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samedi 28 mai 2011

La catharsis du siècle : les artistes et le déclin de la classe moyenne

J'ai suivi avec intérêt cette histoire de l’attaque d’Elgrably-Lévy contre le financement des artistes. Avec intérêt et avec la plus grande panique aussi parce que j'ai la très désagréable impression que la stratégie des artistes à répondre de manière frontale, soit au nom de l’humanisme, soit au nom de la rentabilité de la culture, est en train de perdre de son efficacité. Comme si ces arguments s’émoussaient à mesure qu’ils s’institutionnalisaient. Les réactions que me semblent présentement donner les artistes sont des réponses qui ont tout pour faire se déresponsabiliser le public tellement le dialogue qui s'engage me semble engager les artistes (groupes de représentation autant qu'organismes subventionnaires) et les institutions (gouvernement et organismes subventionneurs). Comme il s’est détourné de la question de la souveraineté sans pourtant cesser d’être souverainiste, le public semble en train de se détourner de la même manière de la question de la condition des artistes, sans pourtant cesser de donner, moralement du moins, son soutien à la culture. Face à cet épuisement apparent des arguments et pour ne pas céder à la panique qu’elle engendre chez moi, je me suis mis à réfléchir sur cette question. Voilà le texte.

La catharsis du siècle : les artistes et le déclin de la classe moyenne

Il y a des bonnes chances pour que tout le monde se sacre de ton petit poème. Que tout le monde se sacre de ton expo de photo, de ton vernissage, de ton film, de ton show de théâtre ou de ton petit groupe de rock, qu’il joue devant 40 ou devant 2000 personnes. Il y a des bonnes chances pour que tout le monde s’en sacre. Mais pas parce que ce que tu fais n’a aucune valeur. Ni parce que personne ne t’aime! Attends, c’est pas ça que je veux dire! Ah! Il y a des chances qu’on s’en sacre plutôt parce qu’on voit en toi l’artiste avant d’apprécier l’œuvre. Et que le grand public ressent aujourd'hui l’urgence de cette représentation, il doit constamment se rassurer sur son existence. Il en va de la stabilité de l’ordre social.

Maudite relève, relève maudite 


La quantité de gens oeuvrant de près ou de loin dans le milieu culturel est aujourd'hui effarante. Et là, je ne parle pas uniquement des professionnels. La fréquentation à un moment de la jeunesse d’une forme ou d’une autre d’expression artistique a été à ce point intégrée dans l’imaginaire occidental qu’elle est peut-être en train de devenir un rite de passage. Qui n’a jamais au moins une fois, durant son adolescence ou sa vingtaine, assisté au spectacle amateur d’un de ses amis ou d’un de ses cousins? Ce phénomène est à ce point important qu’on a créé un nom et une catégorie spéciale à ces artistes, la relève, dans laquelle toute une société fonde, pour des raisons que j’essaierai d’expliquer ici, ses plus grands espoirs.
Quand on veut critiquer les artistes, on les accuse d’être des assistés sociaux de luxe. On les accuse de ne survivre que grâce au financement de l’état, alors que le contribuable, lui, travaille et paie des impôts pour autre chose que pour des spectacles ou des expositions qu’il n’ira pas voir, des films qu’il n’ira pas voir et des livres qu’il ne lira pas. Et quand on considère qu’il y a trop d’artistes, on pointe du doigt un vague problème de surfinancement public qui se règlerait immédiatement si on leur faisait subir les lois du marché. Mais c'est prendre le problème à l’envers : il n'y a pas d’artistes parce qu’il y a du financement, mais plutôt du financement parce qu’il y a des artistes. Et si plusieurs organismes effectivement financés en partie par les contribuables arrivent à donner l’illusion qu’une chose comme « le travailleur culturel » existe, ce financement est ridiculement disproportionné en regard de tous ces artistes à temps partiel qui constituent l’immense majorité du milieu culturel québécois. Loin d’être des béesses de luxe, les travailleurs du milieu culturel sont plutôt les professionnels les plus risibles du capitalisme occidental : s’ils travaillent, ils le font pour à peu près rien. Et plus personne ne s’illusionne sur les possibilités à long terme de gagner convenablement sa vie dans ce milieu. Bon, j’ai fini avec les détails que tout le monde répète tout le temps. C’est maintenant que le fun commence.

