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dimanche 28 juin 2009

Le mélodramatique, dernière partie

Pourquoi est-ce que je suis parti sur le mélodramatique? Parce que je suis tombé dernièrement sur un blog fascinant qui met en scène le mélodramatique d'une manière exemplaire à partir d'un jeu vidéo.

Alice and Kev de Robin Burkinshaw raconte en effet la vie misérable d'un père et de sa fille à partir du jeu The Sims 3 qui vient tout juste de sortir. Le jeu reprend l'idée d'une maison de poupée où le joueur se crée un ou des personnages qui auront leur vie propre avec laquelle on pourra cependant interagir. Comme mise en scène du quotidien, on est le plus souvent dans le consumérisme banlieusard américain: on travaille un peu, on se détend beaucoup, on se fait des barbecues entre amis et, surtout, on s'achète des affaires. Mais c'est dans une tout autre direction que Robin Burkinshaw a décidé de pousser ses personnages, les dotant de caractéristiques propres au mélodrame le plus classique: Kev, le père, est un asocial violent et irresponsable qui vit dans le parc avec sa fille, Alice au grand coeur, mais malheureuse et malchanceuse. Tout le génie de ce blog est de documenter le quotidien pathétique de ses deux personnages, comblant par la richesse son récit les lacunes narratives du jeu. Il interprète leurs réactions en leur donnant des états d'âmes, il provoque aussi certaines situations pour donner une consistance à son histoire. Et parfois, ça devient vraiment émouvant, comme lorsqu'Alice après sa toute première journée de travail exprime un désir déchirant:
When her shift at the supermarket ends that evening, she has 100 hard-earned simoleons, but she is as exhausted as it is possible to be. She wobbles slightly after walking out the door, and only just manages to stop herself from losing consciousness there and then.

But she doesn’t want to rest now. She’s just come up with a new wish. It’s a wish that would be easily fulfilled, but the idea scares and horrifies me. I don’t want to grant it to her.

But it’s her life, and her choice. I reluctantly let her do it.

She takes all of the money she has just earned, places it into an envelope, writes the name of a charity on the front, and puts it into a mailbox.

You might think that Alice has the worst life in the world, but she doesn’t believe that’s true. She will turn down the chance to improve her life in order to give others the opportunity to improve theirs.

What does it mean when a character you’ve created makes you re-examine your own life through their astonishing selflessness?
Ce qui me fascine dans ce blog, c'est que le mélodramatique est ici atteint par autre chose que par l'informationnel qui l'a dominé depuis si longtemps. Le destin est ici représenté par l'ensemble des paramètres auxquels est soumise la représentation du monde construite par le jeu vidéo, des paramètres qui définissent pour ses personnages une norme d'existence (consumérisme, recherche du bonheur) apparemment légère et bienveillante mais secrètement impitoyable. Le génie de ce blog est de faire parler cette norme en sélectionnant soigneusement les paramètres les plus marginaux qu'incarnent Alice et Kev. En mettant en scène dans son récit des paramètres qu'il n'a pas lui-même créé, Robin Burkinshaw résoud le problème de la relation d'autorité devenue inacceptable dans le mélodrame cinématographique. Et parce que ce matériau mélodramatique est pris dans un jeu vidéo et non dans la réalité, ce type de récit arrive à résoudre également les problèmes éthiques du mélodrame informationnel.

La présentation du mélodramatique est aussi d'une simplicité désarmante. Avec seulement du texte et des images, il arrive à produire un effet auquel le roman et le cinéma ne peuvent plus rêver, un effet de simplicité émouvante. Il serait impossible de prétendre que la forme de récit présentée ici organise et révèle la table rase sur toutes les formes de mélodrames qui l'ont précédée. Ce blog indique-t-il peut-être plus simplement une des voies possibles qui s'ouvrent présentement au mélodramatique et comment celui-ci est-il en train de se sortir de l'informationnel.

Lien vers Alice and Kev.

3 commentaires:

Alexie M a dit…

J'en reviens pas !

Ils m'ont eue, j'ai lu tout le blog... Faut dire que j'ignorais que les Sims pouvaient être aussi... indépendants ?

J'ai particulièrement capoté sur le passage à l'adolescence d'Alice, quand elle se met à répliquer à son père... Quel fantastique revirement ! Sans aucune intervention de Burkinshaw... J'hallucine.

C'est particulièrement bon parce même si le gars a un peu brodé autour de ses captures d'écran, il reste tout un vide à remplir, que spontanément le lecteur comble à l'aide de clichés mélos (en lisant le passage dont je parle, j'imaginais clairement les silences, les ralentis, la trame sonore, atroce).

On connaît le code, on l'a si bien intégré que le blogueur ne peut que l'évoquer pour qu'on soit capable de reconstituer le film « Fait vécu » au complet... et projeter nos émotions là-dedans.

(Et que dire des commentaires ?)

Doctorak, go! a dit…

Il a l'air rendu vieux Kev, j'ai hâte qu'il meurt pour voir ce qui va se passer. Pour que ce soit mélo au max, il faudrait qu'Alice se marie avec un homme violent, qu'elle fasse un enfant et que la misère continue.

Alexie M a dit…

C'est vrai ! Ça m'avait comme échappé que leurs vies se poursuivaient jusqu'au bout !