie de show en dehors de Saint-Fabien. Un répertoire de noms de groupe a tout pour être rasant mais la présentation est amusante et soignée (en lettres argentées sur un papier noir rugueux dans un format plus large que haut) et le contenu possède quelque chose de l'exercice oulipien. On se demande quelle est l'étendue de cette combinatoire gore/profanatoire. Et si quelqu'un peut me faire entendre du Vaginal Putrefaction ou du Motorpenis, je suis curieux. Juste curieux. (Là, Lorraine me regarde avec des gros yeux voulant dire: que c'est que t'essaies de nous faire, là? Nous saboter notre émission de madames? On se quitte sur la musique de Led Zeppelin et là, c'est moi qui fait les gros yeux.)
On pourra consulter aussi:
- Chuck Klosterman, Fargo Rock City, Simon & Schuster, 2001, 13$ - peut-être le portrait le plus intelligent et le plus attachant du public de heavy pop, période Mötley Crüe;
- Aye Jay, Heavy Metal Fun Time Activity Book Heavy Metal Fun Time Activity Book, ECW Press, 2007, 28 pages, 12$ - le livre le plus amusant qui soit.
Pour ceux qui se le demandent, l'image de présentation, c'est "A black metal tricycle".
6 commentaires:
Excellent!!!!!!
hahahahah lord mortis à Rimouski ... j'ai manqué ça !
Doctorak go c'est rosemarie !
Ouah, mon identité secrète est découverte!
Non, c'est juste le commentaire.
Décidément, le mystère s'épaissit.
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