Étrangement, si on observe un peu de quoi est constitué ce milieu culturel, on y trouve une grande homogénéité. La plupart des gens proviennent de la classe moyenne, très peu des classes défavorisées, très peu des populations migrantes, et très peu aussi, on s’en étonne, des classes supérieures qui devraient pourtant avoir été suffisamment et mieux exposées aux splendeurs monumentales des arts et de la culture. L’évidence est que les artistes proviennent, pour la plupart, de la classe moyenne, pour des raisons démographique certainement, mais il y a peut-être plus. Serait-ce parce que la classe moyenne a su cultiver mieux qu’ailleurs l’intensité de la vocation d’artiste, cette soi-disant lumière intérieure qui vous pousse à tous les sacrifices au nom de l’Art parce que VOUS, vous seul êtes en mesure de réaliser les ambitions qui bouillonnent en vous? Pourquoi, sincèrement toute une population aspirerait aujourd'hui à la culture? 
La sociologie de l’art, Bourdieu en tête (cf. Les règles de l'art, Seuil, 1992, et, surtout, La distinction, Minuit, 1979) propose une explication simple : la figure de l'artiste correspond à une stratégie d'ascension sociale, et ce, depuis l’émergence au dix-neuvième siècle d’une société où le système des classes est plus perméable. On peut ainsi naître pauvre et aspirer par le travail acharné à une situation sociale supérieure. C'est le grand récit de l’époque moderne, de Napoléon au rêve américain. L’artiste n’est évidemment pas la seule figure d’ascension sociale. L’étudiant ou le jeune entrepreneur peuvent eux aussi prétendre à ce titre, mais l’artiste incarne une stratégie sensiblement différente qui explique son immense succès présentement, malgré l’absence de perspectives d’avenir dans le milieu culturel. Dans la figure de l’artiste, en effet,  le capital symbolique se distingue du capital économique. Lui seul peut aspirer à la distinction sociale sans avoir au départ de moyens et sans même en avoir à la fin. Commencer pauvre, le rester, mais entre les deux devenir quelqu’un, sentir que toute cette énergie déployée au quotidien a malgré tout un sens pour quelques-uns, que ce ne sera pas perdu. C’est une aspiration modeste mais légitime.
Si la communauté artistique provient majoritairement ici de la classe moyenne, c’est peut-être justement parce que la classe moyenne a pris conscience de son irrémédiable déclin économique. On anticipe même son effritement et sa disparition à plus ou moins long terme. Un article sur Cyberpresse le remarquait encore récemment. Il n'y a pas de pire situation que celle d’un groupe qui prend conscience de son déclin. Et faire partie de la classe moyenne se résume plus ou moins à ça présentement. Le mouvement semble amorcé et on constate bien tout autour qu’en plus de voir les salaires plafonner, on constate aussi que les conditions de travail se dégradent. Travailler plus pour gagner moins n’est pas qu’une boutade issue de la politique française, c'est la réalité frustrante de la plus grande partie de la population.
Et comme pour en rajouter, on constate non seulement que les conditions se dégradent, mais qu’il est de plus en plus difficile de progresser socialement. Car la classe moyenne est en train de perdre aussi le pouvoir démocratique et social qui assurait la perméabilité des classes entre elles. Il est en train de devenir impossible d’être admis dans une grande université, d’être invité à siéger sur les conseils d’administration des grandes entreprises ou de pénétrer dans les clubs et les regroupements d’hommes d’affaires où se créent les liens entre le pouvoir économique et le pouvoir politique. Cette nouvelle classe sociale est anticapitaliste dans sa manière d’accumuler impunément l’argent sans la réinvestir dans la création de richesse ou de produits, elle est aussi antidémocratique dans sa tentative de prendre le contrôle de l’appareil d’état, et antisociale car elle bloque systématiquement les échanges avec le reste de la population. Par leur faute, la société est entrée dans une phase de stratification impitoyable. Cette population est sans doute démographiquement minoritaire, une base aussi cynique que crédule dans l’illusion qu’elle y gagnera au change quand la dernière miette de l’état-providence aura été erradiquée lui assure présentement le contrôle politique et économique.
Si cette base de militants de droite provient elle aussi en grande partie d’une classe moyenne en plein déclin, elle n’en constitue pas le tout. Elle partage néanmoins le même ethos : une grande crise de conscience collective où l’on fait tout pour ne pas s’avouer que travailler ne veut plus rien dire. D’un côté, la classe moyenne sait que plus elle travaillera, moins elle gagnera, et de l’autre elle comprend aussi que l’avancement social est désormais devenu impossible.
Nous sommes entrés dans une période de déflation du travail où il serait peut-être préférable de ne pas travailler étant donné qu’on gagnera moins l’année prochaine pour le travail équivalent. Quiconque travaille a plus ou moins conscience de cette poussée déflationniste du travail, et pour y pallier, on se reporte sur des justifications morales de toute sorte justifiant la poursuite d'une activité désormais dépourvue économiquement de logique. On continue de travailler pour sa famille, on le fait pour se payer des petites vacances au moins une fois par année, on le fait pour ne pas rester toute sa vie à loyer, on le fait parce que « personne ne le fera si on n’est pas là pour le faire », etc. On le fait, finalement, pour toutes sortes de raisons qui excluent désormais cette idée que le travail améliore les conditions de vie et, par là, nous donne un statut.
Cette crise est amplifiée par cette autre réalisation plus ou moins confuse que la classe supérieure s'enrichit impunément, et qu’elle est en train de prendre le contrôle du pouvoir politique et social. Cette réalisation est confuse parce qu’on cache habilement les manifestations de la richesse. Il n’y a pas d’image pour un circuit d’abri fiscal, pas d’image pour une négociation à huis-clos, pas d’image pour une réunion d’actionnaires et pas d’image non plus des réseaux sociaux de ceux qui siègent annuellement sur trente ou quarante conseils d’administration d’entreprise. La classe moyenne ne voit jamais ce quotidien de la classe dominante, comme elle ne voit pas non plus comment elle pourrait faire pour renverser la prise de contrôle définitive à moyen terme de cette classe sur tout l’appareil de pouvoir.
La seule image positive qui reste, la seule image qui fait encore sens au milieu de ce qui apparaît comme un inévitable déclin, c'est l’image de l’artiste. L’artiste peut bien croire que son activité consiste à créer des œuvres, des propositions esthétique ou des produits culturels, sa plus grande réalisation, et peut-être la seule qui justifie son statut aux yeux du grand public, c’est la possibilité qu’il repésente pour quiconque d'échapper au déclin inévitable du milieu d'où il provient.
Ainsi, l’artiste travaille bien, comme il l’a toujours fait, dans l’imaginaire et la représentation. Mais il ne le fait plus directement par l’expérience que procurent ses œuvres ou par le sens qu’on peut leur donner. Elles font plutôt figure, pour le grand public, d’une caution à cette représentation autrement plus importante et signifiante de l’artiste lui-même, de ce corps où se disjoingnent pour un instant capital symbolique et capital économique. Chaque artiste, dans le bref moment où il est reconnu comme tel par le public, constitue ainsi une petite utopie collective, un écran où la classe moyenne se libère un instant du poids de son irrémédiable destin. C’est peut-être le sens qu’on peut donner à cette relève si foisonnante et si peu productive finalement d’œuvre : elle apparaît comme une surface de projection autrement plus satisfaisante que l’art lui-même qui n’arrive qu’à divertir ces foules de « boulimiques culturels » de leur propre condition.

Saccage d’imaginaire



Je sais pertinemment que les arts et la culture ne sont pas que cela. On peut trouver au milieu du fatras une expérience du sublime interdite à tous les autres domaines de la réalité humaine qui me font croire que l’existence ne devient sensible qu’à partir de ce réseau tissé de vingt siècles de documents et d’œuvres. Mais ce genre d’argument est risible pour la noblesse inculte de la Nouvelle Noirceur.
Que pouvons-nous ainsi répondre à ces populistes de droite qui tentent de discréditer toute forme de financement des arts? Quels arguments de marde nous faudra-t-il sortir pour arriver à les faire taire? C'est la mode depuis quelques années d’invoquer à l’intention des idéologues de l’économie des arguments financiers pour justifier le maintien du soutien gouvernemental à la culture. Il serait triste d’y ajouter des arguments de contrôle et de sécurité, mais parce que ces populistes antidémocratiques ne veulent rien entendre aux choses de la communauté, de la filiation, de l’imaginaire et du fantasme nous sommes réduits à affirmer que, oui, les artistes contribuent probablement, et à peu de frais, et d’une manière positive au maintien de l’ordre social, en empêchant la plus grande partie de la population de céder à ses propres pulsions de mort. Elle n’ose pas encore s’avouer qu’elle mourra dans le désoeuvrement et la pauvreté mais, à travers la figure de l’artiste, accepte qu’on peut tout perdre et conserver un statut. Commencer pauvre, le rester, mais entre les deux avoir été quelqu’un, laisser une trace. C’est une aspiration modeste mais légitime. Et l’artiste est, de ce point de vue j’imagine, un mal nécessaire.
En réduisant le financement de la culture, on ne le fera certainement pas disparaître, mais on fera disparaître son imaginaire. En faisant disparaître l’espace de la critique, les œuvres perdent leur sens et deviennent des produits de divertissement conçus par des artisans qui n’ont plus ce pouvoir de
projection que possède l’artiste. En faisant disparaître les lieux de la performance, on fait disparaître le spectacle de la présence de l’artiste, son corps où se fracture pendant un instant le lien indissociable entre le capital économique et le capital symbolique. Il y aura bien encore des artistes, mais ils retourneront dans l’espace privé des amateurs et des spécialistes qui, eux, n’ont rien à faire de cet écran où la classe moyenne se déleste de ses émotions de ce qui restera peut-être la plus grande catharsis collective du vingt et unième siècle.
Saccager non pas les conditions matérielles et économiques des artistes (ils sont trop résilients là-dessus pour ça) mais l’imaginaire de l’artiste ne peut contribuer, de ce point de vue j’imagine, qu’à l’accroissement du désordre social pour cette population en déclin à qui l’on retirera le dernier rampart contre l’aliénation définitive d’une société qui lui retire peu à peu ses privilèges.
Pour finir, j’aimerais raconter quelque chose. Le père de mon père gagnait sa vie difficilement en colportant en Gaspésie des babioles de porte en porte, laissant à eux-mêmes ses quatorze enfants avec un salaire de misère. Mon père m’a d’ailleurs raconté souvent qu’il arrivait parfois à lui et ses frères et lui de voler pour manger. Comme dans Charles Dickens! Le père de ma mère quant à lui bûchait l'hiver et cultivait l'été, comme dans les romans tu terroir. Et il en serait sûrement demeuré ainsi si le financement public n’avait permis l’établissement de la gratuité scolaire et que l’ouverture des gouvernements aux revendications des travailleurs n’avait permis de leur fournir des conditions incomparablement plus favorables que celles de leurs parents. Toute sa vie, mes parents ont pu conserver le même emploi dans des conditions qui leur ont permis de s’acheter une maison et d’élever leurs enfants.
Ce que je raconte là est d’un ennui, vous me direz. Il n’y a là rien d’original, c’est l’histoire de la Révolution tranquille, vécue presque à l’identique dans des dizaines de milliers de familles. Mais comme des dizaines de milliers de personnes, je ne peux aspirer à mon tour à une telle stabilité, et ce même après avoir terminé des études universitaires. Plus important encore : nous sommes des dizaines de milliers à avoir la même conviction du déclin de notre nom, de notre lignée. On dit aussi de moi que je suis un artiste. Comme des milliers d’autres. Il n'y a là rien d’original. Qu’on s’imagine maintenant ce qui se produirait si on réduisait progressivement les conditions économiques qui rendent possible le maintien de cet espace où nous retirons une quelconque forme de distinction non seulement pour nous mais pour tout un peuple en crise. Je suis certain d’une chose : je n’accepterai pas de devenir colporteur comme l’était mon grand-père. Et encore moins bûcheron... Qui peut savoir de quel désordre, de quelles violences est capable toute une population désespérée sans statut ni moyens?

Je déteste qu’on dise de moi que je suis un artiste. J’aurais préféré faire autre chose, quelque chose comme de la littérature. Mais il y a de bonnes chances pour qu’on se sacre de mon petit poème.

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Les images proviennent des archives de la police australienne et sont tirées du site Historic House Trust, via La boîte verte.

Remerciements: cette note a été rendue possible grâce à une subvention du Fonds québécois de la recherche en sciences humains (FQRSC). Et je déconne pas, la figure de l’artiste comme fantasme social, c’était le sujet de mon postdoc en recherche-création! L’auteur tient à en remercier l’organisme.

mercredi 27 avril 2011

Où sont les mèmes québécois?

La diagonale, un des meilleurs nouveaux blogs se spécialisant dans la critique, se pose depuis un semaine une question pertinente: quels sont les mèmes québécois? La réponse surprend: alors qu'on s'imaginerait qu'il y en a plein, à bien y penser, on n'arrive pas à en trouver. "La Fille" de la Diagonale en propose quelques-uns qui ne sont pas très convainquants. La figure de Rick Genest d'abord, ou Zombie Boy, ce gutter punk montréalais au visage tatoué d'une "face-de-squelette-de-tête-de-monstre" (ce nom est une gracieuseté de Lorazepam). Mais cette figure (c'est le cas de le dire) est plutôt à placer dans la catégorie des "célébrités en ligne", comme Tad Zonday ou Jessi Slaughter le furent à d'autres moments. Les vidéos du Bouboulshow et d'Unyk entrent dans une catégorie semblable de ces vidéos qui font la promotion de personnalités de classes populaires, tour à tour risibles et touchantes dans leurs maladresses de langage et leur imaginaire fruste.
La Fille mentionne finalement Paul, le PFK kid, de Pea Soup de Pierre Falardeau, vidéo culte dont la popularité excède de loin la temporalité des réseaux sociaux et des sites de vidéos en ligne qui lui ont donné une seconde vie. Mais Paul n'est pas à proprement parler une "célébrité en ligne", il serait plutôt de l'ordre de la vidéo virale. On pourrait en trouver quelques-unes qui ont le même statut indéniable, comme Anita rencontre Fidel Lachance ou la palourde royale.
Mais, il faut le reconnaître, il manque quelque chose à la fois aux célébrités en ligne et aux vidéos virales pour qu'on puisse leur attribuer hors de tout doute le statut de mèmes. Il leur manque en effet le caractère de réplication qu'on retrouve partout ailleurs, c'est-à-dire la capacité de constituer un matériau pour d'autres vidéos. Or c'est ce qui fait toute la profonde singularité des mèmes. Ils ne fonctionnent réellement que lorsque le matériau atteint ce stade où il se trouve amalgamé à d'autres références culturelles dans une sorte de dynamique où la forme et le contenu changent constamment de position. Tantôt le matériau A devient la structure qui mettra en forme le matériau B, mais l'inverse peut se produire aussi. Par exemple, Chad After Dentist reprenait la structure narrative de David After Dentist pour lui substituer un élément de la Guerre des étoiles, Darth Vader. Mais ailleurs, par exemple dans toutes les variations de "It's a Trap" (une réplique tirée du Retour du Jedi), la situation s'inverse: le matériau de la Guerre des étoiles devient la structure à toutes les variations possibles.
Pouah, c'est super formaliste comme élément d'analyse et c'est pas du tout mon style et je me fends le cul pour expliquer ça, et ça devrait pas être à moi à faire ça, c'est pas ma job. Faut vraiment tout faire soi-même... Mais pourquoi je fais ça? Pourquoi? Parce que ce dernier trait, la réplication, n'existe pratiquement pas au Québec, et c'est vraiment dommage. Parce qu'il s'agit probablement d'une des plus intéressantes productions culturelles de notre époque. Peut-être que ce qui restera en matière de culture populaire, ce n'est pas la musique qui en arrache un coup ces temps-ci prouver sa pertinence et arriver à s'élever plus haut que la nostalgie pour une ou l'autre des sous-genres passés auxquels elle puise; ce n'est pas le cinéma non plus qui est à toute fin pratique mort et enterré sous les décombres d'un modèle économique moribond; ni la littérature de masse qui n'attend que d'être remarquée par la catastrophe susnommée, ni même le sport ou les vêtements, et que sais-je encore.
En matière de culture populaire, les mèmes représentent une révolution insoupçonnée. Ils ont indéniablement un côté punk dans la mesure où ils appartiennent à une culture DIY souvent trash et percutante et opèrent, comme le faisait la culture punk, un pas de côté ironique et critique de la culture dominante. Le mème, c'est un "God Save the Queen" pour une époque où les kids désabusés auraient troqué leurs instruments cheap de pawn shop pour une version piratée de Photoshop et Final Cut.
Voici de quoi aurait l'air un mème québécois selon les experts
Ceci dit, y a-t-il une raison pour laquelle cette culture de la réplication et de la parodie tarde à s'implanter ici? J'hésite à proposer des interprétations. Est-ce parce que la langue est présentement privilégiée à l'image pour ce genre de pratique de détournement? Est-ce parce que la morale qui prévaut ici fait en sorte qu'on ne s'autorise à la parodie que sous certaines conditions? Est-ce parce que la tradition du détournement québécois qui passe par Croc, RBO et Sans limite est en train d'être oubliée? Est-ce parce que nous sommes réfractaires à accepter ces référents culturels mondiaux (Mario, La guerre des étoiles, les morts-vivants, etc)? Ou encore est-ce parce que nous demeurons réfractaires à tourner en dérision les référents culturels immédiats? Ou que ces référents ne sont juste pas intéressants?

Pff men, vous allez pas me dire qu'avec la pelletée d'artistes au mètre carré dont on arrête pas de nous vanter l'incroyable créativité, il n'y a personne pour être un peu spirituel dans un petit détournement de vidéo? Un gif animé? Juste un petit GIF? Ok, une image avec sous-titre? Un petit sous-titre?

samedi 5 mars 2011

mercredi 2 mars 2011

2e Gala de l’Académie de la vie littéraire au tournant du 21e siècle

2e Gala de l’Académie de la vie littéraire au tournant du 21e siècle
Le dimanche 6 mars 2011, 20h
Au CFC (Centre Fusion Culturelle, anciennement Zoobizarre)
6388, rue St-Hubert, Métro Beaubien
Prix d’entrée : 4$


mardi 1 mars 2011

Les prix 2010 de l'Académie de la vie littéraire au tournant du 21e siècle

Oh yes! Le temps est revenu de nous imaginer que nous avons une grande littérature, qu'elle est foisonnante et riche! Mais cette année, sérieusement, c'était pas trop mauvais, pour autant qu'on oublie tous ces romans rien plus que bien faits et divertissants qui sont finalistes partout pour des prix ailleurs que chez nous et qui font écran à toute cette vie littéraire bizarre et fascinante autrement plus riche que les platitudes qu'on célèbre aux autres postes. De notre côté, on a cherché des belles affaires et on en a trouvé, on les a photographiés et là on va leur donner des prix. Alors sans plus attendre voici la liste des gagnants 2010:

Le prix Self-qu'on-trolle est attribué à Maggie Roussel pour Les Occidentales, Le Quartanier.

Le prix Hello-Kitty-écrasé est attribué à William S. Messier pour Épique, Le Marchand de Feuilles

Le prix Tank-girl est attribué à Virginie beauregard D. pour Les heures se trompent de but, L'écrou

Le prix Pénis-mental est attribué à Jean-François Guerrette pour Panique chez les participants, Poètes de brousse

Le prix rétrospectif Geneviève-Desrosiers est attribué à Geneviève Desrosiers

Le prix Mama-Vagina est attribué à Carl Vézina pour Belooga Joe. Comment faire l'amour avec un maigre sans se fatiguer, fanzine.

Le prix Holy-Mountain-Royal est attribué à Alessandra Naccarato pour Beekeepers, Hurricanes and Men who catch Pigeons, fanzine

Le prix Kenny-Rodgers-live-au-Théâtre-de-Baie-Comeau est attribué à Erika Soucy pour Cochonner le plancher quand la terre est rouge, Trois-Pistoles

Le prix Roulette-du-U est attribué à Chloé Germain-Thérien pour Dans mon temps... Souvenirs de la dernière génération analogue, fanzine, Éditions de la dernière minutes.

Le prix Pas-Michel-Rabagliati (quand même, il y a pas juste lui en bédé) est attribué à Zviane pour Apnée, Pow pow.

Le prix La-tête-de-Miley-Cyrus-à-350°C-au-four-durant-quatre-heures est attribué à Carole David pour Manuel de poétique à l'intention des jeunes filles, Les Herbes rouges.

Le prix Betty Hirst est attribué à Alexandre L'archevêque pour Les mouches la viande, Le Noroît.

Le prix Bouillon de poulet pour fuck all est attribué à Simon Paquet pour Une vie inutile, Héliotrope.

Le prix Huguette-Goaler est attribué à Pascal Angelo Fioramore pour Têtagoise, Rodrigol.

Le prix Death-by-Popcorn est attribué à Jon Paul Fiorentino pour Indexical Elegies, Coach House Books.

Oh les beaux noms farfelus! C'est comme une traduction maladroite de notre enthousiasme pour tous ces bos livres qui sont sortis dans l'année et que personne a encore lu parce qu'ils étaient sur Internet en train de regarder des photos de chats qui disent des niaiseries. Vous pouvez d'ailleurs cliquer sur chacune des photos pour retrouver la critique qui explique pourquoi chacune de ces oeuvres se mérite un prix.











Malheureusement, encore une fois cette année, Mathieu Arsenault qui, boudé par les institutions remetteuses de prix, a quand même créé cette Académie pour avoir au moins une chance d'en avoir un une fois de temps en temps, ne recevra rien. Il était tellement pris par la confection de ses belles cartes d'auteur (qui seront d'ailleurs lancées le soir du gala), qu'il a complètement oublié la date limite pour soumettre une oeuvre au comité d'évaluation. Il leur a écrit pour demander une exemption, mais le comité est resté froid à ses requêtes. Il leur a récrit ensuite pour leur dire que c'était "toute une gang de mangeux de ***", qui se "prennent vraiment trop au sérieux astheure", que "c'était mieux avant", qu'il "pensai[t] qu['ils étaient] des amis" et qu'il était "profondément vexé par toute cette histoire. Bien à vous," etc. Meilleure chance la prochaine fois, mon gars.

lundi 14 février 2011

Chloé Germain-Thérien - Dans mon temps... Souvenirs de la dernière génération analogue

D’un part, les francophones ne savent pas faire des zines littéraires intéressants. La plupart du temps on dirait un journal mal photocopié d’étudiants de cegep en création littéraire, alors qu’un zine devrait être un projet cohérent que seul un petit livret autoédité est en mesure de contenir. Le projet de Chloé Germain-Thérien est non seulement cohérent, il a aussi la simplicité des grandes idées : raconter aux générations à venir l’incroyable changement de paradigme que nous avons subi en quelques années avec le passage à la société de l’information. Même pour nous qui les avons connus, le souvenir des téléphones à cadran rotatif, des télés noir et blanc et des fiches d’indexation cartonnées à la bibliothèque est de plus en plus en vaporeux, bizarre.

 Chloé Germain-Thérien, Dans mon temps... Souvenirs de la dernière génération analogue, fanzine, Éditions de la dernière minute, 2010.

samedi 12 février 2011

Geneviève Desrosiers - Nombreux seront nos ennemis

On me permettra j'espère de déroger de cette contrainte de ne présenter que des publications parues en 2010, mais c'est pour une raison valable: 2010 a été l'année où Geneviève Desrosiers a véritablement pris sa place dans la poésie québécoise. Je n'ai peut-être entendu son nom pour la première fois que cette année, mais ce fut par cinq personnes différentes, aussi fascinées par son destin tragique que par sa poésie singulière justifiant le statut de plus en plus culte qu'on lui attribue. La poésie de Geneviève Desrosiers, bien sûr, n'est pas que cela. On reste frappé par l'originalité et l'actualité de son humour ironique qui la fait sacrer, faire des fautes d'orthographe et parler de bains sales, de Passe-Partout et d'enfants fourrés comme des gâteaux à la crème. Mais elle installe aussi ces images en équilibre précaire sur un arrière-fond insaisissable et inquiétant qui lui donne toute sa gravité. Les circonstances ont placé son oeuvre sur la même étagère que celles de Louis Geoffroy, Huguette Gaulin et Josée Yvon, figures discrètement mythiques de la poésie québécoise dont la fascination qu'elles suscitent travaillent en secret la poésie peut-être plus efficacement que ces poètes consacrés par l'histoire littéraire que la surexposition épuise souvent plus qu'elle ne les maintient dans l'actualité de la mémoire.

Geneviève Desrosiers, Nombreux seront nos ennemis, L'oie de Cravan, 2006, 110 pages.